Logement abordable : l’exception viennoise

Marie Baléo
La Fabrique de la Cité
3 min readMay 16, 2018

Cet édito est extrait de L’Instant Urbain (avril 2018) de La Fabrique de la Cité, think tank sur les transitions et innovations urbaines. Découvrez nos travaux ici.

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Logement social de Reumann-Hof à Vienne — Payton Chung via Flickr (CC BY 2.0)

Sous l’effet conjugué d’une métropolisation sans précédent et de l’attractivité qu’exercent leurs aménités, de nombreuses villes européennes font aujourd’hui l’expérience d’une forte croissance démographique. Une croissance source de tension des marchés de l’immobilier résidentiel, alors que les collectivités locales peinent à garantir le rythme de construction qui permettrait d’espérer répondre à cette demande accrue. Conséquence de cette tension : une hausse généralisée des prix du logement, aujourd’hui de plus en plus décorrélés des revenus. À cela s’ajoutent encore, pêle-mêle, la rareté d’un foncier disponible dont les prix ont parfois doublé, voire quadruplé au cours des dernières décennies, l’amenuisement progressif du parc de logement abordable, parfois sous l’effet de politiques de vente de logement sociaux, la spéculation croissante, liée à la nature duale du produit logement, et son effet inflationniste sur les prix, ou encore l’étroitesse du cadre réglementaire présidant à la construction de logement. Autant de facteurs qui menacent de rendre ces villes inaccessibles à de nombreux ménages…

Dans ce paysage accidenté, Vienne fait figure de contre-exemple : la capitale autrichienne, 1,8 million d’habitants, en accueillait en 2016 30 000 de plus ; pourtant, le logement y demeure pléthorique et étonnamment abordable. Vienne aurait-elle trouvé la panacée ? Les ressorts du succès sont doubles : en premier lieu, la ville récolte aujourd’hui les fruits d’une tradition séculaire de construction de logement social en grande quantité, née d’un ambitieux programme de construction à destination des classes populaires dans les années 1920 et 1930. Un effort initial que vint soutenir, dans les décennies qui s’ensuivirent, un engagement politique fort en faveur du logement abordable : là où d’autres capitales s’empressaient de céder une partie de leur parc social, Vienne, non content de préserver le sien, s’attacha à le développer. Aujourd’hui, 60% de la population réside dans un logement social, une prouesse rendue possible par la compacité du territoire viennois, la densité des logements (seuls 9% sont individuels) et la qualité du système de transports en commun. Mais si Vienne est une ville de bâtisseurs, tirant parti d’un important foncier disponible, sa réussite en matière de logement ne saurait se limiter à une simple ambition numérique. Elle se double d’une recherche constante d’innovation, à la poursuite d’un objectif de qualité, dont relève notamment la décision de la municipalité, à partir des années 1980, de compléter ses opérations de développement du parc résidentiel public d’alliances ponctuelles au secteur privé. Elle cède ainsi son foncier à des promoteurs privés à un prix avantageux, au terme d’un appel d’offres dont l’attribution s’opère en fonction de critères qualitatifs : vertus architecturales du projet, performance environnementale, durabilité sociale, niveaux de loyers. En contrepartie, ses partenaires privés s’engagent à louer 50% de ces logements à des ménages aux revenus faibles.

Mais Vienne n’échappe pas, pour autant, aux dynamiques qui affectent aujourd’hui les autres capitales européennes : en témoignent la récente et inquiétante augmentation des loyers libres à Vienne (37% entre 2001 et 2010) et le nombre croissant de Viennois inscrits sur la liste d’attente pour obtenir un logement municipal. Vienne doit donc réfléchir dès aujourd’hui aux moyens de pérenniser son modèle et de continuer de développer son parc de logement abordable. La ville l’a bien compris, qui a décidé d’organiser une exposition internationale d’architecture, l’IBA_Vienna 2022, dédiée au « Nouveau logement social ». Un geste important pour une ville qui se sait investie d’une mission d’éclaireur pour d’autres métropoles européennes aux prises avec une crise de leur modèle de logement social. À la clé, rien de moins que le maintien de son statut de capitale européenne du logement abordable.

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