La frontière américano-mexicaine : le nouveau mur de la honte

Cela fait 28 ans que le mur de Berlin est tombé, pourtant l’Histoire n’a jamais été aussi près de nous rattraper. Le nouveau Captain America Donald Trump a d’ores et déjà projeté d’édifier un immense mur le long de sa frontière sud… Un projet qui, alors qu’il n’est même pas commencé, a déjà secoué le monde entier.

Jeremie LEGER
Jérémie LEGER
23 min readMay 11, 2017

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Les murs peuvent être érigés pour garantir la paix, limiter l’immigration ou encore protéger l’économie nationale. Aux Etats-Unis, encore plus depuis l’élection tonitruante de Donald Trump, ces trois piliers du protectionnisme sont au cœur des débats. En assurant que l’immigration clandestine gangrenait mortellement son pays, le candidat républicain a réussi à briguer la Maison Blanche, notamment grâce à une choc de son programme parmi tant d’autres : l’édification d’un mur gigantesque à la frontière sud du pays. « Je construirai un mur, un grand grand mur à la frontière sud et les Mexicains paieront pour cela. Retenez bien mes mots, déclarait le président élu. Mais cette mesure drastique visant à renforcer la surveillance des frontières est aussi et surtout révélatrice des traumatismes et des angoisses de l’Etat fédéral et plus largement la société américaine du XXI ème siècle, à savoir l’insécurité, le chômage ou encore leur identité nationale. Quand le Mexique nous envoie ses gens, il n’envoie pas les meilleurs éléments, il envoie ceux qui posent problème, les violeurs, les trafiquants de drogues et les criminels », concluait-il après un discours aux allures de show à Phoenix.

Des paroles invraisemblables au premier abord, mais qu’il va, à peine quelques jours après son accession au pouvoir, transformer en acte. Le 25 janvier 2017, au diable les contestations : il signe un décret présidentiel visant à démarrer le projet de construction de ce fameux mur sur toute la longueur de la frontière américano-mexicaine. Cerise sur le gâteau, il assure que c’est le Mexique lui-même qui va payer l’addition, entraînant ainsi un premier incident diplomatique avec son homologue mexicain Enrique Peña Nieto. Bien entendu, cette décision a eu des répercussions sur le monde entier. D’abord chez les principaux intéressés à la frontière, mais également partout dans le monde. Avec un tel projet, Trump va-t-il droit dans le mur ? Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, focus sur une entreprise architecturale vielle de plus de 40 ans.

Préambule : la frontière américano-mexicaine, une histoire qui ne date pas d’hier

Sans surprise, lorsque Trump annonce son projet de mur à la frontière, tous les médias en ont fait leur Une. Chose plus surprenante par ailleurs, la plupart d’entre eux, y compris en France parlent de “construction”. Il faut dire que le Président lui-même en parle sous ses termes. Sauf que ce mur existe déjà depuis plusieurs années. Parlons donc plutôt d’élargissement. Initialement fixée avec les Américains par le traité d’Adams-Onis en 1819, la frontière américano-méxicaine a effectivement subi de nombreuses modifications au fil des années en fonction des besoins économiques des USA. Néanmoins, la suppression du programme Bracero en 1964, qui permettait aux Mexicains de travailler temporairement aux USA va tout changer. C’est à partir de cette période que le nombre de migrants en situation irrégulière commence à augmenter. et que surgit la question et des moyens pour y remédier.

Plusieurs élargissements successifs

C’est donc réellement en 1978 que les projets concrets vont commencer à voir le jour, Après que 125 000 migrants cubains aient passé la frontière. Jimmy Carter octroie 6 % du budget de la patrouille des frontières dans le financement d’équipement et de blindage de la frontière dans les zones de traversées non autorisées importantes. Résultat ? Quatre nouvelles barrières de chaînes de 3 mètres de haut, dites “Tortilla curtain”, sont construites à El Paso, Chula Vista, Yuma et Tucson. Sans compter que le nombre de gardes-frontières qui ne cesse d’augmenter, tout comme le nombre d’enfermement et d’expulsions.

