Samuel B. Rozenbaum
La bande song & autres pensées
6 min readJan 4, 2021

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Le courage est un récit de vie à références multiples incluant une bande-son originale et une bande-son d'inspiration. Voilà quelques années maintenant que je travaille à le peaufiner. À l'occasion des fêtes de fin d'années 2020, j'ai décidé d'en publier une version limitée et numérotée avant sa "vraie" sortie. Celle-ci est présentée sous forme d'enveloppe souvenirs incluant des photos, la bande-son de onze titres dans une version acoustique, le livre et un magnet souvenirs. Ci-dessous, un chapitre dudit livre pour s'immerger dans l'écrit et dans la double bande-son.

Pour acquérir une enveloppe souvenir, rendez-vous jusqu'au 2 février 2021 sur https://samuelrozenbaum.bandcamp.com

:: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: CHAPITRE 01

Tout, je me rappelle de tout sauf de cet instant. Je revois la lumière qui traverse le simple vitrage, ce rayon de soleil qui caresse le parquet de la chambre. Je sais la position de chaque objet sur mon bureau d’enfant. Je sais la housse de couette qui protège la couette qui protège le lit sur lequel je suis assis. J’ai souvenance sur le bout des doigts des minutes qui précèdent l’annonce, mais ce fragment là, je ne l’ai pas. Me voilà face au trou noir le plus imposant de cette galaxie. Béant, considérable, substantiel. Mon grand-père n’est plus et dans quatre semaines, jour pour jour, j’aurai six ans. Henri est mort, mon histoire commence dans cette antimatière.

D’aussi loin que je me souvienne, Papy Henri a joué un rôle prépondérant dans ma vie. J’ai toujours posé des tas de questions à son sujet. J’ai toujours eu envie de le raconter à tout le monde. M’avait-il confié quelque chose d’important qui dort encore dans mon inconscient ? Je l’ignore, mais le faire revivre est une nécessité de chaque instant.

Cet été, un soir que j’étais au cinéma, je me suis mis à prendre des notes, frénétiquement. De nouveau est apparu clairement ce besoin de rendre hommage à mon aïeul. Serait-ce sous forme de film ? de livre ? de disque ? Je porte en moi cette hydre à trois têtes, sorte de trinité culturelle qui m’accompagne depuis l’enfance. Elle souffle encore aujourd’hui à mes oreilles les mots qui me sont indispensables. Toutes les décisions que je prends découlent de l’écoute d’une chanson, du visionnage d’un film ou de la lecture d’un bouquin. Toutes. Que ce soient des œuvres majeures ou non dans l’Histoire de l’Art, que ce soient des choix mineurs ou non de ma propre histoire, je suis guidé de manière permanente par ces milliers de références pas toujours d’une grande portée philosophique, je l’accorde, mais qui éclairent invariablement mon chemin. À la lueur de ces lumières, j’ose explorer des routes inconnues, celles qui me sembleraient trop sombres sans cet essentiel secours. It’s a kind of magic, ma magie à moi, celle qui me permet d’avancer. Je dois rester en mouvement. Perpétuellement. Moving, just keep moving.

Si j’ai voulu être volcanologue en CM1, je sais que je le dois à un documentaire d’Haroun Tazieff, celui sur l’Etna qui avait été projeté dans le préau de mon école un jeudi après-midi pluvieux. J’allais fêter mon neuvième anniversaire et cette envie serait mienne pour les six suivants. Si j’ai insisté auprès de Florent, un copain de collège, pour qu’il m’enseigne la guitare, c’était dans l’unique optique de jouer un jour le riff de cette chanson de Jean-Jacques Goldman : Bonne idée. Entre temps, j’ai appris mille autres chansons, mais reproduire ce stimulus d’origine correctement semble être resté de tout temps hors de ma portée. Si j’ai commencé à travailler dans le milieu de la musique, c’est dû au film Almost Famous que j’ai vu le 13 avril 2001. Dans les semaines qui ont suivi, j’étais incapable de penser à autre chose qu’à la scène du bus où tout le monde chante Tiny Dancer. Je n’aspirais qu’à vivre une expérience similaire : une communion spectaculaire dans un bus de tournée, où toutes les tensions s’envolent dans une chorale surnaturelle. La réconciliation par Elton John. Que c’était beau ! Alors j’ai demandé son avis à Jean-Marc, le seul contact que j’avais dans ce milieu, et j’ai suivi ses conseils : je suis devenu l’homme à tout faire d’un groupe de musiques tziganes & klezmer, puis le pseudo conseiller d’un chanteur algérien. J’ai aiguisé mes armes à leurs frais pendant deux ans puis avec eux, ce fut la fin du voyage (crrr, crrr).

