Quelles solutions pour la mobilité du quotidien sur les distances intermédiaires (entre 10 et 100 km) ?

7 constats pour 14 propositions

La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité
20 min readDec 20, 2017

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par La Fabrique de la Cité

Les observations et propositions qui suivent se veulent une contribution au débat sur les mobilités du quotidien telles que les interroge le débat préparatoire à la loi d’orientation sur les mobilités, attendue début 2018.

Elles ont été établies à l’issue d’une journée de travaux rassemblant, le 21 novembre 2017 à Saint-Ouen, des experts et acteurs de la mobilité venus d’horizons variés : grandes entreprises, startups, collectivités locales et recherche universitaire.

  • Karim AIT YOUCEF, Directeur Général Adjoint de Wimoov
  • André BROTO, Président du Comité français de l’Association mondiale de la route, Directeur de la Stratégie et de la prospective de VINCI Autoroutes
  • Dominique BUREAU, Président du Comité pour l’économie verte, Ministère de la transition écologique et solidaire
  • Jean COLDEFY, Expert Indépendant, ATEC-ITS France
  • Pierre COPPEY, Directeur Général Adjoint de VINCI, Président de VINCI Autoroutes
  • Mathieu DUNANT, Directeur de l’innovation, Groupe RATP
  • Olivier GENELOT, Brand Director, Axians
  • Hervé RICHARD, Directeur du programme Porte-à-Porte, Groupe SNCF
  • Valérie LAUGIER, VP Digital et Innovation, Total
  • Pierre MUSSEAU, Conseiller Urbanisme, Mairie de Paris
  • Lucas QUINONERO, Directeur général de Teedji
  • Stéphanie VINCENT, Associée, Mobil’homme
  • Clémence VORREUX, Affaires publiques & Mobilité, The Shift Project

L’équipe de La Fabrique de la Cité leur exprime ici toute sa reconnaissance pour leurs contributions éclairées.