Photo : France Culture

Pourtant, il ne s’agissait que de la première étape. Les années passent, et les craintes des Américains ne désemplissent pas. En 1986 et promulgué par l’IRCA (l’Immigration Reform and Control Act) sous la présidence de Ronald Regan que cette loi fut votée pour contrôler l’immigration illégale qui prévoit des sanctions à l’encontre de tous les employeurs d’immigrés en situation irrégulière. D’autre part, les USA de Ronald Regan se retrouvent confrontés à une “guerre cotre les drogues”. Un enjeu suffisant pour convaincre le Congrès de débloquer 90 % d’augmentation des crédits à la police des frontières. Qui dit budget renforcé dit, achat de nouveaux équipements. Ainsi, 23 nouvelles bases sont construites dans les quatre États frontaliers, Les capacités d’enfermement sont renforcées en mettant à profit les prisons locales, le personnel est augmenté et des patrouilles à cheval sont introduites.

Photo : France Culture

1991, ce sont des barrières en taules d’acier ondulées de 3 mètres de haut sur 22 kilomètres qui sont mises en place à Chula Vista. L’équipement est encore une fois renforcé : hélicoptères, radars, lumières. Les migrants considérés comme “criminels” sont déportés. La “Border Patrol” voit ses crédits augmenter de 59 %, mais son personnel diminuer de 11%. Le nombre d’arrestations augmente encore et encore.

Photo : France Culture

Sous les présidences de Clinton, ce n’est plus la peur de la drogue, mais la crainte d’attaques terroristes qui se développe. En cela, la stratégie de surveillance des frontières change. Des agents sont déployés à la frontière, par exemple à El-Paso, tous les 100 mètres, pour “dissuader” les traversées non autorisées, et pousser les migrants vers des zones moins urbaines, plus dangereuses, où ils pourront être pris par les autorités. (bien entendu, beaucoup d’entre eux seront tués). Mais au cas où ses mesures drastiques ne suifferaient pas, huit nouvelles sections de barrières frontalières sont construites en taules d’acier ondulées de 3 à 4 mètres de haut en Californie et Arizona : San Diego à San Ysidro, Tecate, Jacumba, Calexico, San Luis (Yuma), Nogales, Naco et Douglas. La politique diplomatique américaine se durcit également. Exit le “catch and release” : les migrants interceptés sont systématiquement emprisonnés, augmentant de ce fait les expulsions de clandestins, même celles de certains résidents permanents. Une politique de méfiance qui connaîtra son paroxysme à l’heure des premiers attentats sur le sol américain : la destruction du World Trade Center du 11 septembre 2001.

Photo : France Culture

Carton plein pour Georges W. Bush qui lui, propose en 2006, le “Secure Fence Act”, une réforme migratoire qui fait de la sécurisation de la frontière un point central de sa politique. Comme l’union fait la force, il choisit de combiner tous les dispositifs déployés jusqu’à présent “route de patrouille, lumières et barrières”. Tout ça pour un projet plus immense encore : la construction d’une barrière physique de 1 100 km le long de la frontière entre les États-unis et le Mexique. Une architecture qui arrivera à so terme en 2012, avec 1 200 km de barrières. Un projet sur lequel ne reviendra pas Barack Obama. Certes, celui-ci a gelé les crédits de ce projet, mais en a développé d’autres. C’est lui qui a développé la surveillance technologique à la frontière. (dirigeables, drones) Il s’agit par exemple en Arizona de scanner toute la région. Des financements sont octroyés à des industries de pointe. Boeing met en place son “projet 28” : 9 tours de surveillance sont installées au Sud de Tucson puis à Yuma dans l’Arizona. On retrouve aussi de nombreux fils barbelés tout le long de la frontière, mais aussi avec les douaniers. Sans oublier l’armée qui est aux aguets, les patrouillent en 4x4 et les caméras de surveillance qui guettent à l’horizon la traversée. En définitive, le mur de Trump n’est donc que l’acte final d’une entreprise engagée depuis près de 40 ans

Photo : France Culture

Ce que veut Donald Trump, une frontière “impénétrable”, “grande”, “belle”, “puissante

Lors de son discours,Donald Trump n’a pas manqué de qualificatifs élogieux pour parler de son mur. Mais cette envie est-elle réellement justifiée ? Qu’elles sont les raisons qui poussent le président à vouloir un tel « mur de la honte » ?

