Entrez dans la danse

Duc Ha Duong
l’avenir appartient
7 min readJun 11, 2020

Par l’irruption inopinée de l’opportunité de reprendre les locaux de The Family au 25 rue du Petit Musc (certains disent encore “Les anciens locaux de Babel”), les choses s’accélèrent. De quelques principes pour poser notre intention, nous en venons maintenant à devoir converger dans les semaines à venir vers une série de décisions importantes.

Cet article est le 5ème d’une série sur l’ouverture d’un écolieu urbain en parmaculture humaine dans Paris.

Si tu veux co-construire un bateau…

La première étape est de passer de conversations 1 à 1 à des conversations à plusieurs. Bien sûr pour gagner en efficacité dans les échanges, et surtout pour décentrer cette conversation de mon unique personne, afin de permettre au collectif de se structurer organiquement, sans lui imposer un modèle en étoile ou en pyramide. Alors, c’est un peu troublant car nous n’avons pas structuré de rôles ni de cercles, ni de tâches, ni de missions... On organise des réunions sans autre ordre du jour que “de parler de cette histoire d’écolieu urbain”. Pas évident pour notre éducation cartésienne qui nous a appris qu’il fallait un ordre du jour, des livrables définis par avance, permettre à chacun de décider si son temps sera bien investi à venir à la réunion en fonction des attendus. Nous avons tous vu passer cette magnifique citation apocryphe attribuée à Saint-Exupéry :

Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose… Si tu veux construire un bateau , fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer.

Elle est belle mais en pratique, qui veut bloquer une heure pour venir à une réunion “Ordre du jour : écouter un gars parler du désir de la mer” ? Et si en plus on souhaite non pas construire, mais co-construire, le défi devient non plus d’être seul à faire rêver les autres, il devient de se réunir pour parler ensemble du désir de la mer. Alors, qui vient ?

Eh bien, malgré le cafouillage sur l’horaire, nous étions pourtant hier une demi-douzaine à répondre à la proposition d’un appel sans ordre du jour précis, juste une promesse de ne pas dépasser 30 minutes, dans une logique de perte acceptable chère à l’effectuation. Et nous avons pu évoquer des aspects d’organisation matérielle qui n’étaient pas encore abordés dans les 4 articles précédents.

Quelle est la vision du projet ?

On a évoqué l’idée de faire un hub de la Tech for good par exemple. Pour ma part, j’ai posé les 5 causes de la tribu Offi : le Vietnam, le progrès, la durabilité, le partage du savoir, l’entrepreneuriat social. D’autres ont peut-être plus simplement envie de faire une expérience sur le futur du travail, et encore d’autres voient simplement une opportunité de trouver des bureaux pour leur startup avec une chouette image. Dans un esprit de co-construction, j’aspire à ce que toutes les parties prenantes puissent faire entendre leur vision, et que chacun puisse librement trouver sa place. Ca tombe bien, beaucoup de points de vue sont compatibles. Chacun peut appeler le lieu du nom qu’il le souhaite, tant qu’il ne force pas les autres à l’utiliser aussi. Nous laisserons ainsi émerger une raison d’être du lieu, en lui laissant la possibilité d’évoluer au fil du temps.

Les causes de la tribu Offi… #jdcjdr

Tous confondateurs

Je me trouve pour l’heure dans une posture un peu délicate. Si tout continue comme ça, ce projet va devenir “le projet de Duc”. Et donc, un cinglant échec de co-construction. En même temps, si je prends du recul, va-t-on aller de l’avant ? Une solution simple serait de réunir les 6 personnes qui m’ont déjà contactées, en faire un premier cercle, et commencer à se distribuer des rôles. Sauf que si l’on sera alors en effet passé de l’individuel au collectif, on n’aura pas décentré pour autant le projet. On l’aura simplement doté d’un plus gros centre, formé de 6 co-fondateurs, qui auront plus de légitimité que les suivants juste parce qu’ils étaient arrivés les premiers. Et du coup, quelle place pour ces suivants ? Comment leur éviter le sentiment d’arriver trop tard, après la bataille, qu‘il ne reste plus que des places de passager, à prendre ou à laisser ? Car je rêve d’une planète sans passagers, où nous faisons tous partie de l’équipage. C’est aussi pour cela que je n’ai pas encore créé de Whatsapp/Slack/GroupeFB ou autre lieu numérique qui excluerait ceux qui ont choisi de ne pas utiliser tel outil, et donnent au nouvel arrivant l’impression d’avoir raté le début. Bien sur, il faudra que cela arrive, mais essayons de repousser cette échéance autant que possible pour rester dans l’informel et inclure un maximum de personnes.