Sept constats sur la mobilité du quotidien sur les distances intermédiaires

  1. Depuis plusieurs années, la notion de transport a souvent été englobée dans le concept plus large de mobilité. Cette évolution sémantique est lourde de conséquences tant elle implique une approche intégrée et transversale des sujets liés à la manière dont nous nous déplaçons. La mobilité se définit, selon les termes de Jean-Marc Offner, Directeur général de l’Agence d’Urbanisme Bordeaux Métropole Aquitaine, comme « l’espace-temps des programmes d’activités. C’est une vision qui s’organise en trois systèmes : le système de transport, le système d’activités, le système de localisation. C’est la manière dont s’agencent les activités, les lieux, les équipements sur le territoire. Et le système d’activités qui est propre à chacun, à son mode de vie, à ses pratiques. ». La notion de mobilité appelle une nouvelle approche des politiques mises en œuvre traditionnellement en matière de transports, que ce soit en matière de gouvernance, de financement et de liens avec les questions d’urbanisme. Plus profondément, elle invite à réinterroger les raisons pour lesquelles nous nous déplaçons.
  2. Depuis les années 1990, le besoin de se déplacer des Français a évolué. En 2013, 26,1 millions de personnes habitant en France avaient un emploi et plus des deux tiers d’entre elles (73%), soit 16,7 millions de personnes, étaient des navetteurs, c’est-à-dire qu’elles travaillaient dans une commune différence de celle de leur lieu de résidence. Ces navetteurs parcouraient en moyenne 14,6 kilomètres en 2013 pour se rendre sur leur lieu de travail contre 13 kilomètres en 1999. La proportion des déplacements de moins de 10 kilomètres a diminué alors que ceux compris entre 20 et 50 kilomètres a augmenté. La mobilité sur les distances intermédiaires (entre 10 et 100 kilomètres) tend à s’accroître dans l’espace et dans le temps. Cette distance varie selon les territoires. Ces distances moyennes sont restées faibles dans les grandes villes, mais elles augmentent lorsqu’on s’en éloigne. Au-delà de la zone urbanisée, les déplacements de plusieurs dizaines de kilomètres qui étaient l’exception, sont devenus la règle. Quant aux navetteurs des espaces métropolitains et des grandes agglomérations, ils ont les plus longs temps de transport. Dans ces communes densément peuplées, une majorité de navetteurs (57%) utilise sa voiture pour se déplacer, contre 37% en transport en commun. Ces chiffres sont respectivement de 80% et de 15% en moyenne sur l’ensemble de la France.
  3. Or les mobilités sur les distances intermédiaires sont aujourd’hui le parent pauvre des politiques de mobilité, situation d’autant plus insatisfaisante que des solutions existent. La prise en charge des besoins de mobilité diversifiés sur ces distances ne dispose ni d’un diagnostic précis ni de données solides ni d’une gouvernance clairement identifiée ni d’alternatives crédibles à la voiture. Comparée aux politiques déployées sur les distances inférieures à 10 kilomètres ou supérieures à 100 kilomètres, riches en offre multimodale, cette catégorie intermédiaire cumule l’ensemble des handicaps. Du côté de la collectivité, elle supporte des charges de fonctionnement élevées et nécessite de lourds investissements. Du côté de l’usager, elle signifie congestion au quotidien, choix modal limité voire nul et absence d’offre à bas coût.
  4. Si ce constat n’est pas nouveau, les tendances à l’œuvre appellent cependant des réponses urgentes, tant elles s’imbriquent étroitement avec des problématiques d’emploi, d’insertion sociale et de transition énergétique, dans un univers de mobilité dominé par la voiture.
  5. A l’ère de la révolution numérique, il est tentant de faire des nouvelles technologies la réponse unique aux défis soulevés par cette catégorie de distance. Tentant mais dangereux tant la complexité des questions soulevées ici ne saurait être soluble dans une pensée magique aussi confortable qu’illusoire. Si le numérique apporte de nouveaux outils de connaissance et de calcul (itinéraires, gestion dynamique) et de nouvelles opportunités, il ne saurait résoudre seul les problématiques fondamentales telles que la congestion ou la pollution. Le numérique, nouvel outil au service de l’action publique en matière de mobilité, ne peut dispenser celle-ci d’une action durable sur l’espace physique, sur le financement et sur la gouvernance des mobilités.
  6. Dans ce contexte, et alors que le projet de loi mobilité à venir entend donner la priorité aux transports du quotidien, il convient de repenser la problématique de la mobilité sur les distances intermédiaires afin qu’elle puisse disposer d’un portage technique, institutionnel et politique.
  7. C’est dans cette perspective qu’ont été conçues les propositions qui suivent, issues des travaux menés lors d’un atelier qui a eu lieu le 21 novembre 2017, qui a réuni une vingtaine d’acteurs de la mobilité — venus des grandes entreprises, des startups, des collectivités locales, de la recherche universitaire. Elles prennent en compte les contraintes inhérentes à cette catégorie des mobilités : rareté de l’espace public dans les espaces denses, pénurie durable de fonds publics et enjeux environnementaux. Elles s’organisent autour de quatre grandes rubriques : connaître, organiser, financer et inciter.

Chapitre 1 — Connaître

Aujourd’hui, l’action et les politiques publiques utilisent des données pour concevoir ce que seront les actions en matière de mobilité demain.

Ces données, produites par des opérateurs publics ou privés de mobilité, sont des informations permettant de mesurer la mobilité en temps réel et d’établir des scénarios à moyen et long terme. Au-delà du fait que ces données permettent bien souvent de quantifier des faits déjà connus, elles posent un autre problème. D’une part, leur quantité, leur diversité et leur pertinence dépendant fortement du système d’acteurs en présence, les données collectées vont surtout l’être dans les zones denses, où l’écosystème d’acteurs de la mobilité est déjà important. En revanche, dans des zones de moins grande densité, où moins d’acteurs sont installés, les données seront moins nombreuses et moins précises. La mobilité sur ces distances souffre du manque de portage technique, qui permettrait d’organiser la collecte des données sur ces distances intermédiaires. Il y a donc un manque de données sur les zones de faible densité. Par ailleurs, plus globalement, nous manquons cruellement de données précises sur la mobilité individuelle, en particulier routière, le secteur public n’ayant pas mis les moyens pour collecter en temps réel les flux routiers.