Obama a laissé au nouveau président, une clôture entre les États-Unis et le Mexique de 1 300 kilomètres de long, pour 5 mètres de haut, rehaussée de 1 800 tours de surveillance, et surveillée par 18 000 hommes. Insuffisant pour ce dernier qui a souhaité l’étendre à plus de 3 000 kilomètres, allant même jusqu’à évoquer sa surélévation de 20 mètres. C’est ce qu’on appelle avoir la folie des grandeurs, ou la folie tout court d’ailleurs.

Traverser la frontière, à leurs risques et périls

Avec de tels moyens, nul doute que le passage de la frontière du Mexique jusqu’au Etats-Unis est une prise de risque considérable pour les migrants. Entre trafics, cartels, passeurs, traversée du désert et argents, le franchissement est un véritable parcours du combattant, les menant même parfois à la mort.

Un bilan glaçant

Les chiffres font froid dans le dos. Selon le documentaire “ Black market la misère humaine”, diffusé le mardi 2 mai sur National Geographic, en 1994 environ 10.000 personnes y ont laissé leur peau. Les douaniers sont on ne peut plus clairs. Avant la construction du mur, il y avait seulement un ou deux morts par mois, maintenant, le bilan s’est alourdi à un ou deux par jour. Rien qu’entre 1998 et 2012, on parle d’environ 5.570 morts. Parallèlement à cette hécatombe, les arrestations de clandestins sont passées de 500.000 par an au début des années 1990, à 28.000 l’année dernière. Avec ses 2000 m de profondeur, ses 24 km de largeur et ses 445 km de longueur, il faut dire que le désert de l’Arizona est l’un des plus aride et dangereux au monde. A tel point que celui-ci a été surnommé “le couloir de la mort”.

Le couloir de la mort

A leurs risques et périls, certains préfèrent tenter la traversée seuls. Le plus souvent, il se retrouvant alors confrontés à des problèmes de déshydratation, d’insolation et de brûlures jusqu’au 3 eme degré. Mais ce n’est pas les seuls dangers de cette terre hostile. En effet, les risques d’attaques d’animaux sauvages tels que les serpents, les scorpions ou les coyotes sont nombreux. Souvent et parfois par désespoir, certains migrants à bout de forces et en manque d’eau se voient dans l’obligation d’appeler les postes frontières pour qu’ils les sortent de ce couloir de la mort. Seulement, le temps qu’ils les retrouvent, il est souvent bien trop tard.

Un “border patrol” arrête un migrant mexicain tentant de traverser la frontière

Un passage devenu commerce

Il n’aura pas fallu longtemps pour qu’un marché parallèle se développe. Afin de mettre toutes les chances de leurs côtés, les mexicains font la plupart du temps appel à des passeurs. Un homme qui s’engage à aider les migrants qui souhaitent se rendre de l’autre côté du mur. Seulement, le voyage demande beaucoup de temps et d’argent. En moyenne, un passeur demande environ 5000 dollars par personne. Un prix qui comprend le déplacement, mais aussi les fournitures comme des habits, l’eau ou encore des bombes de peinture noire, qui permettent de masquer les reflets des bouteilles lors de la traversée du désert. Ce procédé permet de ne pas être vu de loin par les gardes-frontières en hélicoptère.

Le revers de la médaille (forcément), c’est que certains de ces passeurs sont évidemment mal intentionnés. Ils prenant l’argent avant d’enfermer les clandestins ou de les battre à mort. Mais d’où viennent réellement ces fameux passeurs ?

Passeurs, un “métier” venu des cartels.

Les passeurs font généralement parties des cartels, ces organisations qui souillent la frontière américaine. Ces groupes de trafiquants gèrent le commerce de l’illégalité avec les trafics de drogue, d’armes, de prostitution, et d’argent. Lorsqu’une personne s’engage pour une traversée, elle se doit de payer, ou parfois quand elle est prisonnière, c’est la famille qui est déjà au Etats-Unis qui se doit d’envoyer de l’argent pour sa libération.

Quelles conséquences pour les « prisonniers » ?

Si le clandestin ne paie pas ou que la famille n’envoie pas l’argent, le cartel garde la personne, obligeant le clandestin à des travaux forcés jusqu’à remboursement de la dette. Seulement ces escrocs se réservent la plupart du temps le droit de fixer le montant de la dette sachant souvent qu’elle ne sera remboursée. Du côté des hommes, ils sont utilisés pour vendre de la drogue ou faire du trafic d’armes. Le pire étant pour les femmes, obligées de se prostituer et travaillant toujours plus en espérant se sortir au plus vite de cet enfer.

