Green is the new web

Julie Guillerm
10 min readMay 29, 2020

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Le numérique, comme toutes les activités humaines, a un impact environnemental. Face au dérèglement climatique, les initiatives écologiques se multiplient, que ce soit dans l’alimentaire, les transports, l’urbanisme ou les collectivités. Et le numérique dans tout ça ? il est encore largement laissé de côté. Il existe pourtant des méthodologies qui répondent aux enjeux écologiques du numérique. L’idée est simple : réduire les impacts environnementaux et économiques des logiciels et sites internet en améliorant leur conception et leur réalisation.

Envoyer un e-mail avec juste un GIF, enchaîner 8 épisodes d’une série Netflix en une soirée, scroller à l’infini sur Instagram, utiliser Waze pour tous les trajets même les plus courts… Ça vous parle ?

Pour ma part, ma relation avec les modes de consommation a changé depuis quelques années. J’ai compris que je pouvais devenir actrice du changement après avoir visionné la vidéo de “on est plus des pigeons” qui parle de pollution numérique. J’ai pris conscience qu’en tant que designer, j’ai la possibilité de créer des produits ou de services qui creusent plus ou moins l’impact environnemental.
Depuis, je travaille avec une intention : “réduire les impacts environnementaux des services digitaux en améliorant leur conception et leur réalisation”

Nous surconsommons du digital

Quand on s’intéresse à la question du Green IT, on entend souvent parler de pollution numérique.
Hugues Ferreboeuf, Directeur de projet chez The Shift Project (association qui oeuvre en faveur de la transition énergétique) la décrit ainsi :

“La pollution numérique, c’est tous les effets indésirables qui viennent de la surconsommation du numérique (…) on peut les trouver en matière d’environnement, de santé, de relations sociales”.

En 2019, dans le monde, le numérique représente 3,8% des émissions globales de gaz à effet de serre (GES) contre 2% en 2008. (Rapport de l’étude — Empreinte environnementale du numérique mondial).
Cela représente environ 1,5 fois plus que l’aviation civile et surtout cette part est en croissance d’environ 10 % par an.
D’ici à 2025, on estime que le numérique pourrait représenter l’équivalent des émissions de gaz à effet de serre des véhicules légers.

L’équipement : un problème de pollution mais pas seulement

Quand on parle de pollution numérique, ce ne sont pas les data centers qu’il faut pointer du doigt en premier, mais l’équipement.

En 2019, l’univers numérique était constitué de 34 milliards d’équipements pour 4,1 milliards d’utilisateurs, soit 8 équipements par utilisateur.

“Lors de la fabrication, la plupart des ACV (méthodologie d’analyse de cycle de vie) montrent que ce sont surtout les étapes d’extraction des matières premières (minerais notamment) et leur transformation en composants électroniques qui induisent des impacts : épuisement de ressources abiotiques, pollutions, émissions de GES, etc.” — Empreinte environnementale du numérique mondial, Green IT, Frédérique Bordage.

Par exemple, pour fabriquer un ordinateur, il faut l’équivalent de 100 fois son poids en matières premières. Les matières premières se trouvent dans les sols (minerai) et cela a un coût énergétique important mais également des impacts sur la pollution des sols et de l’air qui sont significatifs.

Cet impact augmente de manière relative au nombre d’objets connectés, au doublement de la taille des écrans, à l’amélioration des devices pour des gains d’efficience énergétique ainsi qu’à l’équipement et l’électricité des pays émergents (souvent plus impactants que les pays occidentaux).

La fabrication de l’équipement contribue considérablement à l’épuisement des ressources (minerai, terres rares) mais aussi joue un rôle très important dans les tensions sur les matières premières.
La plupart des métaux rares sont produits dans des pays très instables (République Démocratique du Congo notamment), on va alors parler des “minerais de conflit” qui financent des groupes armés. La Chine quant à elle, livre une véritable guerre économique au reste du monde au travers des terres rares.
S’ajoute à cela, leur extraction qui s’opère souvent dans des conditions humaines déplorables (violation des droits de l’homme, travail des enfants, etc.).