Le périurbain regorge pourtant d’usagers qui pourraient permettre d’améliorer la capacité de production de données sur ces distances. De manière similaire, les données fournies par les entreprises privées et publiques sur les déplacements de près de 22 millions de salariés en France demeurent aujourd’hui sous-utilisées. Cette base d’information représente une source importante d’informations qu’il est aujourd’hui nécessaire d’exploiter et de partager avec les usagers. Enfin, en 2018, la totalité des véhicules nouvellement produits seront équipés de cartes SIM et de GPS. Des sociétés se positionnent sur les véhicules existants pour les équiper de systèmes similaires pour offrir des services. La France est en retard sur le véhicule connecté (7 millions de véhicules connectés en Italie avec ces systèmes contre trois fois moins en France).

Proposition 1 : Utiliser les données disponibles et améliorer la collecte de données supplémentaires sur les mobilités périphériques pour construire une base statistique fiable. Accéder aux données des véhicules connectés et permettre aux usagers, tous modes confondus, de transmettre leurs données de mobilité grâce à leur smartphone ou leur véhicule connecté.

La connaissance des mobilités sur les distances intermédiaires est avant tout produite, à l’heure actuelle, grâce aux « enquêtes ménages-déplacements » (EMD) conduites tous les dix ans. Si ces enquêtes ne sont pas en mesure de résoudre les problématiques de mobilité sur les distances intermédiaires, c’est parce qu’elles n’ont pas été conçues pour cela. Face à l’absence d’une multitude de sources de données, les autorités organisatrices et les opérateurs de mobilité ne disposent pas d’une connaissance suffisante pour proposer un service efficace sur ces distances intermédiaires. Pour pallier ce manque, ils peuvent se rapprocher des opérateurs privés de mobilité, notamment des acteurs issus du numérique.

Grâce aux échanges de données entre l’autorité publique et les acteurs privés, les villes peuvent améliorer leur connaissance de la mobilité et proposer de nouvelles offres, à condition de trouver un équilibre dans le rapport de force entre les nouveaux opérateurs de mobilité et les politiques publiques. Pour l’heure, face aux géants du numérique comme Google, les autorités organisatrices ne disposent que de très peu de marge de manœuvre et se retrouvent face à des stratégies « à prendre ou à laisser » dans lesquelles elles peuvent accepter de partager des données avec l’acteur privé, qui restera dans une position de force du fait de l’absence de concurrence. Face à leur besoin de disposer d’une information fiable tout en garantissant que les desseins du partenaire d’échange soient compatibles avec les objectifs des politiques publiques, les autorités doivent favoriser l’apparition d’un écosystème de producteurs de données qui serait à la fois concurrentiel et équitable. Un tel système d’acteurs permettrait de rééquilibrer la relation entre les tenants de l’action publique et les producteurs de données issues des grandes plateformes numériques, jusqu’alors dans une position dominante. Le nouveau règlement européen sur les données personnelles (RGPD) peut présenter une opportunité mais aussi un risque, celui que les GAFAM renforcent leur monopole et leur contrôle sur les données personnelles.

Proposition 2 : Favoriser l’émergence de nouvelles sources de données alternatives aux géants du numérique pour éviter l’apparition de monopoles.

Malgré cette mise en place d’un écosystème d’acteurs concurrentiel et équitable, ces nouveaux acteurs de la mobilité issus du numérique peuvent nourrir des ambitions différentes des objectifs des politiques publiques. Afin de s’assurer que les utilisations faites des données produites par l’autorité organisatrice soient compatibles avec les politiques publiques, il est nécessaire de développer de nouvelles licences afin d’éviter l’émergence de stratégies, venant des acteurs du numérique, non convergentes avec les objectifs des politiques publiques en matière de mobilité et faussant le jeu du marché, ce qui conduit inéluctablement à une augmentation des coûts et une moindre innovation.