Des Mexicains tentent de montrer à bord d’un train pour rejoindre clandestinement les Etats-Unis

L’immigration est-elle aussi importante que Trump le laisse entendre ?

Le principal combat de Trump, c’est donc la lutte contre cette immigration illégale, sa plus grande frayeur. Mais a-t-il seulement conscience de l’envers du décors ?

Toujours dans sa vision simpliste, le mur pourrait d’après lui, facilement protéger un pays supposément envahi de toute part. Mais cette immigration parlons-en justement. Est-elle aussi importante que Trump le dit ? Adepte de l’utilisation des “fake news” qu’il a lui-même popularisé en 2017, la réponse semble évidente. Bien qu’elle soit difficile à chiffrer car échappant aux autorités l’immigration illégale est en recul alors que Trump a fait sa campagne dessus. (1,6 millions en 2000 et 330 000 en 2015). En raison de la croissance de l’économie mexicaine, le nombre de personnes qui ont tenté de franchir la frontière a chuté rapidement. Depuis 2007, le nombre total d’immigrants mexicains aux Etats-Unis a même diminué par rapport aux mouvements nord sud. (car moins d’emplois depuis la crise de 2008 dans les “secteurs de l’immigration”). Au total, entre 2009 à 2014, seulement 1 million de Mexicains et leurs familles (y compris des enfants nés aux Etats-Unis) ont quitté les Etats-Unis pour le Mexique, (selon les données de l’Enquête nationale mexicaine sur la dynamique démographique (Enadid) de 2014). Ce qui correspond à un solde net négatif de 140 000 personnes, relève The Pew Research Center.

De plus, n’oublions pas que ceux qui franchissent le plus la frontière illégalement ne sont pas les Mexicains, mais les Américains centraux à cause de la situation déplorable de leur pays (misère, violence). En 2016 par exemple, ils étaient plus de 15 000 mineurs à venir du Guatemala, autant du Salvador, alors qu’ils sont “à peine” 10 000 Mexicains. Après tout, à quoi bon donner des chiffres exacts quand on sait que les grossir légitimera encore plus notre action ? Tel que le déplorait Alain Musset (directeur d’études à l’Ecole des Hautes études en sciences sociales, Géographe, directeur d’études à l’EHESS, membre du centre de Recherches Historiques, GGH-Terre) sur les ondes de France Culture : “Pour défendre le projet du mur, il est inutile de se fonder sur les chiffres, car la peur ne se calcule pas.”

Un mur pour attiser les idéaux racistes du président républicain

En plus de coûter une fortune (qu’importe après tout puisqu’il ne veut pas le payer), ce mur de la honte va par essence, à l’encontre des bonnes relations de longue date entre les deux pays, qu’elles soient commerciales ou diplomatiques. Une absurdité pour un homme qui veut “rendre sa grandeur à l’Amérique”. A-t-il oublié les valeurs fondamentales de son pays ? Celles d’une terre d’accueil de l’immigration, qui a fait et fait encore justement toute sa force et sa puissance.

Nous touchons là justement, au principal problème du président américain. Son racisme exacerbé lié à une irrépressible envie de se débarrasser des Mexicains, qu’il considère comme responsables des trafics de drogue et d’armes sévissant aux Etats-Unis. Logique pour celui qui les avait appelés lors de son discours de campagne, des « criminels », de « violeurs » ou tout simplement « mauvais hommes ». N’oublions pas non plus qu’il les accusent aussi de voler les emplois des Américains. Si les arguments semblent peu construits, ceux-ci ont tout de même trouvé écho auprès d’une partie de la société américaine de plus en plus désabusée. C’est donc après avoir vomi les idées fantasques de Donald Trump que le Mexique se doit en plus, de mettre la main au portefeuille. Merveilleux n’est-ce pas ?

Quid du financement ? Le chantier est il tenable ? Faire payer le Mexique sera-t-il suffisant ?