Un socle, pas une ombrelle

Donc tout le monde est confondateur, et nous construirons une vision ensemble. Et ben moi, je vais pousser la mienne. Ainsi, il m’importe que le lieu ne soit pas un machin de plus dans le paysage des organisations. Ce n’est pas une marque, pas une ombrelle sous laquelle les projets se développent. Il ne s’agit pas de déployer une superstructure qui va héberger en son sein les différents projets. L’association à but non lucratif qui portera le contrat de bail n’aura aucune autorité sur les autres structures. Ce n’est qu’un outil comme un autre. Elle n’aura pas de nom public (un nom d’usage émergera sans doute pour le lieu), pas de community manager, pas de projets en propre, même pas celui de louer des bureaux. Rien n’y arrivera tant qu’il n’y aura pas une personne physique pour décider de quelque chose ayant rapport avec le lieu.. Par exemple, même si il y a moyen de gagner de facilement de l’argent pour payer le loyer en faisant une activité A, cette activité n’aura pas lieu tant qu’une personne de la tribu n’aura pas pris la décision de porter en son nom l’activité A, reversant en conscience une fraction à l’association.

Quelles sont nos chances pour The Family office ?

Ce qu’on sait c’est que le scenario idéal envisagé est la reprise par un coworking qui capitaliserait sur la marque The Family, payant une franchise pour garder le logo. Sans doute avec quelques aménagements supplémentaires (“Oussama viendra 1 jour par moi faire des office hours” ou “Inclus un discount pour accéder aux événements en ligne de The Family”), il y a largement moyen de facturer un premium par rapport au marché du bureau ordinaire. Ce scenario passera clairement en priorité vu qu’il rapporterait du revenu passif à The Family. Donc on n’est pas le repreneur idéal.

Et donc maintenant ?

Il nous faut maintenant récolter les intentions des parties prenantes. Idéalement, facilité par des professionels de l’intelligence collective, nous prenons un temps dans les locaux pour que chacun puisse poser son intention, en flux marchands et non marchands. Exemple : “Avec mes collègues de la société X, nous nous voyons bien disposer d’une salle privative pour 20 lundi et mardi, puis partager l’openspace sur une dizaine de postes le reste de la semaine. Nous aurons aussi besoin de venir le samedi après midi, et il nous faut un baby foot. Pour ça nous paierions 5 k€ par mois” Ou bien “Je pense que je peux privatiser la grande salle un soir par mois pour 5 k€. J’aurais 2k€ de frais, je garde 1.5k€, et je mettrai 1.5 k€ dans le pot pour le loyer”. Dernier exemple : “Je vais donner des cours de cuisine, je propose de payer 50% de mon CA pour pouvoir utiliser la cuisine 3 heures le vendredi midi. Avec un peu de chance ça peut rapporter 500€/mois”

Une fois collectées toutes ces intentions, on s’assure qu’elles sont compatibles entre elles, et on regarde quelle est l’espérance de financement de la cagnotte. Libre à chacun bien sur de pondérer chaque contribution selon ce que son instinct lui souffle.

Il faudra certainement plusieurs itérations, jusqu’à obtenir une vision de l’avenir qui mettre assez de personnes à l’aise pour qu’elles aient envie de continuer ensemble, sur cette base. Pour ma part, je veillerai aussi à ce que aucun acteur ne finance plus de 20% afin d’éviter toute dépendance.

A la fin du mois, on voit qui tient parole, et qui ne peut pas. C’est là que la transparence joue un rôle crucial : si quelqu’un fait défaut alors que sa situation financière est opaque, les tensions vont vite devenir insupportables. Si elle est transparente, alors le reste de la tribu va au contraire pouvoir faire preuve de solidarité (“Attends on va te trouver des clients”, “Tu as besoin de contacts ?”). Je n’évoque pas une transparence radicale mais ce qu’il faut pour garder la tribu en confiance, à voir au cas par cas.

Avons-nous des volontaires pour animer cette séance ? Ce Vendredi 12 j’irai visiter les locaux, je demanderai si on peut les utiliser pour cette demi-journée d’intelligence collective. Et il faudra sans doute remettre le couvert de la facilitation tous les 3 ou 6 mois pour rester en harmonie.

Pas de méprise : si ce texte peut ressembler à une tribune solo, il n’en est rien. C’est un compte-rendu enrichi d’un salon FB sur le sujet. Le monde de demain doit être co-construit. Si ces réflexions vous intéressent, si vous avez repéré des écolieux urbains qui réinventent le lieu de travail, si votre meilleur ami est directeur RSE/Innovation/Digital d’un grand groupe immobilier, si vous avez hérité de 1000m2 dans Paris Centre et ne savez pas quoi en faire : laissez nous un commentaire, ou retrouvez nous sur Facebook !

(Les illustrations de la Creative Tribe, comme toujours.)

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Duc Ha Duong
l’avenir appartient

Entrepreneur, father, barbarian, dreamer, prospectivist, teal evangelist, optimistic, french-vietnamese, parisian, feminist, caretaker. Blind to legal fictions.