Proposition 3 : Dans la stratégie de partage des données, favoriser les échanges avec des acteurs prêts à intégrer les objectifs de la politique publique. Privilégier les partenariats avec les acteurs innovants et les PME. Contraindre les constructeurs de véhicules connectés à partager certaines données.

Chapitre 2 — Organiser

En France, la mobilité est organisée à plusieurs niveaux : État, régions, métropoles, communes et syndicats mixtes. Le véritable défi, en termes d’organisation, tient moins à cette diversité institutionnelle de la mobilité, sensiblement identique à celle d’autres pays européens, qu’au nombre de communes, spécificité proprement française.

La planification et l’organisation de la mobilité répondent à une logique de réseaux bornés par des frontières administratives. Ainsi, hors d’Île-de-France, la France compte aujourd’hui plus de 300 réseaux pour autant d’autorités organisatrices. Majoritairement gérés à l’échelle communale ou intercommunale, ces réseaux doivent répondre à la demande de mobilité d’un bassin de vie souvent bien plus large que leur périmètre d’action. Quand des flux ont pour point de départ un territoire extérieur au réseau, leur gestion échappe à l’autorité organisatrice. Par exemple, ces flux venus de l’extérieur de la métropole représentent chaque jour plus de 500 000 déplacements à Lyon, près de 200 000 à Rouen. Cette différence entre cette réalité de la mobilité du quotidien, à savoir l’allongement constant des distances de déplacements, et les frontières des réseaux invite à s’interroger sur la pertinence de l’échelon actuel d’organisation de la mobilité.

De même, les pleines conséquences de l’avènement du concept de « mobilité » n’ont été que partiellement tirées. L’automobile échappe aujourd’hui bien souvent au radar des politiques de mobilité tant les acteurs de la gouvernance — opérateurs, autorités organisatrices de mobilité et pouvoirs publics — ont structuré leur action autour des seuls transports en commun. Les plateformes numériques sont aujourd’hui de facto seules à développer une myriade de services, via de multiples innovations, aux automobilistes. Cette dichotomie est préjudiciable à l’efficacité des politiques publiques et à l’équité entre les territoires.

Par ailleurs, si les déplacements en voiture échappent à l’action des autorités organisatrices, c’est parce qu’ils s’allongent dans l’espace et s’étendent au-delà du périmètre des agglomérations. Il convient donc de repenser les périmètres d’intervention en les adaptant aux situations locales. Les solutions institutionnelles peuvent être variées, depuis une prise de compétence des métropoles sur des lignes supra-métropolitaines jusqu’à la création de véritables autorités organisatrices de la mobilité sur des périmètres de « bassin », notion qui diffère d’un contexte local à l’autre.

Proposition 4 : Clarifier le périmètre d’action des autorités organisatrices et développer leurs capacités d’investissement. Étendre leurs compétences à l’ensemble des mobilités. Favoriser l’utilisation de l’échelle métropolitaine pour leur périmètre d’action.

Par ailleurs, la Loi NOTRe (2016), qui a vu la mise en place des nouvelles régions, impose la production d’un nouveau schéma de planification, le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), qui englobe des documents sectoriels et schémas produits précédemment. L’objectif de ce nouveau schéma est de fixer des « objectifs de moyen et long termes en matière d’équilibre et d’égalité des territoires, d’implantation des différentes infrastructures d’intérêt régional, de désenclavement des territoires ruraux, d’habitat, de gestion économe de l’espace, d’intermodalité et de développement des transports, de maîtrise et de valorisation de l’énergie, de lutte contre le changement climatique, de pollution de l’air, de protection et de restauration de la biodiversité, de prévention et de gestion des déchets ».

Dans le cadre de cette refonte, et en lien avec les objectifs du SRADDET, il convient de compléter les actions en faveur de l’intermodalité par l’intégration des propositions précédentes.