Par bonheur, un nouveau trajet commença en parallèle avec un jeune interprète (à l’époque) et auteur talentueux (qu’il est resté). Pendant dix ans, j’ai vécu à ses côtés des expériences proches de ma quête initiale. J’ai noté dans l’intervalle que la communion pouvait fonctionner avec bien d’autres chansons.

Enfin, si j’ai recontacté mon père peu avant de devenir trentenaire, après douze années de silence, je le dois au livre Retour à Reims. En me projetant dans le monde de l’auteur, j’ai réalisé que je ne voulais pas prendre le risque d’attendre la mort de mon géniteur pour découvrir qu’il n’était peut-être pas le con que je pensais. Jusqu’alors je ne conservais de lui que des souvenirs torturés et un nom de famille juif sépharade que j’ai pris l’habitude de ne revêtir que pour ma vie administrative. Le 2 janvier 2010, en refermant l’essai de Didier Eribon, j’étais transformé. Il était temps de tout changer aujourd’hui, le premier jour du reste de ma vie. J’ai enquêté sur internet, trouvé un numéro de téléphone et prévenu ma mère pour éviter de la heurter. Puis j’ai appelé mon père pour la première fois depuis mon enfance.

Et me voilà. J’en suis là. Encore une fois. Prêt à recommencer, à me lancer, à m’exprimer par n’importe quel moyen. J’ose un exode inversé. À la recherche du passé de mon grand-père, c’est résolument vers mon futur que je me dirige. Je cours à la rencontre de ma mémoire. Au final, ce n’est que moi que j’espère trouver. Tout tenter pour échapper à la prédiction de Gide. « Il y a d’étranges possibilités dans chaque homme. Le présent serait plein de tous les avenirs, si le passé n’y projetait déjà une histoire. »

Ce qui jadis fut un poids sera désormais mon carburant. Je jure de jouer franc-jeu. Il me faudra accepter que le trajet comporte des instants de grâce comme des moments difficiles. Il me faudra embrasser d’un même mouvement l’amusant, le honteux et l’insignifiant. Lorsque certaines étapes me désoleront, je tâcherai de les rendre captivantes. Ça y est, j’ai bougé, j’ai dû m’en aller, partir, bifurquer. Je ne m’accorde plus vraiment le choix.

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Ce chapitre a en effet aussi été écrit sous l’inspiration des œuvres de Laura Mayne (Ce dont je me souviens), Jean-Jacques Goldman (Ton autre chemin & Bonne idée), John Maloof & Charlie Siskel (Finding Vivian Maier), Queen (Kind of Magic), Supergrass (Moving), Haroun Tazieff, Cameron Crowe (Almost Famous), Elton John (Tiny Dancer), Florent Pagny (Châtelet les Halles — et le crr crr de la guitare vers 3mn16), Bastien Lucas, Didier Eribon (Retour à Reims), Etienne Daho (Le premier jour), Bryan Adams (Here I am), André Gide (Les nourritures terrestres), Mc Solaar (Bouge de là).

Pour acheter Le courage en avant-première dans son enveloppe-souvenirs, rendez-vous jusqu'au 2 février sur bandcamp !

© 2020, Samuel Rozenbaum + Utuh

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Samuel B. Rozenbaum
La bande song & autres pensées

Si ma croissance est terminée, pourquoi mon front continue-t-il de grandir ? ● Explorateur de mots, de notes, et d'images.