Sachet surprise — épisode 1

Axel Regard
Cherchez le garçon
4 min readAug 18, 2019

[ En guise de préambule, je tiens à te remercier. Oui, toi. Je sais que tu te reconnaitras. Tu me demandais ce matin ce que cela pouvait bien m’apporter de passer autant de temps à discuter avec toi. Je pourrai te répondre l’inspiration et ça, c’est ce qui fait la vie. Donc merci ! Et merci de m’avoir lancé sur la voie inédite des sachets surprises. ]

Forrest Gump disait assez justement que la vie “c’est comme une boîte de chocolat, on sait jamais sur quoi l’on va tomber”. Moi, ce matin, je me laisse à penser que la vie est comme un sachet surprise. Vous savez ce gros sac immonde avec des princesses, des power rangers ou toute autre connerie marketing imprimée dessus souvent sur une matière bien brillante.

Commençons par le commencement. T’es un gosse et tes vieux n’ont pas trouvé plus irrésistible idée que de t’emmener goûter au joie de la société capitaliste un samedi après-midi dans un hypermarché bondé. Ils ont l’extrême bonté de te laisser au rayon manga, que je rebaptisais le rayon Dragon Ball pendant une bonne heure. Ainsi ils avaient la paix, toute la latitude nécessaire pour se quereller à outrance sur le choix des mets pour la famille qui venait manger le soir même. Ils finissaient toujours par venir me rechercher, malheureusement. Mais ils me disaient de prendre un Dragon Ball , puisque j’étais sage. Du coup j’étais content malgré tout de quitter ce rayon Dragon Ball.

Pourtant j’y croisais souvent des filles. Avant, avec mon meilleur copain Julien, on se disait que les filles on s’en fichait. C’était de la virilité en culotte courte, des stupides paroles de mioches. Lorsque l’on a peur de quelque chose, on dit que cela ne nous intéresse pas. Problème réglé. Ma puberté commençait à s’éveiller certainement. Quand j’en croisais une que je trouvais jolie, j’essayais de la regarder un peu, de croiser son regard adolescent. Mais elle ne levait jamais la tête de son manga qui n’était pas un Dragon Ball de toute façon. Mauvaise pioche. C’est marrant mais dès gamin, j’ai toujours eu l’étrange conviction que je ne pourrai jamais être aimé. Par quelqu’un d’autre que ma famille ou mon chien Athos. Et le pire dans tout ça, c’est que j’ai toujours été un véritable cœur d’artichaut.

[ Pour pouvoir savoir ce qu’il se cache dans le chocolat, il faut le goûter et c’est bien le problème qui se présente à vous lorsque vous devenez un adulte responsable et que vous vous rendez compte que vous pouvez devenir le sachet surprise d’autres grands enfants. ]

Donc ils te récupèrent, ils te menacent de remettre le Dragon Ball si tu continues à sauter sur le caddie. “Attention, tu vas rentrer dans les gens.”
Les collisions, c’est ça la vie. Et les adultes en ont si peur. Et là, alors qu’ils bifurquaient au rayon café, qu’ils avaient oublié pendant que Sangoku libérait Namek, tu les vois les sachets ! Tu les laisses a leur caddie de merde, bourré de pesticides et de gras.

Tu les vois en tête de gondole, ils sont énormes ! Ils brillent de mille feux ! Y’a même Woody de Toy Story qui est sur le paquet. Je veux Woody, tu veux Woody, nous voulons Woody. Tous les gosses le veulent ! Y’a un autre gosse a côté de moi, il tire le bras de sa mère en lui montrant , elle manque de lui arracher en maugréant qu’ils n’ont pas le temps. Les parents n’ont parfois pas le temps pour leurs enfants. Même un samedi. Même dans le temple de la consommation. Ils se consument.

Et un jour tu deviens un grand, tu te barres, tu prends ton appart et ils finissent par te reprocher de ne plus donner assez de nouvelles. Ils te reprochent un manque d’intérêt dont ils ont fait preuve au moins chaque samedi de ton enfance. C’est couillon quand même. Est-ce que ça fait d’eux de mauvais parents ? Bien sûr que non. Ils auraient pu me laisser nourrisson, mourrir de déshydratation à l’arrière de la Renault 21. Ils auraient pu me laisser dans l’appartement, la baie vitrée du balcon grande ouverte. Ils auraient pu me confier à une cousine à la gueule d’ange mais qui me montrerait un peu plus tard que sous sa jupe se cachait un tortionnaire qui attachait des souris aux arbres avec un ceinturon de pétards. Non, ce sont à l’évidence de bons parents.

Ton premier sachet surprise c’est le bide de ta mère. C’est toi la première surprise de ta propre vie. Personne ne sait si tu vas plutôt être un cadeau super, qui fonctionne bien, qui fera ses nuits. Ou à contrario un fléau digne de la colère divine, descendu de l’Olympe pour devenir un tyran a la petite semaine. Même toi tu n’en as pas conscience, tu n’as pas encore conscience de toi. T’essaye de survivre dans le petit réduit proposé par maman. Une fois dehors, tu continueras à essayer.

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