Proposition 5 : Intégrer dans le Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), mis en place à l’échelle des nouvelles régions, les concepts de hubs de mobilité, de voie réservée et de tarification dynamique.

Chapitre 3 — Financer

Aujourd’hui, sur les distances intermédiaires, il existe deux types de flux : des déplacements d’un territoire peu dense à un autre, et des trajets vers les villes-centres. Cette seconde catégorie de déplacement participe pleinement à l’activité économique des grandes agglomérations. Organiser la densification des flux routiers et construire une offre permettant une alternative crédible à la voiture individuelle en mode autoliste au fur et à mesure qu’on se rapproche des zones denses du cœur métropolitain implique de trouver de nouvelles sources de financement.

L’usager paie en moyenne 25% des coûts d’exploitation des transports en commun contre près de 70% en 1975. Face à la pénurie durable de fonds publics, la question du financement de la mobilité du quotidien se pose, en particulier sur les distances intermédiaires. Le modèle actuel de financement des transports publics n’est pas pérenne et ne permet pas de fournir un service suffisamment compétitif par rapport à la voiture individuelle. C’est en outre un cercle vicieux qui s’enclenche car, sans recette suffisante venant de l’usager, ce sont autant d’investissements et de travaux de maintenance qui sont sacrifiés.

Dans le même temps en effet, le coût d’usage de la voiture individuelle n’a cessé de diminuer, tendance que devrait encore accentuer le développement des véhicules hybrides rechargeables. Pour contrer cette tendance, depuis plusieurs dizaines d’années, on a voulu réduire le coût des transports en commun pour l’usager pour favoriser le report modal. Cette politique n’a pas produit les effets escomptés : elle a certes partiellement renforcé la fréquentation des transports publics mais a surtout produit des effets dans les zones denses, en favorisant surtout le report modal de la marche à pied vers les transports publics, donc sans réduire la place de la voiture dans les déplacements sur les distances intermédiaires. D’un point de vue financier, elle a conduit à un appauvrissement global de l’économie des transports en commun par une réduction des recettes des opérateurs et des investissements dans les transports publics. Cet effet de ciseaux entre les coûts d’usage respectifs des transports en commun et du véhicule individuel ne peut que s’accentuer du fait des innovations constantes sur ce dernier, étranglant plus encore l’économie des transports en commun pour lesquels n’existent plus de marges de manœuvre pour réduire les coûts.

Le financement des transports en commun se retrouve aujourd’hui dans une impasse financière. Sans action sur le signal-prix de l’automobile, il sera bientôt plus intéressant d’utiliser sa voiture que de prendre les transports en commun d’un point de vue économique pour son utilisateur. Une augmentation du coût d’usage de la voiture, notamment en mode autosoliste, dans les zones les plus denses, permettrait de faire apparaître des coûts jusqu’alors cachés, en d’autres termes de donner un prix aux externalités négatives liées à l’utilisation de la voiture, estimées en 2012 à près 373 milliards d’euros par an en Europe. Qui plus est, « Il n’y a pas d’autre voie que d’augmenter le coût d’usage de la voiture pour faire changer les comportements et financer les alternatives à la voiture solo » (Jean Coldefy).

La création d’une redevance sur l’utilisation de l’automobile est susceptible de compenser la baisse du coût d’usage de la voiture et de réduire durablement son utilisation. La volonté actuelle de grandes métropoles comme Oslo ou Paris de mettre au ban la voiture répond, entre autres, à un enjeu de réduction de l’occupation de l’espace public par l’automobile. En effet, dans ces centres urbains densément peuplés où l’espace est rare et cher, les voitures, n’ayant pas vocation à être utilisées en permanence, sont stationnées 90% du temps. Dans les centres urbains denses, la voiture n’est pas dans sa zone de pertinence tant elle est à la fois soumise à la congestion urbaine et actrice de celle-ci. Cette contrainte et cette aspiration des centres-villes doivent être prises en compte dans une réflexion plus globale sur la place de la voiture, tout au moins individuelle, dans des espaces densément peuplés. Cette redevance sur l’utilisation de la voiture doit être conçue et expliquée comme une action en faveur de la mobilité. L’ensemble de ses recettes doit être réinvesti dans les mobilités, avec des packages de mobilités complet : parcs relais, voies bus, pistes cyclables, TCSP, contournement routiers, …etc comme le fait si bien Göteborg avec le pacte passé avec la population : le péage urbain finance des alternatives. Cette redevance permettra de mieux relier les centres et périphéries afin d’offrir des alternatives efficaces à la voiture individuelle.