Et si on parlait de recyclage ?
Là encore, le bilan est lourd : une faible partie est renvoyée chez les fabricants, recyclée et retourne dans le commerce, mais la majorité est tout simplement jetée faute de possibilité de recyclage (certains matériaux de fabrication de nos équipements comme l’indium, le gallium, le tantale et le germanium ont un taux de recyclage inférieur à 1%).

On estime que 70% de nos déchets d’équipement électriques et électroniques font l’objet d’un trafic dans le monde.
Les exports depuis l’Europe se font principalement vers le Nigeria, le Ghana, et la Tanzanie où les populations locales désossent les équipements et les brulent à l’air libre ce qui crée une pollution des eaux, de l’air et des végétaux considérable. Ces polluants persistent, sont assimilés par les animaux et se retrouvent dans les assiettes des populations locales. (https://www.greenit.fr/2019/06/11/des-dechets-electroniques-dans-mon-assiette/)

Il devient alors nécessaire de freiner notre consommation, c’est ce qu’on appelle la résilience des équipements : moins d’achats, une conservation maximale des équipements actuels et une conception qui demandent le moins de computing possible et donc d’usures.

L’impact de nos usages

Au delà des équipements, les utilisateurs, les data-centers et le réseau ne sont pas en reste : on estime qu’un consommateur compte pour 47% des émissions de gaz à effet de serre émis par Internet, alors que les data-centers représentent 25% de ces impacts, le reste est représenté par les infrastructures réseau.

À titre comparatif, on estime que l’utilisation d’internet génère :
• 20 milligrammes de CO2 par requête sur Google soit l’équivalent de l’énergie dépensée par une ampoule allumée pendant 1h pour chaque requête
• Au total 7 tonnes de CO2 par jour juste pour les recherches sur Google, soit quotidiennement l’équivalent de 7 ans de chauffage d’un 3 pièces parisien
• 25 kg de CO2 par an pour alimenter son ordinateur en électricité soit un aller-retour Paris-Londres en avion
• 20g de CO2 = bilan carbone d’un e-mail
(source GreenIT & RSE.net)

Avec une moyenne de 34 e-mails envoyés par collaborateur par jour en France, c’est pas moins de 13 600 mails qui sont envoyés pour une entreprise de plus de 400 employés, ce qui représente presque 2 aller-retours Paris / Bordeaux en avion par jour.

Parmi tous ces chiffres, il y en a un qui se détache : le streaming vidéo.
Grand consommateur d’énergie, il représente 80% du trafic de données en ligne.

On distingue plusieurs grandes catégories de streaming :
• les vidéos à la demande de films et de séries représentent 31 %,
• les contenus pornographiques : 27 %,
• les vidéos de type Youtube : 21 %
• celles que l’on trouve sur les réseaux sociaux : 18 %,
• le reste est attribué à des usages plus à la marge comme Skype par exemple.

Parts de consommation du streaming vidéo

Si l’on prend la vidéo la plus vue sur Youtube : Despacito, avec plus de 6 milliard de vues, c’est l’équivalent de la consommation électrique annuelle de 2 centrales nucléaires.
En voulant simplement écouter de la musique, on stream de la vidéo.

“Le streaming vidéo représente 80% du trafic de données en ligne.”

Design persuasif

Tous ces chiffres ont tendance à effrayer, mais que l’on se rassure en tant que consommateur, ce n’est pas QUE de notre faute. Si on stream de la vidéo, qu’on passe du temps sur Instagram, Tiktok ou Youtube c’est aussi parce que les utilisateurs ont affaire à des produits toujours plus engageants pensés par des experts de la question.