C’est un comble : Trump veut faire payer les Mexicains à hauteur de 50%, pour un projet pharaonique qu’ils ne souhaitent en aucun cas. Si la symbolique est forte vis-à-vis de la ligne dure du président américain, dans les faits, plus facile à dire qu’à faire. D’ailleurs, le président américain n’a visiblement pas fait de grandes études d’économie. Sa feuille de route correspond purement et simplement à une succession de calculs approximatifs, le menant à un coût total estimé à 10 milliards de dollars. Un chiffre bien moindre que celui émis par les experts qui tablaient eux cette fantaisie architecturale, autour de 40 milliards d’euros, en dehors des frais de maintenance et de surveillance. Parti de ce constat, les solutions de l’administration Trump pour faire payer ses voisins du sud ne manquent pas, sans compter les dons légaux que celui-ci obtient déjà de la part de groupe anti-migrant ou de groupes chargés de la sécurité des frontières.

Prélever les remises des US vers le Mexique

Les remises (“remeses”) qu’est-ce que c’est ? Il s’agit des sommes transmises par les migrants vers leurs familles restées au Mexique. Celles-ci représentent tout de même la somme astronomique de 25 milliards de dollars en moyenne par an et 27 en 2016, selon la BBVA Bancomer. Pour les familles modestes mexicaines, ces remises représentent un revenu souvent important qui leur permettre d’améliorer leurs conditions de vie, car la vie est moins chère au Mexique, mais les revenus moindres. Il y a d’ailleurs des régions entières qui ne vivent que de ça.“Sans l’argent gagné là-bas, je n’aurais jamais pu avoir ma maison ni ma camionnette”, racontait à l’AFP José Botello, un paysan mexicain de 28 ans. Rogner dedans mènerait ainsi ces ruralités au désastre économique. Une sorte de « prise en otage » financière du peuple mexicain. Cela dit, Donald Trump a très tôt indiqué que cette menace serait levée si Mexico réglait directement à Washington « de 5 à 10 milliards de dollars “. A noter tout de même encore une fois que les marges de manœuvres de Trump sont plus limitées qu’il le laisse paraître. En effet, le secteur bancaire américain pourrait s’opposer à un telle mesure, car aurait beaucoup à perdre de ces captations. Rappelons qu’à chaque remise qui circule, des impôts sont prélevés. Bref, ce n’est pas gagné pour Donald Trump.

Taxer à 20 % les produits mexicains

Si cette première solution ne fonctionne pas, le voilà prêt à taxer de 20% tous les produits venant du Mexique pour rembourser son chantier. Il l’accuse d’avoir fait perdre 800 000 emplois aux USA, entre 1997 et 2013, à cause des délocalisations encouragées par l’ALENA et par le gouvernement mexicain. « Pas question de payer » répond Pena Nieto. Par ailleurs, en guise de représailles commerciale, l.e Mexique élabore actuellement une liste de produits importés des Etats-Unis, notamment agricoles et industriels, que le pays pourrait taxer à son tour. Force est de constater que les USA sont en position de forces dans ce bras de fer puisqu’ils absorbent à eux seuls 85% des exportations mexicaines (65 milliards de dollars en 2016).

D’un point de vue strictement économique, taxer les produits mexicains est possible, mais non sans embûches. Cela reviendrait à revoir l’ALENA, ce traité de libre-échange entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. La nouvelle administration républicaine a d’ores et déjà averti que si ses partenaires refusaient des négociations “qui apportent aux travailleurs américains un accord équitable”, les Etats-Unis mettraient un terme à ce partenariat commercial. Mais les clauses sont très claires : un accord ne peut être unilateral, autrement dit, le président américain ne peut trancher seul sur une décision, quelles qu’elle soit. Il est, certes, tout à fait possible de revenir sur ce traité, mais il y a fort à parier que ses partenaires commerciaux s’opposent à la manœuvre, qui de plus, sera longue à mettre en place. Particulièrement le Mexique pour qui il semble impossible d’arriver à un quelconque compromis.

Que pensent les Canadiens de l’ALENA ?

Dans ce conflit géopolitique d’envergure, le Canada a lui aussi son mot à dire en tant que membre de l’ALENA. Très critiqué par Donald Trump, le traité de libre-échange est plutôt vu d’un bon œil chez les plus hauts voisins , comme nous l’a expliqué anonymement professeur de philosophie et journaliste quebecois, sous le pseudonyme Fred T.

«Le traité a pourtant été, de manière générale, un succès. Le volume de commerce et les investissements entre les trois pays ont augmenté. La production de plusieurs grandes entreprises et de secteurs de l’économie a été intégrée sur une base continentale. Une transition démocratique a été favorisée au Mexique. Les relations commerciales entre les trois pays ont été harmonisées.»