Proposition 6 : Dans les agglomérations, mettre en place un péage urbain avec une base de taxation large et un montant faible, dont le coût pourrait s’ajuster de manière dynamique par exemple en fonction de l’heure, du nombre d’occupants du véhicule et de la congestion. L’ensemble des recettes du péage urbain ira au bénéfice de l’autorité organisatrice des mobilités pour financer, en vertu d’un principe de solidarité territoriale, l’amélioration des systèmes de transport dans un périmètre incluant les périphéries lointaines.

La congestion urbaine est un phénomène inhérent aux villes. Elle résulte d’un déséquilibre entre le stock d’espace de circulation disponible (route, pistes cyclables, autoroutes) et la demande de déplacements. Dans un contexte de pénurie durable de fonds publics et alors que l’espace est une ressource rare dans les espaces denses, seule une action sur la demande de déplacement peut être entreprise. L’effacement de la demande de mobilité (ou lissage de la demande) permet d’équilibrer cette relation entre l’offre en infrastructure et la demande de déplacement. L’action sur le prix du déplacement en transport doit permettre de lisser la demande. Ainsi, hors des heures de pointe, le transport pourra être moins cher, voire gratuit.

Ce type de mécanisme ne peut fonctionner dans un système où les habitudes de déplacements sont immuables. La voiture a été conçue comme un mode multifonctionnel. Elle permet de déplacer des personnes comme des biens, d’être utilisée pour les loisirs comme pour le travail. À l’inverse, les modes de transports collectifs ou alternatifs à la voiture répondent à une fonction précise. Les transports en commun ne sont pas pensés pour permettre aux usagers de partir en vacances, pas plus que les vélos en libre-service ne permettent de transporter des biens. Aujourd’hui, s’il existe de réelles possibilités pour un usager des centres villes de se passer de la voiture individuelle en composant un bouquet multimodal, l’opération nécessite autant d’abonnements que de modes. La problématique actuelle réside dans l’éclatement tarifaire de l’ensemble de ces modes. Sur le modèle de la clé de voiture, qui permet d’accéder à toutes les fonctions précédemment mentionnées, il convient de penser un système unique intégrant l’ensemble des services de mobilités, le tout avec une tarification unifiée et dynamique, à l’échelle de l’aire urbaine, donc en intégrant les périphéries des agglomérations. Cela nécessite la mise en place de standards de comptage des usages, pour ensuite proposer des tarifications au meilleur prix en fonction du nombre d’utilisation de chacun des modes — transport en commun, autopartage, etc. Ces services devront être accessibles aussi aux clients externes à l’agglomération, qu’il s’agisse de visiteurs ou de touristes…

Proposition 7 : Promouvoir la tarification dynamique dans les transports en commun, intégrant dans un système unique l’ensemble des services de mobilité de type MaaS (Mobility as a Service).

En plus d’être multifonctionnelle, l’automobile a été conçue comme un espace confortable et comme une prolongation de l’espace privé. Souvent mis en cause pour leur manque de confort et de propreté, les transports collectifs et les infrastructures disposent d’une marge de progression importante dans ce domaine qui pourrait leur permettre de gagner en compétitivité par rapport à la voiture.

