[Le Mans- Claude Mousset] « L’éducation est une histoire de déclics. L’économie, une clé pour mieux comprendre le monde. »

Pierre Fournier
La Fabrique des Solutions
17 min readNov 17, 2016

Claude Mousset, jeune homme de 69 ans nous livre son parcours de vie et nous interroge sur les liens entre politique et économie, enseignement et esprit critique, amour et bienveillance, ancien et nouveau monde. Il nous raconte ses déclics, ses obstacles qu’il a vécus afin de réaliser sa passion transmettre le savoir de l’économie pendant plus de 40 ans, son histoire dans l’Histoire. Un message d’espoir pour l’ensemble des personnes souhaitant transformer le monde.

Pierre Fournier : « Qu’est-ce que tu fais aujourd’hui et qu’est-ce qui t’a donné envie de le faire ? »

Claude Mousset : Je suis Claude, j’ai 69 ans, retraité, j’ai enseigné l’économie en lycée et en BTS ainsi qu’en entreprises dans le cadre de la formation pour adultes.

Je suis né le lendemain de la Seconde Guerre Mondiale , une période beaucoup plus trouble qu’on le pense. Une partie de la France se retourne contre la partie qui a collaboré. Les infrastructures sont détruites, la France est affamée. Lorsque je suis né, j’ai été mis en nourrice et mon père apportait les tickets de rationnement à la nourrice pour qu’elle puisse se procurer le lait le sucre auxquels j’avais droit.

Mes parents étaient commerçants, il fallait qu’ils soient présents sur les marchés tous les jours.

J’ai été un enfant très sage, posé, discret. Je me suis toujours intéressé aux relations avec les adultes.

P.F « Qu’est-ce qui t’a amené à t’intéresser aux problèmes de société étant jeune ?»

C.M : Ma relation avec mon grand-père a été un déclic. Il a fait la guerre 14–18, quand il « montait au front » avec sa compagnie, ils partaient à 1000, ils revenaient à 200. Comme beaucoup d’autres soldats français, il a été blessé à Verdun. Comme j’étais l’ainé de la famille, il s’est beaucoup confié, il m’a raconté toutes ses histoires de guerre ( Première Guerre Mondiale). J’avais 7–8 ans, j’ai été marqué, j’ai beaucoup mûri. J’ai découvert les atrocités de la guerre, les souffrances des hommes. Mon grand-père aurait dû mourir sur le front à Verdun, il a reçu un éclat d’obus au niveau du bassin, il a eu une chance énorme, cet éclat a permis la cicatrisation de la blessure, il n’a pas perdu son sang. Il a fait le mort pendant 3 jours, les Allemands avaient conquis le terrain et les blessés étaient achevés par ceux qu’on appelait « les nettoyeurs de tranchées »ceci était vrai des deux cotés. Trois jours après les Français avaient reconquis le terrain. Il s’est retrouvé avec son sergent dans un piteux état, il l’a porté sur son épaule et il l’a ramené à l’arrière. Ce n’était pas un acte héroïque, c’était le quotidien de la Grande Guerre.

J’avais 7–8 ans, j’ai été marqué, j’ai beaucoup mûri. J’ai découvert les atrocités de la guerre, les souffrances des hommes avec mon grand-père.

À l’arrière du front, les médecins faisaient un premier tri entre les futurs morts et les récupérables, mon grand-père a été mis dans la deuxième catégorie ; en trois jours, c’était la troisième fois qu’il échappait à la mort. Le chirurgien de l’époque l’a opéré 7 fois.

Mon grand-père me disait qu’il faisait du rab étant vivant, il aurait dû mourir durant cette période !

Avec lui, j’ai eu des conversations très sérieuses pour un enfant de 7 ans, il m’a fait découvrir le monde des adultes. Il m’emmenait avec lui au bar presque tout le temps. J’ai découvert ce nouvel environnement, j’étais captivé par les adultes, je le regardais vivre et jouer aux cartes avec ses amis. Les bistrots à l’époque, étaient un monde uniquement masculin, il y avait une ambiance particulière de joie de vivre, de vivre ensemble. Cette expérience m’a donné envie de m’intéresser aux sciences humaines. Comment pouvais-je ne pas m’intéresser par exemple à l’histoire qu’on m’enseignait à l’école après une telle complicité.

P.F : À quel âge as-tu eu envie de devenir enseignant ? Quelles ont été les raisons de cette envie ?

C.M : J’ai été un enseignant qui n’a pas aimé l’école étant enfant. Et cela m’a beaucoup aidé par la suite dans ce métier.

