Google et la ville : revenir à l’essentiel

Cécile Maisonneuve
La Fabrique de la Cité
3 min readApr 16, 2018

Cet édito est extrait de L’Instant Urbain (mars 2018) de La Fabrique de la Cité, think tank sur les transitions et innovations urbaines. Découvrez nos travaux ici.

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Photo : Thomas Hawk via Flickr (CC BY-NC 2.0)

Il y eut d’abord le rachat de Waze, un calculateur d’itinéraires qui a, depuis son acquisition par Google en 2014, enrichi son offre jusqu’à proposer des partenariats avec les villes. Le programme Connected Citizens permet ainsi à « des centaines de villes, de ministères des transports » d’établir « des relations significatives » et de partager « régulièrement leurs connaissances pour trouver des solutions créatives. De la gestion des routes à la réduction mesurable de la congestion, ces initiatives construisent les villes de demain », nous dit le site internet de Waze. Ainsi, quand d’autres plateformes numériques se sont imposées aux villes via une stratégie non collaborative, voire agressive, Waze a suivi un cheminement exactement inverse et peut à juste titre se targuer d’être un partenaire. Y compris quand il s’agit du nerf de la guerre, l’échange de données, ainsi que l’avaient expliqué les autorités de Boston lorsque La Fabrique de la Cité y organisa son séminaire international en juillet 2016.

Vint ensuite, en 2015, la création de Sidewalk Labs, la filiale d’Alphabet, entreprise mère de Google, dédiée à l’innovation urbaine et créée dans l’objectif d’« améliorer les infrastructures urbaines grâce à des solutions technologiques et de s’attaquer à des problèmes tels que le coût de la vie, l’efficacité des transports et l’usage de l’énergie ». Rien que ça… La nomination de Daniel Doctoroff, ancien adjoint de Michael Bloomberg à la mairie de New York et artisan de la renaissance du Brooklyn que nous connaissons aujourd’hui, signait, au-delà de l’ambition, la volonté de Google de ne pas se cantonner aux data-services mais bien d’aller au-delà, sur des problématiques « en dur », d’aménagement et de politiques urbaines. L’annonce, en octobre 2017, du partenariat avec Toronto pour l’aménagement d’une des plus grandes friches urbaines d’Amérique du Nord (325 hectares) incarne cette ambition : Google se positionne aujourd’hui comme aménageur urbain, partenaire des villes.

Depuis cette annonce, les questions fusent : quid de la gouvernance des données ? Quelles technologies innovantes ? Bref, que va sortir Google de son chapeau ? Le lancement tout récent de Replica est une première réponse à ces interrogations. Cet outil, pour l’heure destiné aux collectivités américaines, permet, grâce à un échantillon de données représentatif de la population (environ 5%) de « répliquer » des schémas de déplacements dans les villes. L’innovation majeure qu’il porte tient à sa capacité à dire non seulement où, quand et comment nous nous déplaçons mais aussi pourquoi. Là où les acteurs de la planification urbaine recouraient à de longues et coûteuses enquêtes, comme telles difficiles à actualiser, ce nouvel outil permettra, tous les trois mois, d’avoir une vision et une compréhension actualisée de ces flux. Il s’agit d’un pas fondamental dans l’intelligence des mobilités.

Que nous dit cette stratégie de Google sur la ville ? D’abord, que, contrairement à la plupart des grands acteurs du numérique, l’entreprise de Mountain View avance avec une grande prudence sur le sujet urbain. Non seulement elle en comprend toute la complexité mais elle s’appuie sur celle-ci pour travailler avec. Ensuite qu’être centré sur les utilisateurs ne signifie pas seulement travailler pour et avec les citadins, c’est aussi travailler avec les services techniques, les agences d’urbanisme, les autorités organisatrices de mobilité, etc., bref avec ceux qui gèrent les villes au quotidien pour les aider à résoudre les problèmes. Comment mieux penser les infrastructures de mobilité en lien avec nos activités du quotidien ? Comment résoudre la congestion ?

L’histoire ne manque pas d’ironie. Là où tous attendaient Google sur des technologies mirobolantes — véhicule autonome, bâtiment surintelligent, blockchain… -, le géant numérique revient aux questions fondamentales de la fabrique de la cité. Et ce retour aux fondamentaux a quelque chose de bien plus enthousiasmant que d’anecdotiques innovations hype dont nous a abreuvés le discours sur les smart cities.

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Cécile Maisonneuve
La Fabrique de la Cité

Chair, la Fabrique de la Cité. Senior Advisor, IFRI. Writes on Cities, Innovation, Energy, and Geopolitics.