Pour répondre aux objectifs des politiques publiques en matière de mobilité dans un contexte de pénurie des fonds publics, la recherche de projets efficaces et efficients est centrale. Dans un objectif d’attractivité et d’amélioration globale de la qualité de service des transports publics, des incitations devront être développées afin d’encourager l’amélioration de la qualité de service dans les transports collectifs, notamment dans les pôles d’échanges.

Proposition 8 : Rendre systématique l’évaluation des coûts et des externalités des projets et des services de mobilité. Réaliser un benchmark du coût réel des différentes solutions de mobilités ramenés à l’utilisateur et à la tonne de CO2 économisée.

Proposition 9 : Développer des incitations (bonus/malus) pour améliorer la qualité de service et de connectivité des gares. Les métriques permettant d’apprécier ces deux facteurs devront être définies en amont. La gestion des gares pourra être confiée à des entreprises tierces dans un double objectif — améliorer l’offre multimodale et mobiliser la plus-value foncière générée (modèle de joint implementation development).

Chapitre 4 — Inciter

Les mécanismes financiers évoqués dans le chapitre précédent (péage urbain, tarification dynamique) sont autant de solutions permettant de faire évoluer le signal-prix de l’utilisation des différents modes de transport. En complément des signaux-prix, le développement d’aménagements physiques favorisant le report modal ou incitant au recours à des modes plus vertueux sont des mécanismes incitatifs permettant d’agir durablement sur les usages.

Dans le domaine ferroviaire, la mise en place de pistes cyclables connectées aux gares est un enjeu. Les externalités positives liées au duo rail-vélo, très pratiqué chez nombre de nos voisins européens, sont importantes en termes de santé publique par exemple.

S’agissant de la route, elle est le seul réseau en capacité de fonctionnement à n’être pas saturé en nombre d’usagers, tout en l’étant en nombre de voitures. Si la voiture continue d’être attractive, c’est tout d’abord parce qu’elle répond aux priorités de l’usager : ce qui compte pour lui, c’est avant tout son temps de parcours, ce qui le pousse à privilégier la vitesse. Pour l’heure, la voiture permet à l’usager de réaliser un trajet porte-à-porte de manière plus efficace que les transports en commun, qui répondent à une logique de ligne. L’action sur l’attractivité des modes collectifs est donc indispensable afin de les rendre plus compétitifs que la voiture individuelle.

Cette attractivité repose sur deux critères : le faible temps de parcours et le coût. La réduction des temps de parcours peut être constatée dès lors que l’on augmente la vitesse commerciale d’un mode. Afin de densifier l’usage de la voiture sur ces distances intermédiaires, il convient d’agir sur la vitesse commerciale des modes collectifs et vertueux (bus, covoiturage, vélos). Or, sur une majorité d’axes, l’infrastructure ne fait pas de distinction entre les modes vertueux et les autres modes de transport : bien que plus vertueux du point de vue de l’optimum collectif, les bus et covoitureurs, malgré une pratique plus vertueuse, subissent les effets dans la congestion au même titre qu’un « autosoliste » seul dans sa voiture. Il convient donc de créer, sur un axe identifié, les conditions pour que ces modes vertueux soient favorisés et gagnent en attractivité.

Notons que ce type de démarche a aussi un impact environnemental puisqu’elle réduit la quantité d’émissions de CO2 (question du changement climatique) et de particules (question de la pollution) par personne transportée.

Proposition 10 : Créer, sur les voies structurantes des grandes couronnes des métropoles (deuxième couronne en région parisienne), des voies réservées aux modes vertueux — covoiturage, bus, véhicules électriques. Le diagnostic menant à la décision de l’implantation de ces voies « vertueuses » devra veiller à ce qu’elles ne paralysent pas les axes et la mobilité des modes non vertueux.

Hors des axes structurants, l’infrastructure est aveugle sur l’usage (transport collectif ou non) et sur les conditions globales de circulation (fluide ou congestion). La route reste la même aux heures creuses comme aux heures de pointe. Or, grâce au numérique, l’infrastructure peut devenir un outil au service de la mobilité. La gestion dynamique de la voirie permet de créer une infrastructure en capacité de s’adapter en temps réel aux conditions de circulation. L’infrastructure renseigne les usagers sur les conditions de circulation, permettant ainsi d’inciter, ou non, à l’utilisation de l’infrastructure en adaptant sa tarification, son nombre de voies ou la vitesse.