Quelles conséquences sur le Canada du protectionnisme de D. Trump ?

« Les politiques économiques que l’on anticipe de la part de cette administration devraient stimuler l’économie américaine à court terme. Par le canal des exportations, ces mesures pourraient donc, à court terme toujours, stimuler l’économie canadienne. » Fred T Néanmoins, ces effets positifs seraient anéantis si l’administration de Trump venait à appliquer les mesures protectionnistes annoncées : imposer des droits de douane élevés au Mexique et à la Chine, notamment. « Il n’est pas déraisonnable de penser qu’avec ses accords de libre-échange avec les États-Unis d’une part et avec l’Europe d’autre part, le Canada puisse se positionner comme une plaque tournante de choix entre l’Europe et les États-Unis. »

Une fois qu’il aura réussi à faire changer d’avis ses voisins, Donald Trump devra faire face à une autre difficulté, et non des moindre : celle d’obtenir l’accord du Congrès et de la Cour Suprême pour mener à bien son projet de financement. Or, on peut s’attendre à un blocage comme ce fut le cas quelques mois plus tôt avec le décret interdisant les musulmans d’entrer aux Etats-Unis. Bon courage Monsieur le président.

Les Etats-Unis & le Mexique, une frontière synergique

Les Etats-Unis & le Mexique, une frontière synergique

Il y a effectivement trop d’enjeux pour espérer une renégociation en un claquement de doigts. Les deux pays sont effectivement interdépendants. Les Etats-Unis ont besoin du Mexique pour sa main d’oeuvre bon marché et le Mexique à besoin des Etats-Unis pour se développer économiquement et socialement. Avec un main d’œuvre au prix huit fois inférieure à celle de leurs voisins du nord, les Maquiladoras mexicaines représentent un avantage économique incontestable dans la chaîne de production des produits américains, avec une exonération de pratiquement toutes les taxes. Ces usines d’assemblage sont justement faites pour inciter les Mexicains à rester travailler chez eux. Or, taxer les produits mexicains pourrait engendrer un contre-effet qui pourrait à justement les pousser à franchir la frontière pour venir travailler aux Etats-Unis. Pour cause ? La perte d’intérêt des usines maquis au Mexique qui choisiraient logiquement de se délocaliser, notamment en Chine.

La frontière est donc, de fait, une opportunité économique pour de nombreux états-frontaliers. (Arizona) Par conséquent, tous entretiennent des relations commerciales importantes et se veulent défavorable à un arrêt subit des flux migratoires par un mur. Cette frontière sud, c’est en tout et pour tout, 181 millions de personnes l’ayant franchi légalement en 2015 dans un sens ou dans l’autre. Il s’agit de la frontière la plus traversée au monde avec un peu moins de 50 points de passages légaux. Pendant ce temps, un homme devenu président souhaite la durcir encore plus, malgré son dynamisme.

Le mur : quelles réactions et conséquences autour du monde ?

A l’internationale et particulièrement chez les populations concernées, les réactions ont fusé et continue de proliférer, à l’heure ou le projet de nouveau mur de la honte semble définitivement lancé.

#TodosSomosMexicanos

Forcément qu’avec une telle annonce, les réactions n‘allaient pas tarder. Il fallait s’y attendre, la lubie de Donald Trump est loin de faire l’unanimité. Si la quasi-totalité des Etats du monde se sont montrés hostiles et ont condamné cette entreprise murale, c’est surtout sur les réseaux sociaux que la solidarité et les mécontentements se sont fait entendre. Sous la même dynamique que celle survenue en France et en Europe lors des attentats de ces dernières années, des élans de solidarité ont proliféré sur les réseaux sociaux: photo de profil à l’effigie du drapeau mexicain, messages de soutien et de nombreux hashtag tels que #TodosSomosMéxico (Nous sommes tous Mexicains) ou #MiPaisEsMejorPorque (Mon pays est le meilleur parce que), chez les Mexicains.

