L’art de la guérilla UX : abordable, rapide & efficace ?

Les fragilités de la démarche design sont toujours perceptibles, près de 30 ans après que Nielsen et Norman en ont appliqué les principes aux projets numériques. Parmi ces points de fragilité récurrents : non seulement le temps et les moyens impartis aux projets mais aussi la compréhension des apports d’une approche centrée sur l’utilisateur pour le design des interfaces. En 1997, Nielsen privilégiait déjà le pragmatisme au regard du défi de la sensibilisation au design :

Discount usability engineering is our only hope. We must evangelize methods simple enough that departments can do their own usability work, fast enough that people will take the time, and cheap enough that it’s still worth doing. The methods that can accomplish this are simplified user testing with one or two users per design and heuristic evaluation.

C’est ainsi qu’il introduisait la notion de “discount usability”, une version édulcorée et moins orthodoxe des techniques d’évaluation des interfaces. Il s’agissait plus de répondre à un besoin massif d’acculturation aux méthodes de design qu’à un besoin de faire vite et bien. Le credo de cette approche : de mauvais tests utilisateurs valent mieux que d’y renoncer totalement.

Aujourd’hui, on adopte de la même façon le mode guérilla en adaptant les différentes étapes de la démarche UX (recherche utilisateur, conception et évaluation des interfaces) au temps et aux moyens disponibles, ainsi qu’au niveau de formalisme exigé. En résulte une façon de travailler moins “conventionnelle”, pilotée essentiellement par les contraintes du projet.

En dépit de la maturité acquise aujourd’hui par le marché, le discours de l’UX est toujours aligné sur ces impératifs fondamentaux : un résultat visible dans un temps court, pour un minimum de ressources engagées. On considère que la plupart des activités de conception UX peuvent être menées en mode guérilla, à défaut de l’être de façon conventionnelle : interviews guérilla et recherche utilisateur à distance, prototypage rapide, tests guérilla… Si, ces références sont aussi fréquemment ancrées dans les méthodologies que nous présentons à nos clients, c’est qu’une forte pression s’exerce pour que les solutions d’interface soient délivrées sans détours. Cela justifie-t-il le recours au système D ?

Versions informelles et arrangées des méthodes éprouvées, les approches guérilla soulèvent bien sûr de nombreux défis : la légitimité, la fiabilité des résultats, les difficultés d’organisation de la démarche design. Mais, pour les avoir beaucoup pratiquées, nous pensons que l’essentiel ne réside pas l’adhésion ou les écarts qui se manifestent par rapport à la méthode prescrite. En effet, l’essentiel réside plutôt dans notre usage de ces techniques et les marges de manœuvres qu’elles procurent pour faire le vrai travail de fond. Ce que nous appelons le travail de fond consiste essentiellement à embarquer les entreprises dans la démarche centrée sur l’utilisateur. En d’autres termes, la guérilla n’est en partie qu’un artifice destiné à sensibiliser, pour rendre visible le feedback utilisateur.

L’approche guérilla n’est pas une stratégie de substitution mais une tactique censée donner un aperçu des apports de la recherche utilisateur : à partir du moment où ce positionnement est clairement partagé, la question de l’orthodoxie ne se pose plus dans les mêmes termes. L’approche guérilla a pour vocation de renforcer l’appétence des commanditaires du projet pour la recherche utilisateur et non de proposer des alternatives dégradées de la démarche de design. Or, cette perspective n’est pas suffisamment défendue dans les tribunes publiées par les promoteurs de l’approche guérilla. Rares sont ceux qui replacent en perspective les résultats obtenus avec l’approche guérilla. On peut même parfois lire que l’approche guérilla est une façon “plus originale et innovante de faire de l’UX”, ce qui envoie un message contreproductif. Non, cela n’est pas plus innovant. Plutôt, ce sont les barrières d’intimidation envers les méthodes de design qu’il faut d’abord s’employer à abaisser. Il faut enfin replacer la guérilla UX dans une vision plus globale. Elle vise très concrètement à diffuser la culture design et à amplifier progressivement la voix des utilisateurs.

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