Un Etat-Réseau pour servir l’émergence des Communs

Duc Ha Duong
l’avenir appartient
4 min readDec 19, 2020

Je suis particulièrement marqué par l’audace du livre de Sébastien Soriano, “Un avenir pour le service public”. L’avenir qu’il propose s’inscrit dans une vision du futur pour notre société toute entière qui me parait radicalement souhaitable.

Le sous titre ne me démentira pas : “un nouvel Etat face à la vague écologique, numérique, démocratique”. Une vague qui a tout d’un raz-de-marée, car elle ne se retirera pas en laissant notre pays revenir à sa situation initiale. Heureusement, si nos cerveaux biologiques n’ont pas tant évolué en 100 ans, nous avons tout de même réalisé des progrès cognitifs significatifs. Je vous laisse avec James Flynn pour les explications :

Si les énormes progrès des grandes découvertes jusqu’aux Lumières sont marquées par la prise de conscience “je sais que je ne sais pas”, et donc ça vaut le coup d’affréter une caravelle pour aller voir se qui se cache au-delà de l’horizon, la révolution industrielle doit beaucoup à notre capacité à imaginer l’hypothétique, ce qui n’est pas. Ceux qui cultivaient cette capacité se sont retrouvés dans les bureaux d’étude, tandis que les autres restèrent assignés aux chaînes de production en vertu de l’organisation scientifique du travail, qui sépare la conception de l’exécution. Le tout opérant dans cette sphère professionnelle, un espace sacralisé dans lequel, pour des raisons de réduction de la complexité, les flux non-marchands sont restreints au strict minimum.

Ceux qui me connaissent savent mon engagement pour débrider nos existences de cette schizophrénie pro/perso, que votre anesthésiste appellera délicatement “work/life balance”. Permettre ainsi à chacun de se rapprocher de la plus vraie version de soi. Si cela peut ressembler à une simplification de nos vies de n’en avoir qu’une seule, de rester toujours aligné avec qui l’on est et ce que l’on ressent, ce que regroupe le concept de Wholeness que je ne saurais traduire en un seul mot, c’est en fait une élévation de la complexité que d’ajouter les trois flux non marchands dans nos activités productives.

Nina elle explique bien la Wholeness, abonnez-vous à sa chaine Open Opale!

Dans son ouvrage, Sébastien Soriano est encore plus audacieux. Il propose que nous parvenions à dépasser notre appétence naturelle pour la bipolarité (bien/mal, chaud/froid, égoiste/altruiste, yin/yang etc.), et transcender notre vision Public/Privé pour aller vers une société à trois piliers : Public/Privé/Commun.

Les acteurs du Public sont les établissements, les administrations, l’Etat. Les acteurs du Privé sont les personnes morales, entreprises et associations. Les acteurs des Commun, sont les tribus, collectifs regroupant des individus qui participent à la gouvernance communautaire qui caractérise le Commun.

Tout cela inspiré de la pensée de l’économiste Elinor Ostrom.

Source : Wikipedia

[Elinor Ostrom] a surtout étudié la question du dilemme social dans le domaine des ressources communes : ressources hydrauliques, forêts, pêcheries, etc. Avant ses travaux, dans ces cas, seulement deux solutions étaient envisagées : l’État-Léviathan qui impose le bien public ou une définition stricte des droits de propriété individuelle. Son œuvre tend à montrer qu’il existe une autre voie, l’autogouvernement dont elle définit les huit principes caractéristiques nécessaires à sa pérennité ainsi que les deux éléments clés de son émergence : la réciprocité et la confiance.

L’Etat-Stratège qui pilote depuis son cockpit à partir de tableaux de bords toujours plus abstraits et complexes et déconnectés, serait ainsi invité à céder la place à un Etat-Réseau qui faciliterait l’émergence de ces Communs par l’encapacitation (empowerment) des individus et la création de biens communs (opengov, opendata).

Un signal concret de l’émergence de ce besoin de mutation : le déploiement de la 5G. Nous avons assité à une approche très verticale de l’Etat public et des acteurs privés du secteur, qui ont cru pouvoir procéder comme pour la 4G, et comme pour la 3G avant, à savoir : chacun son rôle, et le nôtre est de déployer le plus vite possible car le monde nous attend, inconditionellement. Ils n’ont pas pensé au plus tôt à proposer de fréquences libres, de zone de tests, d’équipement ouverts, d’appropriation de la technologie par les tiers lieux et fablabs citoyens… Si bien entendu on ne peut ré-écrire l’histoire, je partage avec Sébastien le sentiment que cela aurait grandement pu faciliter le dialogue et la prise en compte des préoccupations citoyennes, notamment sur les enjeux écologiques et de vie privée.

Rare image d‘un transfert d’inspiration par le regard.

Il y a plein d’autres sujets abordés dans le livre, et surtout, il nous raconte des exemples concrets illustrant que son propos n’est pas le récit d’une utopie inspirante ; c’est le tracé d’un chemin là, qui se présente devant nous. Dès lors il n’appartient plus qu’à nous de choisir de l’emprunter. Dans un monde si confus et volatil, où toutes les solutions évoquées sont soit à toute petite échelle, soit fleurent bon le yakafokon, il est réconfortant de voir que certains haut fonctionnaires ont des idées claires, innovantes, convaincantes, pragmatiques, sur les orientations à prendre. Je vous remets donc ici le lien pour votre liste de Noël : “Un avenir pour le service public”.

Merci Sébastien.

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Duc Ha Duong
l’avenir appartient

Entrepreneur, father, barbarian, dreamer, prospectivist, teal evangelist, optimistic, french-vietnamese, parisian, feminist, caretaker. Blind to legal fictions.