Le design de ces sites est conçu de façon à les utiliser de façon la plus intensive possible, cela devient une addiction. Cette addiction découle de longues recherches menées par les designers sur nos usages pour influencer les comportements durablement par le biais de services ou d’interfaces. C’est ce qu’on appelle le design persuasif.

La plupart reconnaîtra l’exemple de Netflix : on ne fait aucun effort pour en voir plus (l’épisode suivant qui se lance automatiquement) mais l’effort est requis pour arrêter d’en voir.

Mais alors, la pollution numérique, est-ce la faute du designer ? Oui et non.
On touche à une limite très discutée de nos métiers : le design éthique et le design systémique. Ces deux approches méritent sans doute un (prochain) article à elles seules.

Pour faire court :
le design éthique est un courant de réflexion qui cherche à effacer les impacts négatifs du travail produit par le designer sur la vie de l’homme en tant qu’utilisateur,
le design systémique est une manière de penser globale (aspects sociaux, environnementaux, politique) sur les systèmes qui nous entourent pour agir de façon positive.

La décision de créer ou non un service ou une application ne nous appartient pas toujours en tant que designer mais nous pouvons influencer sa création et sa conception de manière significative.

Quelques outils pour les designers

Vers une stratégie UX éco-responsable : Mellie La Roque proposait lors de son webinar sur le design systémique un workshop à réaliser lors de la conception d’un service : la mesure des externalités.

Elle prend en compte les différents aspects sociaux, environnementaux, politiques, économiques et comportementaux à court, moyen et long terme et sur différentes échelles : individuelle, locale et globale.

Webinar design systémique — Mellie La Roque — Designers ethiques x Laptop

Cette méthode permet (entre autre) de définir lors de la conception d’un service les impacts de la pollution numérique.

Systemic Design Toolkit est un site qui propose des templates d’ateliers à réaliser pour une approche plus systémique de notre conception.

En plus d’une stratégie UX éco-responsable, Frédéric Bordage, créateur de la communauté GreenIT, a conçu un Guide de l’éco-conception avec 115 bonnes pratiques concrètes à appliquer.

Guide de l’éco-conception

L’éco-conception c’est la réduction des impacts environnementaux et économiques des sites et applications en améliorant leur conception et leur réalisation à service rendu équivalent.

Plus on éco-conçoit tôt dans le cycle de conception et plus les leviers sont importants.

Les aspirations de l’éco-conception rejoignent des enjeux UX sur de nombreux points (l’utilisabilité, l’efficience, la performance…) et les deux approches tendent à proposer une expérience accessible, instinctive et simple afin d’offrir à l’utilisateur ce qu’il est venu chercher le plus rapidement et le plus efficacement possible.

Dans son guide, Frédéric Bordage aborde l’éco-conception sous différentes catégories :
• conception (fonctionnelle, graphique, technique),
• templating (css, html, font),
• code client (DOM, javascript),
• code serveur ( CMS, serveur d’applications, base de données),
• hébergement (infrastructure physique & logiciel, cache),
• contenu (son, textes, vidéos)

Cette segmentation permet à chaque acteur de la conception d’un produit de prendre part à son échelle à la réduction de l’impact environnemental de son produit.

En quelques points, nous pouvons citer :

  • “Éliminer les fonctionnalités non-essentielles : plusieurs études démontrent que 70 % des fonctionnalités demandées par les utilisateurs ne sont pas essentielles et 45% ne sont jamais utilisées.
    Il faut donc veiller à épurer au minimum les fonctionnalités pour ne garder que l’essentiel. Les succès du Web le démontrent — Google, Twitter, WhatsApp, Pinterest, Instagram, etc. — en ne fournissant qu’un seul service et en misant sur une grande sobriété fonctionnelle.
  • “Fluidifier le processus : le temps passé par l’utilisateur sur un site web est le facteur le plus déterminant pour réduire l’empreinte environnementale de ce site. Il faut donc veiller à réduire au minimum le nombre d’écrans, d’étapes et d’interactions inutiles, sans pour autant créer des écrans trop riches et complexes, qui seraient alors contre-productifs.”
  • Favoriser un design simple, épuré, adapté au web : privilégier l’utilisation de la CSS plutôt que l’utilisation d’images et s’il faut, réduire le poids des images; éviter l’utilisation de vidéos, de l’auto play; limiter le recours aux newsletters; utiliser la couleur et le contraste pour guider les utilisateurs vers des points de repère importants, etc.
  • Think mobile first : cela vous oblige à hiérarchiser les données et les actions les plus importantes.

