Voyage au centre des villes : le sous-sol, nouvelle frontière urbaine

La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité
4 min readDec 8, 2017

Cet édito est extrait de L’Instant Urbain (octobre 2017) de La Fabrique de la Cité, think tank sur les transitions et innovations urbaines. Découvrez nos travaux ici.

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Eglise souterraine de Temppeliaukio à Helsinki. Crédit : Rosie Rogers (CC BY-NC-SA 2.0)

Stopper l’étalement urbain, redensifier les cœurs de ville : les contraintes environnementales, démographiques ou économiques imposent de modifier la forme de nos villes. Comment accélérer la construction de logements, préserver le commerce, aménager des espaces logistiques, industriels ou agricoles, assurer la mobilité de tous, développer l’espace public et les espaces verts … sur un territoire où le foncier non agricole est rare, donc cher ? La verticalité, fille de l’électricité, fut une des réponses qu’apporta le XXe siècle à nos villes en forte croissance démographique. Les skylines des grandes métropoles en témoignent alors que cette tendance du « toujours plus haut » se poursuit, notamment dans les grandes métropoles asiatiques.

L’histoire de la ville verticale ne s’arrête cependant pas à ce défi implicite que se lancent les villes — « sky is the limit ». Aujourd’hui, certaines villes se tournent aussi vers le sous-sol. Certes, la profondeur n’est pas une terraincognita : nos villes modernes y ont stocké la plupart de leurs fonctions ancillaires — réseaux d’eau, d’énergie et d’évacuation des déchets. Elles y ont placé ce qui, selon elles, ne méritait pas d’être vu. Dans la plupart des villes, le sous-sol n’a jamais été considéré comme un actif intéressant à connaître ni comme une nouvelle frontière à conquérir mais comme une commodité. D’où une occupation du sous-sol très peu coordonnée et dépourvue de toute vision stratégique.

Toutefois quelques villes pionnières, historiquement conscientes du potentiel du sous-sol, innovent et éclairent la voie d’un urbanisme souterrain généralisé et plus vertueux. Tokyo autorise le début de la construction souterraine avant la fin des procédures d’expropriation. Helsinki fixe une profondeur limite du droit de construction pour les propriétaires et, à l’instar de Tokyo, suit un plan directeur d’aménagement souterrain définissant des zones à préserver, des zones d’urbanisation souterraine prioritaire ou destinées à des développements sur le long terme. Singapour s’est attribué la propriété de l’espace au-delà de 30 mètres de profondeur et autorise l’achat de strates spécifiques de terrain sous terre. Montréal a mis en place un ensemble d’assouplissements et d’incitations au développement (comme l’exonération des surfaces bâties sous terre) et reste attentive à l’animation culturelle et artistique du souterrain. Toronto enfin s’est doté d’un réseau piéton enterré, PATH, accompagnant la densification du quartier d’affaire et répondant à la saturation des trottoirs extérieurs tout en offrant une alternative aux petits commerces chassés par l’implantation des tours de bureau.

Cette nouvelle frontière de la ville n’est pas simple à conquérir. L’architecte Dominique Perrault, depuis longtemps convaincu de la nécessité de construire aussi la ville sous la ville, le rappelle : « les murs, on peut les abattre, le sol, il faut plutôt le combattre ». Et le premier des combats à mener n’est ni technologique, ni juridique ni même économique : il est psychologique. Qui imagine vivre en sous-sol ? Le souvenir de la Metropolis de Fritz Lang n’est pas loin, avec ses souterrains réservés aux masses laborieuses quand les élites profitent des délices des hauteurs…

Et pourtant, la ville souterraine représente un gisement considérable d’opportunités pour les métropoles. La disponibilité de l’espace en sous-sol, les ressources qu’il contient (matériaux et eau en particulier), ses excellentes propriétés thermiques, la solidité de sa structure et la sécurité qu’il apporte face à certains phénomènes naturels ou risques technologiques sont des atouts majeurs pour le développement durable des villes. Les technologies de construction permettent de plus aujourd’hui de creuser dans presque tous les sols dans des temps réduits. Mais ces technologies resteront l’apanage des ingénieurs si, au préalable, nous ne construisons pas une nouvelle approche de nos espaces souterrains urbains.

Il s’agit ainsi d’opérer un changement de regard sur le sous-sol qui ne peut plus être vu comme un simple réceptacle de réseaux pensés en silo. Il est grand temps de réfléchir aux interrelations à la fois en termes de synergies et de risques entre la surface et le sous-sol. L’aménagement souterrain doit devenir systémique, mis en relation avec l’aménagement de surface. Cette ville verticale en 3D n’est possible que si un dialogue et une collaboration se nouent entre les différents acteurs de l’aménagement, sur la base d’une connaissance partagée de cet espace que nous permettent aujourd’hui les nouvelles technologies. De la sorte, sans doute ne déambulerons-nous pas, comme les héros de Jules Verne, dans des forêts souterraines à la recherche du centre de la Terre, mais au moins donnerons-nous une chance supplémentaire à nos villes de relever ce redoutable défi de la densification à taille humaine.

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Think tank consacré à l’innovation urbaine, La Fabrique de la Cité est un forum, un creuset où se confrontent les points de vue, les expériences et les visions.