Des paysans mexicains brûlent un Alebrije, statue en bois traditionnelle, à l’effigie de Donad Trump devant l’ambassade des Etats-Unis à Mexico, le 31 janvier 2017 YURI CORTEZ / AFP

Un réveil du patriotisme mexicain

Le monde entier a fait briller les couleurs du Mexique certes, mais c’est bien au pays que l’opposition a raisonné le plus fort. De par sa haine envers les Mexicains, le président américain a même réveillé chez eux, un patriotisme fervent. Partagé entre colère, inquiétude et profonde tristesse, les Mexicains n’ont jamais été aussi fiers de crier “Viva Mexico”. Deuxième effet qui se coule, ces derniers, pourtant gangrenés par les problèmes économiques cumulés aux inégalités sociales ne font pour la première fois depuis longtemps, plus qu’un. Les initiatives se sont multipliées. Artistes, hauts fonctionnaires de l’Etat ou simples citoyens, tous se sont rassemblés pour défendre la même cause, celle de l’amour du drapeau face à ce nouvel ennemi du nord. De l’exaltation de la fierté d’être mexicain, en passant par le boycott de produits américains de consommation courante, des marches de protestation jusqu’à des statues de Trump brûlées devant l’ambassade américaine au Mexique pour les plus extrêmes, tous ont exprimé leur opposition à leur manière. Le président mexicain Enrique Peña Nieto lui-même a d’ailleurs appelé son peuple à l’”unité nationale”. Un message qui par raisons de circonstances a été entendu, et ce, en dépit de son impopularité grandissante.

Une aubaine pour Enrique Peña Nieto

Pour avoir pris position contre son homologue américain, Peña Nieto a paradoxalement à une situation délicate pour son pays, joui d’une remontée dans l’opinion, à l’heure où sa popularité était au plus bas.

Sans pour autant évoquer la théorie du complot, il se pourrait que la question “A qui profite le crime ?” trouve réponse en la personne du président Mexicain. A cause des nombreux problèmes de drogue dans son pays, le président est effectivement très impopulaire auprès de sa population avec seulement 12% d’opinions favorables en janvier.

Le président américain est-il un opportuniste ?

C’est en tout cas ce que déclare Damaso Morales, expert en relations internationales de l’Université nationale autonome de Mexico, à l’AFP. Toujours est-il qu’une question se pose au président mexicain : comment s’opposer à Trump ? Doit-il être habile, ferme ou séducteur ? Pour ce challenge, Peña Nieto a d’abord tenté la bonne-entente avec Trump en l’invitant à Mexico en septembre 2016. Voyant que ce mariage ne pourrait pas fonctionner, il a finalement choisi de jouer la carte de la fermeté en prenant position de façon virulente contre ce dernier. Pari gagné ! En annulant sa visite à Washington et en assurant sans équivoque que, si le mur était construit, il mettrait un terme aux accords de coopérations passés avec les Etats-Unis, il a réussi à redorer son blason. Le chef de l’Etat mexicain s’est même payé le luxe de fédérer les partis d’opposition ainsi que l’ensemble de l’échiquier politique, autour de l”unité nationale”. Depuis cette fracture diplomatique donc, Peña Nieto est passé du statut d’homme très contesté, à celui du chevalier blanc redonnant de la dignité à son peuple. Reste à voir maintenant s’il réussira à inverser la tendance une bonne fois pour toute, face à un Donald Trump bien décidé mener à terme ses ambitions.

Pena Nieto face à Donald Trump

Des conséquences déjà marquantes au Mexique

Le mur n’est toujours pas construit, mais les effets pervers de l’arrivée au pouvoir de Donald Trump ont déjà frappé le Mexique déjà fragile sur le plan économique et social. D’une part, le pays a vu sa monnaie, le Pesos, s’effondrer, ce qui de surcroît à entraîné une hausse des prix du carburant. A long terme, le renforcement de la frontière pourrait aussi lourdement déstabiliser la balance des paiements mexicaine (notamment à cause des fameuses “remesas”). En effet, chaque famille mexicaine expulsée, c’est une famille de moins qui reçoit des revenus nécessaires à sa survie. En sachant qu’ils sont des millions concernés et concentrés dans seulement quelques Etats comme l’Arizona et le Nouveau-Mexique. D’autre part, la renégociation de l’ALENA pourrait aussi entraîner un gel des IDE mexicains, car les entreprises et autres influenceurs seront pessimistes et n’investiront plus tant qu’ils ne seront pas certains des nouvelles règles économiques. Enfin, les hommes d’affaires mexicains pourraient être tentés de faire fuir leurs capitaux du Mexique pour les placer à l’étranger. Cumulés, ces trois critères représenteraient à eux seuls, une catastrophe économique encore jamais vue au au pays.

