Le temps est un outil que l’on oublie.

Pierre Fournier
La Fabrique des Solutions
4 min readOct 5, 2018

Dans nos sociétés occidentales, nous avons l’impression que tout va plus vite. La technologie nous fait accélérer le temps au point que nous sommes sans cesse à sa quête. Grâce à la grande monétisation en cours, nous essayons d’optimiser en continue notre temps. Nous perdons chaque jour, de plus en plus l’importance d’avoir du temps.

Je n’ai pas le temps !!

Combien de fois nous utilisons cette phrase ? Happé par les contraintes de plus en plus nombreuses, j’ai le sentiment que nous passons de plus en plus de temps, à tenter de gagner notre vie, à vouloir acheter du temps supplémentaire. La fameuse maxime « Le temps c’est de l’argent » a fait son œuvre depuis plus de 180 ans et a fortement progressé depuis l’arrivée du web.

Le numérique avait pour promesse de faciliter notre travail, de réaliser des tâches ingrates et répétitives afin de nous libérer du temps. Ce qui est vrai, mais qu’avons-nous fait de ce temps libre ? Nous l’avons passé à travailler, comme le dit le sociologue allemand Hartmut Rosa :

« Prenons l’exemple du courrier, rédiger un email prend deux fois moins de temps qu’une lettre. Là ou écrire dix lettres prenait deux heures, écrire dix mails n’en prend qu’une. Mais au lieu de gagner, nous prenons deux heures pour écrire vingt mails. C’est de la que vient le stress, nous avons plus de choses à faire ».

Le temps au service des flux non-marchand

La croyance que toute vie, toute joie est centrée principalement sur nos échanges monétaires est très ancrée. Nous devons le plus rapidement possible créer de la valeur mesurable, comparable et en grande quantité, pour satisfaire nos besoins de consommateurs, pour acquérir toujours plus de croissance.

Est-ce que nos vies sont uniquement définies par la compétitivité, le consumérisme et la quantité ?

Selon une étude de Harvard (1), pour qu’un être humain vive plus heureux et en meilleur santé, il est vital d’entretenir une grande qualité de relations sociales. Cela demande du temps libre qui n’est pas corréler avec la création de valeur monétaire, c’est un temps consacré aux flux non marchands.

Comme le dit Duc Ha Duong, ils sont aux nombres de trois. Allons les questionner avec comme axe la notion de temps.

Émotion : Combien de temps nous passons à refouler nos émotions, à conserver plusieurs masques sociaux pour satisfaire une « réputation » vis-à-vis des autres ? La non expression des émotions est souvent liée à un déni de soi même. Elle ne peut pas se matérialiser par des chiffres. La prise en compte de ses émotions demande du temps non créateur de valeur. Elle permet de devenir pleinement vivant.

Connaissance : Elle ne peut pas être chiffrée, elle est abondante et transmissible. Pour acquérir la connaissance ( de soi, culture, savoir, pratique…), il y a un besoin important de temps et d’expérience vécu. La connaissance est un élément de satisfaction, une fois acquise on peut la transmettre facilement et générer de nouvelles idées et actions. Combien de temps accordons nous chaque jour à l’acquisition de connaissance non créatrice de valeur ? Trop peu.

Confiance : L’élément est non mesurable par nature, et pourtant la confiance est primordiale pour toutes les actions que nous menons au quotidien. L’outil indispensable et premier pour acquérir cette confiance, c’est le temps. Sans temps, il ne peut pas exister de relations de confiance, pas de collectif, pas de business, pas d’économie, pas de politique, pas de développement personnel, pas de projet, pas de résilience. La confiance est l’élément vital pour la réalisation de toutes choses.

Prendre le temps, un des meilleurs moyens pour établir des nouvelles stratégies et résoudre le pourquoi.

Il est important d’avoir conscience que ces 3 éléments cumulés sont vitaux. Ils nous permettent de nous définir chacun d’entre nous, de nous forger notre identité d’individu au sein d’une ou plusieurs communautés virtuelles et/ou réelles. Lorsqu’il y a une symbiose entre ces éléments, des synergies et des valeurs naissent qu’elles soient monétaires ou sociales. Que ce soit dans des activités économiques ou dans des activités liées à la transition, nous occupons notre temps à produire et à agir sans prendre le temps nécessaire d’intégrer ces 3 éléments essentiels non marchands.

Le résultat est souvent catastrophique (projet qui s’arrêtent, burnout des individus, management par la peur, subordination par le contrôle et par le résultat, pas connaissance d’information…). Sans prise de temps, les personnes font émerger des dissonances cognitives positives ou négatives, les contradictions apparaissent et les tensions arrivent très rapidement.

“On n’a pas le temps, si brève est la vie, pour les chamailleries, les excuses, l’animosité, les appels à rendre des comptes. On n’a que le temps pour aimer et pas un instant de plus, pour ainsi dire, que pour ça. » Mark Twain

Le temps avec l’intégration de ces éléments non marchands est aussi indispensable pour comprendre à quel point toutes nos actions sont liées et interdépendantes : c’est le début de l’apprentissage de la complexité de notre existence. Est-ce qu’il serait temps d’ouvrir un peu ses œillères, d’assumer ses contradictions aux yeux de soi et de tous ? Innovons ensemble pour retrouver pleinement ce que nous sommes : des êtres vivants ayant besoin de qualité de relations tout en prenant le temps. Qui et qu’est-ce qui nous en empêche ?

(1) Tedx, Robert Waldinger “ What a make a good life?”

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Pierre Fournier
La Fabrique des Solutions

Passionné par l’ #ESS #educationpopulaire #innovationsociale, #sharingeconomy @pfbaloo.