L’économie de la multitude peut-elle fonder un revenu universel ?

Nicolas Colin
L’Âge de la multitude
3 min readJul 9, 2012

Par Henri Verdier

Jaron Lanier est une personnalité peu banale. Compositeur, essayiste, “gourou du web”, il est tenu par certains pour l’un des inventeurs de la réalité virtuelle. Excusez du peu. Un petit tour sur son blog s’impose…

Il est peu suspect de verser dans le mysticisme de la sagesse des foules. Pour lui, Wikipédia a instauré une sorte de Maoïsme digital, les géants d’Internet nous transforment en gadgets, et la prétendue sagesse des foules n’est gère plus intelligente que les réactions de camouflage des céphalopodes.

C’est pourquoi sa récente et remarquable sortie au dernier Personal Democracy Forum est particulièrement digne d’intérêt.

Sauver les classes moyennes

Dans une conférence intitulée How to Not Create a New Cyber Plutocracy ? (“Comment éviter de créer une nouvelle cyber-ploutocratie ?”), Lanier expose une thèse qui pourrait ressembler à un codicille à L’Age de la multitude.

Comme l’a résumé Le Nouvel observateur, cette thèse s’articule en quatre points :

- nos économies occidentales s’exténuent avec la naissance d’une nouvelle classe dominante (numérique) et la disparition des classes moyennes ;

- or, une grande partie de cette économie naissante (qu’il estime d’un ordre de grandeur équivalent au budget de la sécu, mais on ne sait trop comment) provient de l’exploitation des données personnelles de ces classes moyennes ;

- il est donc nécessaire d’instaurer un nouvel équilibre, fondé sur une juste rémunération de l’utilisation des données personnelles des individus.

- et il existe des solutions techniques assez simples, comme celles qu’exploraient les travaux d’un autre pionnier du web, Ted Nelson, qui consistait à transformer les liens hypertextes en liens bidirectionnels permettant d’activer du micro-paiement.

Revenu de vie ou loyer implicite ?

Il est intéressant de noter à quel point cette sortie remarquée rappelle les thèse de l’appel pour un revenu de vie, ou plus précisément de la réflexion sur un dividende universel, qui soutient que, puisque toute activité économique prélève, d’une manière ou d’une autre, des ressources à une planète dont tous les humains sont également copropriétaires, il est naturel que tous les copropriétaires en tirent une rémunération personnelle, inaliénable et décente.

Il est intéressant aussi de noter que les traditions intellectuelles qui conduisent Jaron Lanier à ses conclusions sont très éloignées de celles qui guident L’Age de la multitude, et que l’on assiste pourtant à une sorte de phénomène de convergence évolutive entre ces différentes positions.

Je ne crois pas, personnellement, que cette rémunération permette d’envisager un quelconque revenu sérieux pour les utilisateurs. Facebook, par exemple, avec près d’un milliard d’utilisateurs, génèrera en 2012 un revenu inférieur à 1,5 milliards de dollars, soit moins d’1,5 dollar par utilisateur. Même en leur en reversant la moitié, nous sommes loin du compte.

L’intérêt de la proposition n’est pas là.

Il est d’abord politique.

Il est d’abord de rappeler, comme nous le soutenons dans L’Age de la multitude, que la source première de la valeur de ces organisations est l’activité spontanée, bénévole, parfois inconsciente des utilisateurs. De le rappeler et d’en tirer des conséquences concrètes.

Il est de rappeler qu’une autre architecture générale du système est possible. Qu’il est possible de tracer finement les circuit de la création de valeur et de distribuer les flux différemment. Tout comme il serait par ailleurs possible d’articuler les grands réseaux sociaux autour de données détenues et contrôlées par leurs utilisateurs.

Il est enfin d’ouvrir une voie très intéressante pour une nouvelle approche de la fiscalité du numérique. Car une mesure extrêmement précise du taux de clic pourrait représenter la définition d’une assiette de création de valeur. Et ce, quelle qu’en soit la monétisation — effective ou non. Le droit a déjà su inventer la notion de “loyer implicite” pour qualifier le fait que les propriétaires économisent le loyer qu’ils ne se versent pas à eux-mêmes. Il pourrait imaginer un autre revenu implicite portant sur la fraction de l’économie de la multitude qui est captée. Quand bien même celle-ci ne serait pas immédiatement monétisée.

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Nicolas Colin
L’Âge de la multitude

Entrepreneurship, finance, strategy, policy. Co-Founder & Director @_TheFamily.