L’entrepreneuriat collectif, l’ESS du 21ème siècle?

Pierre Fournier
La Fabrique des Solutions
8 min readOct 31, 2016

Actuellement, l’ESS prend un bon coup de jeune avec l’arrivée de l’entrepreneuriat social. Cette nouvelle forme d’ESS arrive avec ses espoirs mais aussi ses travers. Le secteur classique de l’ESS notamment associatif se posent des questions sur l’avenir de leur financement mais elles portent un projet politique. L’entrepreneuriat social apporte des solutions sur le modèle économique mais est très flou sur leur projet politique à long terme. Le terme obsolète “ Economie sociale et solidaire” pourrait laisser place à l’entrepreneuriat collectif tel qu’il existe au Québec afin de résoudre réellement les causes des besoins sociaux.

L’ESS est à la mode grâce à la montée en puissance de l’entrepreneuriat social. C’est un modèle intéressant qui apporte de nouvelles possibilitées, mais il pose question sur certains points:

  • Certains projets sont parfois des redites de ce qui existent déjà.
  • La mesure de l’impact social se fait-il seulement sur la création d’emploi? Comment mesurer l’impact qualitatif de l’innovation sociale?

Savez-vous que : Pôle Emploi, les Foyers de Jeunes Travailleurs, les Auberges de Jeunesse, les Maisons des Jeunes et de la Culture, les Centre d’Information et d’Orientation ont été inventées par les organisations de l’économie sociale et/ou de l’éducation populaire, il y a au minimum 50 ans (100 ans pour certaines d’entres elles). Ces organisations ont eu un impact social phénoménal sur des dizaines de millions de personnes depuis leur création.

Ces structures associatives fonctionnent actuellement sur un besoin de financement basé sur l’adaptation de politiques publiques et/ou de subventions de collectivités territoriales.

Ce modèle économique aura tendance à se réduire dans les années à venir. La question du financement devient la priorité de l’associatif, elle vont parfois à contrecœur vers des modèles hybrides de financement. Les subventions diminuent et les associations répondent à des appels d’offres.

Cette pratique a pour conséquence deux choses:

  • Concurrence accrue entre les acteurs associatifs, fusion entre elles comme dans le médico-social ou le secteur culturel par exemple.
  • Perte de liberté d’action et d’indépendance car elles répondent à un cahier des charges bien précis défini par le politique.

Ces deux problèmes posent la question de l’avenir de ces modèles économique (car elles en ont bien un) et de l’indépendance vis à vis du pouvoir politique.

L’argent est seulement un outil, pas un objectif.

“L’argent est un instrument, comme beaucoup d’autres (tels que les sciences, la technologie, la médecine, la biologie, la politique, l’économie …), dans la main de l’homme, il peut être bien produit, bien géré et bien utilisé, produisant ainsi de bonnes choses pour de bonnes fins…. C’est l’homme qui le crée et l’utilise, qui lui donne un sens, bon ou mauvais. C’est donc l’homme qui en fait un bon ou un mauvais outil. Et c’est donc l’homme qui le façonne.” Benoit XVI, L’amour dans la vérité.

Un autre souci majeur est bien présent dans ces structures: la place de l’argent.

Qui n’a jamais entendu une fois dans sa vie de bénévole que l’argent était mal, qu’il était interdit de réaliser du profit et qu’on n’en faisait pas dans l’association. Une organisation économique qui a des salariées doit être rentable, sinon elle meurt.

Les coopératives et les mutuelles fonctionnent sur un marché économique, elle doivent vendre un produit ou un service pour que l’organisation soit pérenne.

Dans tous les cas, la véritable force au sein de ces structures est qu’il y a un réel projet politique défini et partagé par les membres (coopérateurs, sociétaires ou adhérents) basé sur une répartition de la valeur (mutuelle et coopérative) et une gouvernance démocratique. Il y a un important travail sur le “Pourquoi on le fait ? ”

L’entrepreneuriat social arrive avec une forte démarche économique. Les entrepreneurs sociaux observent un problème, ils essayent de le comprendre afin de trouver une solution pour le résoudre avec un objectif de viabilité économique. Pour répondre à la question du “Comment on fait?” .

