Le design d’interaction à l’épreuve des défis du B2B

La conception des produits, des services et des écosystèmes digitaux a longtemps été envisagée, jusqu’à la fin des années 2000 sous le seul angle technologique. On définissait alors le projet en alignant les capacités techniques avec les besoins fonctionnels. L’équilibre entre la technologie et les usages était alors précaire. Le design était précaire dans son approche et dans l’espace qui lui était accordé. Au mieux, l’ergonomie des interfaces arrivait en fin de cycle pour corriger les problèmes d’usages, en surface. Les interfaces n’étaient au final que les ornements du code.
A partir des années 2010, les tenants de l’UX ont réduit le design à une méthode et une toolbox. Cela ne répond que très partiellement aux enjeux de conception des logiciels. Améliorer les outils de millions de travailleurs passe surtout par la définition d’une vision produit, le prototypage et la formalisation graphique. Rendre désirables les interfaces de travail, c’est dépasser le simple constat qu’elles sont “facilement utilisables”. Celles-ci ont aussi pour mission de donner du sens.

Depuis quelques années, les designers sont beaucoup plus présents au sein des entreprises et les agences n’ont plus le monopole de l’expertise. Beaucoup de ces designers sont issus d’agences. De grandes entreprises (IBM, General Electric, Microsoft, Orange…) et les GAFA ont saisi l’avantage compétitif du design et structurent des équipes produit. L’étude 2017 de *designers interactifs* et d’Aquent sur l’emploi met en évidence que les agences et les entreprises sont désormais en concurrence directe pour le recrutement de profils de designers.

UX Pin a mené une enquête après de 3 000 professionnels (essentiellement des UX et des product designers en Amérique du Nord) pour mesurer l’essor du design dans le B2B. Ce que nous apprend l’enquête sur le profil des professionnels du design est révélateur du niveau d’intégration de la pratique dans les entreprises : 59 % travaillent dans une équipe interne. Au-delà de 3 ans d’expérience, ils sont deux fois plus nombreux à travailler dans des structures de plus de 5 000 collaborateurs. Leur activité principale en tant que designer : le prototypage. Une majorité d’entreprises tente de structurer son approche en bâtissant un design system.

Page Laubheimer (Nielsen Norman) a très bien synthétisé les enjeux de l’expérience utilisateur pour les produits B2B. Le contenu doit permettre des temps de décision longs et être adapté aux décisionnaires comme aux utilisateurs finaux. La compatibilité et l’intégration doivent être poussées. Les parcours doivent s’adapter à différents segments de clientèle… Il ne s’agit par d’ailleurs seulement du e-commerce en B2B mais aussi et surtout des applications “métiers”, comme le CRM, les outils de collaboration et plus globalement les outils et les services. Peter Zalman a détaillé de son côté les différences entre UX B2B et UX B2C.

Les principaux défis de design en B2B

La diffusion rapide du design comporte 4 principaux défis, dès que la taille de l’entreprise augmente : améliorer la cohérence, réaliser des tests utilisateurs, clarifier les besoins, collaborer entre les équipes. Travailler avec des technologies obsolètes représente aussi un défi de taille dans les grandes entreprises, car la dette technique peut ralentir la progression de la qualité du produit.

Plus la taille de l’entreprise augmente, plus il est diffucile de faire adhérer à la démarche du design. L’autre facteur de difficulté est la supériorité numérique des développeurs sur les designers. Le ratio le plus répandu est de 20 à 70 développeurs pour 1 designer, toujours d’après l’enquête. C’est ce qui explique la prévalence du mode projet agile ou hybride agile/en cascade (93 % des entreprises). C’est ici que la question de l’échelle prend toute son importance, car le design introduit souvent un changement de culture important et bouleverse, dans une certaine mesure, l’organisation.
La maturité et la perception des apports du design sont fortement affectées par les méthodes de développement du produit. Cette perception de la valeur du design est encore très modérée (pour 63 % d’entre eux). La marge de progression est donc conséquente.

Un facteur temps décisif

Pour Jerry Cao, l’un des auteurs de l’enquête,

Les entreprises sont au final confrontées à la même réalité que celle des produits B2C en ce qui concerne la qualité de l’expérience. Même si la transformation n’est pas pour demain, le futur semble prometteur.

Que ce soient les logiciels, le cloud ou les solutions de collaboration, il est aisé de mesurer l’ampleur du travail à réaliser pour proposer une expérience collaborateur mémorable. L’ UX enterprise n’est pas seulement confrontée à une complexité accrue des interfaces, mais à des facteurs organisationnels qui placent sur un temps long sa progression et son intégration en profondeur.

A titre d’exemple, le leader du CRM en mode cloud, Salesforce, s’est donné pour ambition de réinventer la gestion de la relation client. Ce projet embarque des équipes de designers confrontées aux défis de la “scalabilité” et de la collaboration avec les développeurs. Ses équipes partagent sur Medium des retours d’expérience riches d’enseignements. Salesforce et d’autres éditeurs de solutions recrutent beaucoup de designers. Pour autant, la valeur perçue des solutions Salesforce est-elle meilleure ? Le chemin semble long, entre le moment où la démarche est initiée, les équipes constituées, les premières victoires rapides engrangées et le temps où les interfaces reflètent pleinement la transformation souhaitée.

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