Un manifestant brandit une pancarte « juste une autre brique dans le mur » le 31

Une Amérique plus que jamais fracturée

Aux Etats-Unis, la question aussi divise. Forcément que l’électorat du président Trump, bien que minoritaire en nombre de voix est favorable à ce projet de mur. Néanmoins, pour le reste du pays, c’est l’amertume partagée avec les Mexicains qui règne, particulièrement du côté des villes frontalières au Mexique. Pour l’exemple, le Maire de Tucson en Arizona, Jonathan Rothschild met plutôt en avant la biculturalité et le métissage de sa zone qui permettent un enrichissement culturel mutuel. C’est bien sûr également le cas chez les ONG de défense des migrants. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que malgré la vague républicaine des dernières élections américaines, la majorité des comtés frontaliers avaient voté contre le candidat Trump. (Bleu).

Cartes du résultat de l’élection présidentielle américaine en 2012 et en 2016, comté par comté. (NICOLAS ENAULT)

Même si de par les externalités négatives de l’immigration illégale (que l’on ne peut nier), certains groupes sont favorables au renforcement de la frontière, la majorité des citoyens frontaliers entretiennent des relations amicales, commerciales et culturelles très importantes et depuis des décennies. Ces Américains sont, par définition plus ouverts au mélange avec l’autre côté de la frontière. L’idée de séparation par un mur n’a donc pas le même écho que dans les Etats du sud par exemple, connus pour être des bastions républicains de longue date.

D’autres en revanche sont de fervents défenseurs de ce projet de mur. Des anciens militaires, des ouvriers, ou autres “victimes de la concurrence mexicaine” ayant perdus leurs emplois. Eux insistent énormément sur le fait que les Mexicains “volent le travail des américains” et sont responsables du chômage. Par conséquent, ces profils ont pour la plupart vu en Donald Trump, un sauveur, et ont énormément d’espoir à l’égard de l’édifice mural. Les agents frontaliers également, qui de par leurs fonctions constatent qu’il y a des failles quant aux moyens de militarisations actuellement mis en place. Ces derniers ont plus tendance à soutenir le projet, dans l’attente de l’amélioration de leurs conditions de travail. Ils sont donc très critiques en matière de vigilentisme et de sécurité. A l’image des murs qui littéralement séparent nos sociétés, l’entreprise murale de Trump n’a cessé de mettre en lumière les fortes divisions idéologiques et les profondes fractures qui touche en ce moment les Américains

Construire un mur est-ce la solution à tous les maux ?

Historiquement, les USA et les Mexique partagent une histoire commune depuis bien longtemps. Avant même la guerre américano-mexicaine de 1848, de nombreux Etats comme l’Utah du nord, la Californie ou l’Arizona étaient sous souveraineté mexicaine. Si la rancœur a longtemps existé au Mexique, elle est aujourd’hui morte et enterrée, et a laissé place à des relations cordiales. Sachant cela, Donald Trump a malgré tout décidé par une simple mesure, de rompre avec pays ami et partenaire. Bien que difficilement finançable selon les plans actuels du président américain, le développement de cette frontière sud pour enrayer l’immigration illégale et ses effets pervers a toujours été une préoccupation majeure des administration successive. Cette frontière, qui reste la plus traversée au monde, a par conséquent subit de nombreuses modifications via une politique de modernisation au fil du temps. Par ailleurs, ce projet de nouveau “mur de la honte” a aussi profondément appuyé sur les angoisses et des fractures internes à la société américaines.

Mais plutôt que de construire des murs supplémentaires, l’Etat fédéral ne devrait-il pas plutôt investir dans la modernisation et la sécurisation des points de passages légaux ? C’est en tout cas ce que suggèrent de nombreuses entreprises de commerces transfrontalières, désireuses de voir ce projet aboli. N’oublions pas ce que l’Histoire nous a appris à plusieurs reprises : les murs nous divisent plus qu’il ne nous réunissent.

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Jeremie LEGER
Jérémie LEGER

Responsable éditorial pour @HipHopInfosFR (2HIF). Ancien rédacteur pour Hip-Hop Spirit et The Backpackerz. Diplômé à @HEJ_Journalisme,. #HipHop, #Rap #Urban