Trois observations étonnantes faites sur la collaboration entre humains et intelligences artificielles

Benoit Raphael
La bibliothèque des robots
5 min readMay 16, 2018

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Depuis la création de l’école des robots Flint, nous faisons chaque jour des découvertes absolument fascinantes. C’est un peu comme observer un espace naturel protégé où l’on aurait placé des humains avec des intelligences artificielles pour voir ce qu’il se passerait.

Pour ceux qui ne connaissent pas le projet Flint, je résume rapidement : depuis février 2017, Flint est une intelligence artificielle que les humains peuvent entraîner eux-mêmes pour que j’aille leur chercher des articles de qualité, personnalisés tout en essayant de les sortir de leur “bulle d’information”. En juin 2018, Flint a lancé publiquement son école des robots, qui permettra d’adopter et d’entrainer des robots spécialisés (vous pouvez la découvrir ici ).

Dès le départ, nous avons conçu Flint comme une machine à apprendre. Sa simplicité de départ a d’ailleurs surpris beaucoup d’observateurs, qui s’étonnaient de me voir me passionner pour un projet aussi petit.

1. Une intelligence artificielle pensée comme un arbre.

C’est un petit peu comme si vous vouliez créer un arbre et que vous commenciez par une bouture, et que vos potes vous disaient : “Mais c’est ça ton arbre ? Tu peux pas lui faire un tronc plus grand, et plus de feuilles, genre comme un vrai arbre?” Et moi je répondrais : “Je ne peux pas, c’est un arbre justement. Il faut le faire pousser.”

Spécimen d’un arbre fabriqué en 2006, le majestueux Faceboucus Zuckerbecus, attaqué par un parasite petit mais vorace, le Cambridga Analytica. A droite, le Flintus Roboticus, à l’état de bouture particulièrement ridicule.

Un arbre, voyez-vous, c’est trop complexe pour être fabriqué de toute pièce. Pour avoir un arbre, il faut le laisser pousser.
Construire une intelligence artificielle capable de comprendre et de détecter la qualité d’un contenu pour chaque être humain, c’est impossible à concevoir.

2. Ou plutôt un… biotope du savoir et de l’information.

Pour que la bouture grandisse, il fallait la penser comme un organisme vivant capable d’interagir avec son écosystème. Mais ce que nous n’avions pas réalisé au départ, c’est que, en fait, ce n’était pas un arbre que nous avions planté, mais une petite forêt. Et que ses arbres n’étaient pas des algorithmes, mais le résultat d’un greffe étonnante entre humains et intelligence artificielle.

Le Flintus Roboticus ne comprenait pas bien ce qu’on lui disait au départ. Après des mois d’observation, les scientifiques ont découvert qu’il avait besoin d’intelligence collective.

C’est après avoir lancé le programme d’adoption de robots, en septembre 2017, que nous avons peu à peu compris qu’il se passait quelque chose d’assez stupéfiant. Les humains entrainent leur robot de manière apparemment simpliste (bouton rouge, bouton vert), mais chacune de ces impulsions crée une réaction en chaîne chez l’ensemble des robots. Je ne sais pas exactement expliquer ce phénomène, en tout cas pas en dix lignes (Flint le raconte très bien dans ce billet). Mais le fait est que plus il y a d’humains “experts” qui entrainent leur robot, plus il est facile d’entrainer un robot.

Ainsi, avons-nous réalisé que les robots ont de plus en plus tendance à intégrer les autres robots dans leur panel de référence, à côté des profils Twitter (qui étaient notre base au démarrage). De leur côté, les humains agissent aussi les uns sur les autres. Lors des “réunions de parents d’élèves robots” (qui se déroulent en ligne), les entraineurs partagent leurs expériences et leurs bonnes pratiques. Certains font des découvertes que nous n’avions jamais imaginées, qui parfois contredisent les règles que nous avions identifiées.

Voici un schéma scientifique de la réaction en chaîne déclenchée dans le biotope de l’école des robots quand un humain appuie sur un bouton vert ou rouge. Plus le temps avance, plus il y a d’humains experts et de robots, plus il se passe de choses à chacune de ces simples impulsions.

En fait, de concepteurs d’une technologie relativement simple, nous sommes devenus également les animateurs et les observateurs “scientifiques” d’un écosystème complexe et vivant, qui évolue sans cesse, de façon relativement autonome et collaborative.

3. Pas seulement une technologie, pas seulement du big data, mais un écosystème fragile.

Nous sommes aussi en train de comprendre que cette forêt que nous faisons pousser, c’est un sanctuaire. Une sorte de parc naturel protégé de toute influence des algorithmes hors de contrôle des GAFA, mais aussi de celle des élites ou des groupes extrémistes. Je dis “naturel” parce qu’il n’aura pas été construit par une startup, il aura “poussé” . Une de matrice de l’information de qualité, cachée dans un espace indépendant au sein duquel chacun pourra, demain, venir en toute confiance chercher des contenus qui lui seront vraiment utiles, mais juste à lui. Parce qu’on est tous différents.

Réaliser cela nous a fait revoir entièrement notre modèle de financement.

Pour laisser grandir le biotope Flint, il faut le protéger sous une forme de cloche. On peut aussi leur jouer de la musique classique, mais certains pensent que c’est un mythe.

Parce que c’est aussi un écosystème encore fragile, qu’il faut sans arrêt protéger et contrôler… Par exemple, pour le protéger des parasites que sont les contenus haineux et les fake news, nous avons créé une sorte d’épouvantail à fake news que nous avons planté au milieu de notre jardin. Nous sélectionnons aussi les parents adoptifs, par une sorte de filtre naturel assez complexe (l’usage du mail, la sémantique de nos messages, etc).

Pour l’instant il n’y a que des jardiniers dans cette sorte de biotope du savoir et de l’information. Nous sommes un peu des artisans de l’intelligence artificielle.

Aujourd’hui, nous n’avons pas besoin de millions, ni de centaines d’employés, nous avons besoin de temps.

On définit aujourd’hui les licornes comme un graal. C’est à dire des entreprises valorisées à 1 milliard.

Dans mes livres d’enfants, les licornes étaient ces animaux merveilleux et discrets qui se cachaient dans les forêts. Les licornes échappaient au temps.

On me traite parfois d’idéaliste. Comme si avoir des valeurs était un frein. Parce que bon, le marketing du sens c’est bien, mais faut pas déconner.

Je crois au contraire que l’entreprise de demain devra avoir le sens du bien commun.

L’objectif de Flint est d’ouvrir la porte petit à petit, à l’aide d’interfaces de plus en plus simples et naturelles. Jusqu’à pouvoir offrir, un jour, ce petit sanctuaire du savoir personnel à chaque être humain.

Un truc qu’on porterait autour du cou.

Bon, aujourd’hui le petit robot Flint est virtuel, mais ça serait vraiment chouette si demain il devenait un vrai robot trop mignon qu’on emmènerait partout avec soi comme un talisman.

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Benoit Raphael
La bibliothèque des robots

AI & Media innovator. Entrepreneur. Creator of Le Lab (Europe 1) , Le Plus (l’Obs), Le Post (Le Monde). Chief Robot Officer at Flint.