“ 45% des fonctionnalités demandées par les utilisateurs ne sont jamais utilisées”

Évidemment, beaucoup est à faire côté code et je vous laisserai lire le très bon article de Nicolas Martin sur le GreenIT

Quelques exemples de réussite

Depuis 2010, Greenpeace pousse les géants du Net à alimenter leurs centres de données aux énergies renouvelables. L’ONG a lancé un site internet qui permet de découvrir les notes environnementales des GAFA : clickclean en un coup d’oeil un aperçu des bons et des mauvais élèves du numérique !

Par exemple, Facebook a pour sa part économisé la construction d’un data center et divisé le poids de ses requêtes par deux simplement en changeant son architecture de données.

Aujourd’hui, les deux tiers de l’énergie qui alimente les serveurs de Facebook proviennent d’énergies renouvelables. Google, c’est déjà plus de la moitié. Et toutes ces entreprises se sont engagées à viser le 100% énergies renouvelables.

Le site de LowTech Magazine pour sa part a fait le choix d’alimenter son site par énergie solaire pour réduire sa consommation d’électricité. Cela signifie qu’ils dépendent de la météo. C’est un choix assumé dès la première page : https://solar.lowtechmagazine.com/

Par où commencer ?

Que vous soyez designer ou non, voici quelques outils que vous aideront à entrer dans une dynamique plus responsable de votre consommation :

  • Carbon analyser : est une extension firefox qui révèle combien aller sur le web coûte au climat. Extension créée par The Shift Project
  • Eco Index : est un outil qui permet d’évaluer la performance environnementale, l’empreinte technique de la page (poids, complexité) et l’empreinte environnementale associée.
  • Ecometer : analyse la maturité environnementale de votre site.
  • Green IT a développé une check-list de 115 bonnes pratiques.
  • Green IT analysis est une extension pour navigateur qui vous permet de quantifier les impacts environnementaux d’un parcours utilisateur complet

Les articles qui m’ont inspiré :
https://www.ademe.fr/
Empreinte environnementale du numérique mondial, Green IT, Frédérique Bordage.
https://www.greenpeace.fr/il-est-temps-de-renouveler-internet/
https://www.greenit.fr/
https://www.greenit.fr/wp-content/uploads/2019/10/2019-10-GREENIT-etude_EENM-rapport-accessible.VF_.pdf
https://www.greenit.fr/2015/05/12/quelle-est-l-empreinte-environnementale-du-web/
https://www.greenit.fr/2015/06/04/comment-reduire-l-empreinte-environnementale-du-web/
https://www.greenit.fr/2010/03/19/google-emet-plus-de-co2-que-8-pays-europeens-reunis/
http://www.clickclean.org/downloads/ClickClean2016%20HiRes.pdf
https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2018/10/2018-10-04_Rapport_Pour-une-sobri%C3%A9t%C3%A9-num%C3%A9rique_Rapport_The-Shift-Project.pdf
https://medium.com/thebeammagazine/for-a-sustainable-design-of-digital-services-1d46a6ed7a70
https://west.fr/green-it/
https://www.justinmind.com/blog/green-ux-is-your-ui-harming-the-environment/
Flupa- Aurélie Baton UX chez IBM
https://www.greenit.fr/2019/06/11/des-dechets-electroniques-dans-mon-assiette/
https://www.greenit.fr/2019/03/05/dechets-electroniques-leurope-est-elle-une-passoire/

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