Proposition 11 : Favoriser la gestion dynamique de la voirie par un dialogue entre infrastructure et outils numériques: régulation différenciée de la vitesse, voies réversibles, tarification dynamique de l’usage.

Au même titre que l’aménagement de voies dédiées, la fluidification des ruptures de charges d’un mode à un autre permet d’améliorer le temps de parcours et donc l’attractivité des transports collectifs. Apparu dans les années 1970, le concept d’intermodalité se définit comme la coordination de différents modes de transports afin d’accroître leurs performances et de faciliter leur utilisation. Cette amélioration des performances des pôles d’échanges se mesure à la fois en termes de confort (espaces d’attente aménagés, stationnements sécurisés) et par la réduction du temps de parcours (proximité entre un parking et un arrêt de transports collectifs). Cheville ouvrière de l’intermodalité, le parc relais a pour objectif d’organiser la complémentarité entre les modes de transports individuels (voiture, vélo) et les transports de masse (ferroviaire, bus). Il permet de fluidifier le report modal tout en capitalisant sur l’efficacité des modes selon leur zone de pertinence (voiture dans le périurbain, transports en commun dans le centre)

Cependant, la réussite d’un parc relais reste fortement dépendante de facteurs tels que l’emplacement, et la connexion au réseau de transport. Ils peuvent souffrir de la proximité avec les centres urbains denses lorsque le report modal de la voiture vers un transport de masse n’est pas assez incitatif pour l’usager.

Proposition 12 : Aménager des pôles de second rang en zone peu dense et éloignée du centre-ville (P+R) et des hubs de premier rang permettant le transfert entre des modes lourds (bus-tram-TER-métro).

Cet aménagement de pôles d’échanges et d’axes prioritaires pour les modes vertueux doit faire l’objet d’une stratégie plus globale de développement de la mobilité à l’échelle régionale. Le développement de ces axes et infrastructures devra disposer d’un portage politique et technique suffisant afin que soient assurés son bon fonctionnement et son efficacité.

Proposition 13 : Définir un projet de mobilité par axe dans les zones de faibles et moyennes densités (régions) et le mettre en œuvre par la contractualisation entre les échelons de territoire, autorités organisatrices et opérateurs d’infrastructures.

Si le temps de trajet est un critère très important pour l’usager, il ne faut pas omettre le rôle du coût d’utilisation des modes. Aujourd’hui, avec l’amélioration des moteurs thermiques et le prix bas du baril de pétrole, il pourrait tendanciellement être plus intéressant d’utiliser sa voiture plutôt que les transports en commun. Dans les périphéries des grandes agglomérations, la voiture est sollicitée par une grande majorité des usagers du fait d’un manque d’efficacité (ou bien d’absence) des transports collectifs dans ces zones. L’usager est incité à prendre les transports en commun grâce aux subventions octroyées par les entreprises qui lui permettent de ne payer que 50% du prix des transports collectifs. Cette mesure ne prend pas en compte le déséquilibre entre la densité des réseaux de transports en centre-ville et en périphérie des agglomérations. Ainsi, malgré la subvention, un usager pourra être incité à prendre sa voiture, car il ne dispose pas d’autre solution.

Pour respecter la zone de pertinence de la voiture et encourager sa densification, il faut étendre la subvention des entreprises vers des modes plus vertueux. Aujourd’hui, la distribution des indemnités de déplacement par les entreprises se concentre sur les transports en commun et le vélo. Sur les distances intermédiaires, ces indemnités ne vont bénéficier qu’à une minorité de personnes. Le dispositif d’indemnisation des déplacements doit être étendu aux formes de mobilités vertueuses.

Proposition 14 : Étendre la distribution de l’indemnité kilométrique à l’ensemble des modes de transports collectifs.

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