Les entrepreneurs sociaux profitent à juste titre d’une faiblesse de l’État. Cela est du à deux raisons:

  • L’Etat et les collectivités territoriales ont de moins en moins d’argent (On ne se pose pas la question du pourquoi, réponse évasion … optimisation fiscale)
  • L’État est incapable de répondre à tous les problèmes sociaux des citoyens.

Mais en échangeant avec de nombreux entrepreneurs sociaux depuis deux ans et demi. J’ai trouvé un sujet à laquelle ils ne sont pas à l’aise du tout: c’est leur vision politique ( au sens noble du terme). Deux sujets bloquent:

  • la réalisation de la gouvernance démocratique, elle est souvent non transparente et parfois cette question n’est pas posée.
  • la rétribution de la valeur créée, comme souvent la valeur est créée par des citoyens qui n’ont aucun engagement légal vis à vis de la structure (pas d’adhérent, pas de sociétaire), cette valeur est donc souvent capté et peu redistribuée de façon équitable.

J’ai fait le constat que le projet politique est souvent absent des ambitions. On met d’abord en avant la solution accompagnée d’une bonne dose de numérique (nouvelle plateforme qui va permettre de faire ceci ou cela). Quand je pose la question du Pourquoi ils souhaitent faire cela? Quels est la vision politique de leur projet? Comment ils vont rétribuer l’ensemble des contributeurs? Souvent il y a tout simplement pas de réponse, il y a donc pas de projet politique clair au sein de ces structures.

Comment faire pour répondre à cela? Une vision ultralibérale afin de solvabiliser les personnes exclue du champ économique classique, en laissant les entreprises agir en créant des services/produits sans aucune contrainte de l’État. L’objectif de cela est de rendre un pouvoir de consommation: laissons le marché faire et les entreprises agir sans aucune contraintes, elle seront plus efficace que l’État.

Bref une vision politique définitivement tournée vers le solidaire et le partage…. Ou pas.

“On ne résout pas un problème avec les modes de pensées qu’ils l’ont engendré” Albert Einstein

Coopter entre amis, c’est renfermer l’organisation sur elle-même qui propage l’entre soi.

De plus, il existe un autre gros problème qui touche l’ensemble de ce secteur, c’est la cooptation. C’est le fait de désigner un membre d’une assemblée déjà en place.

La cooptation peut être bénéfique si elle fait dans un but d’apporter de la diversité dans l’organisation, d’avoir un autre regard critique, constructif sur ce que l’on fait ou simplement une expérience ou des compétences que l’organisation n’a pas.

Mais bien souvent, les dirigeants ou fondateurs des organisations de l’ESS font le choix inverse, ils nomment des amis ou des personnes de même milieu qui seront facilement maniable afin qu’ils “adhèrent” à la même vision qu’eux. Ces choix font perdurer un entre soi permanent qui a pour conséquence simple: les familles de l’ESS (entreprise sociale, associations, coopérative et mutuelles) ne se connaissent pas ou n’ont pas envie de se connaître. Cela entraîne une peur entre ces acteurs et une querelle de clocher absolument inextricable.

Malheureusement, ce constat bloque énormément d’initiatives qui pourraient être menée de façon transversale.

Peut-t’on faire autrement, penser hors cadre et différemment des idées du 20e siècle?

L’entrepreneuriat collectif, une ouverture sur l’économie sociale?

Allons faire un tour au Québec, il y a une vision plus pragmatique et inspirante de l’économie sociale. C’est l’entrepreneuriat collectif.

Comment la loi définit l’économie social au Québec?

“On entend par «économie sociale», l’ensemble des activités économiques à finalité sociale réalisées dans le cadre des entreprises dont les activités consistent notamment en la vente ou l’échange de biens ou de services et qui sont exploitées conformément aux principes suivants:

l’entreprise a pour but de répondre aux besoins de ses membres ou de la collectivité;

2° l’entreprise n’est pas sous le contrôle décisionnel d’un ou de plusieurs organismes publics au sens de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels

3° les règles applicables à l’entreprise prévoient une gouvernance démocratique par les membres;

l’entreprise aspire à une viabilité économique;

5° les règles applicables à l’entreprise interdisent la distribution des surplus générés par ses activités ou prévoient une distribution de ceux-ci aux membres au prorata des opérations effectuées entre chacun d’eux et l’entreprise” Article 3 de la loi cadre sur l’économie social au Québec.

En clair, pour faire partie de l’économie sociale au Québec, il faut avoir une démarche commerciale (vendre un produit ou un service) afin d’être pérenne dans le temps et d’être indépendant de subvention publique ou privée. Il faut être une coopérative, mutuelle ou une association. Cette activité commerciale sert l’intérêt de la collectivité afin de répondre à un besoin social/environnemental, il y a une gouvernance démocratique claire et définie par les membres.

En France, une très grande majorité des organisations (associations,entreprises sociales) ne pourrait pas faire partie de l’économie sociale au Québec:

  • Les associations: Pour la majorité, elles n’ont pas de démarche commerciale.
  • les entreprises sociales : elles n’ont pas de gouvernance démocratique.

Mais ce mot “économie sociale” est de moins en moins utilisé car très souvent, il y a plein de clichés autour de ce terme. On pense d’abord au mot “social”. Ce terme à une connotation négative souvent affiliée à la charité, la philanthropie, l’aide sociale. Ce n’est pas que cela.

Au Québec, cela représente 7000 organisations et 40 milliards de dollars de chiffre d’affaires (10% du PIB de la province). Ces structures fonctionnent seulement pour répondre au besoin de la collectivité/communauté. Elles ont une durée de vie deux fois plus supérieur que les entreprises classiques à 5 ans. Elles recherchent la viabilité économique sans maximiser le profit.

“En économie sociale, c’est dans l’ADN de penser au collectif, dans le secteur privé cela peut être un vêtement. On peut le porter aussi longtemps que l’on souhaite mais on peut l’enlever rapidement” Marie Bouchard, professeure à l’UQAM à Montréal

Au Québec, le terme d’économie sociale est de moins en moins utilisé au profit de l’entrepreneuriat collectif. Mais qu’est ce que c’est?

L’entrepreneuriat collectif en quelques points:

  • Les dirigeants d’une coopérative ou d’une Organisation à But Non lucratif sont élus (une personne = un vote) par l’assemblée des membres. Elles sont forcément collectives et elle ne peuvent pas être créés par une seule personne.
  • Les surplus sont réinvestis dans l’entreprise ou au profit de la communauté/collectivité (partage de la richesse).
  • Elles répondent à une mission sociale définie par la communauté par une démarche commerciale.
  • Ces entreprises sont inaliénables. Elles ne peuvent ni être délocalisées, ni être vendues. Elles ne cherchent pas à faire des profits à court terme et ne vont pas fermer leurs portes à la moindre difficulté financière. De plus, elles n’iront pas s’établir ailleurs pour profiter d’une main-d’œuvre bon marché. *

En France , nous avons trois exemples qui fonctionnent ainsi dans 3 secteurs d’activités bien distincts:

  • La Louve, supermarché coopératif
  • Coopaname, coopérative d’activités et d’emploi pour les travailleurs indépendants
  • Enercoop, sur la création et la distribution d’énergie verte.

“La première chose à faire pour transformer le monde, c’est se transformer soi-même” Pierre Rabhi.

L’exemple québécois est de mon point de vue très inspirant, l’entrepreneuriat collectif peut ouvrir l’économie sociale à des publics divers peu sensibilisés à cette notion. Des jeunes de grandes écoles qui souhaitent redonner plus de sens dans leur vie, des mouvements d’éducation populaire qui répondent aux besoin sociaux depuis plusieurs décennies mais qui ont besoin de se réformer de l’intérieur.

Mais aussi tout groupe, toute personne qui agit pour l’intérêt du collectif, de la collectivité.

Pour que cela marche, il faut profondément changer de culture, casser les barrières idéologiques, politiques, culturelles, qui existe entre les différentes partie prenantes de la société afin de créer quelque chose de nouveau pour répondre aux besoins sociaux de la communauté.

Vous êtes prêt, on commence quand?

* Source : http://www.economiesocialejeunesse.ca/fichiers/docs/guide-de-reference-sur-l-economie-sociale.pdf

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Pierre Fournier
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