Je me souviens de cette période d’écolier, j’ai été dans une école catholique gérée par les frères des écoles chrétiennes. J’avais du mal intellectuellement, j’étais paralysé par l’angoisse de ne pas réussir. Ceci était parfois accentué par le fait qu’à l’époque, les enseignants avaient tendance à considérer qu’un élève qui n’arrivait pas était un feignant . Il n’était pas rare d’employer des châtiments corporels pour les punir et les forcer à apprendre.

J’avais donc du mal à suivre en primaire. Je m’épanouissais en tant qu’élève avec des enseignants qui étaient beaucoup plus bienveillants, peu sévères, qui tenaient compte des capacités des élèves. Je dois dire que pour l’époque, les frères des écoles chrétiennes nous donnaient une grande confiance en nous-mêmes, une grande ouverture d’esprit sur tous les grands problèmes de société. Ce qui était assez rare à l’époque.

P.F : Qu’est-ce qui t’a poussé à continuer les études ?

C.M : En 7ème, l’équivalent du CM2, il y avait un examen d’entrée pour la 6ème. Soit tu réussissais l’examen et tu entrais au collège, soit tu obtenais l’année suivante un certificat d’études qui validait tes compétences en lecture orthographe et calcul. Cela te donnait accès à l’ensemble des métiers manuels. Sur 40 élèves, seulement 12 entraient en 6ème, j’ai été le douzième.

La réussite de cet examen m’a provoqué un déclic qui a permis de créer de la confiance en moi. Je me suis prouvé à moi-même que j’étais capable, j’avais des capacités. Je suis passé d’élève moyen à 1er de la classe durant tout le collège.

Les cours étaient très intéressants, j’étais très curieux et passionné. Mes matières préférées étaient l’instruction religieuse, les sciences humaines et l’histoire. J’aimais beaucoup les lectures d’extraits de livres en classe de français.

Ainsi, j’ai eu ma première expérience d’enseignant en 6ème. J’apprenais mes cours avec le plaisir de faire apprendre aux autres, avec le bonheur de transmettre.

À 12 ans, j’ai découvert un frère qui allait encore plus loin, pour l’époque, dans une pédagogie axée sur la confiance en soit en mettant en place la méthode suivante basée uniquement sur le volontariat : les bons élèves pouvaient aider les élèves en difficultés. Ainsi, j’ai eu ma première expérience d’enseignant en 6ème. J’apprenais mes cours avec le plaisir de faire apprendre aux autres, avec le bonheur de transmettre.

C’est fou comment cette expérience a pu me donner confiance en moi et m’aider dans le choix d’un métier qui allait me permettre de m’épanouir durant toute ma vie professionnelle.

P.F : Qu’est-ce que tu apprenais des autres ?

C.M : Je comprenais pourquoi ils n’y arrivaient pas, l’éducation est une histoire de déclics. Quand tu apprends par force, par peur de la sanction ou de la punition, que tu apprends bêtement par cœur sans comprendre forcément, tu n’es pas acteur et tu n’as pas d’intérêt pour ce que tu apprends.

Par contre, le fait d’être 1er tout le temps a eu pour conséquence beaucoup de jalousie de la part de mes camarades, j’ai subi parfois un certain harcèlement moral. Tout n’était pas simple…

En 3ème, on passait l’examen d’entré en seconde et le BEPC, (brevet des collèges). Avec ce BEPC, on pouvait aller dans les administrations et dans les métiers du tertiaire. C’était deux examens distincts. J’ai eu mon BEPC et mon entrée en seconde.

P.F : À quel moment et pourquoi as-tu choisi l’économie ?

C.M : J’ai échoué au Bac la 1re fois, c’était pour moi un échec cuisant, mais cela a été la chance de ma vie. J’ai commencé à comprendre que, dans la vie, du négatif, il pouvait en ressortir beaucoup de positif.

Durant ma deuxième terminale, mon lycée avait décidé d’arrêter les cours pendant une semaine pour toutes les classes de terminale. Avec le réseau catholique, le lycée avait réussi à faire venir une personne qui était économiste, politologue, sociologue et elle abordait tous les sujets des sciences humaines.

À cette époque, il n’y avait pas de filière d’enseignement de l’économie en terminal. C’était une matière inconnue pour moi. Cette personne m’a fait découvrir les sciences humaines, une véritable ouverture d’esprit sur tous les problèmes du monde de l’époque (démographie, guerre froide, relations internationales, pays sous-développés, création de la FAO, géopolitique, croissance démographique des pays pauvres, etc etc)

J’ai pris conscience de la complexité du monde, pour oser espérer la dépasser et apporter des réponses, il faut la comprendre au plus profond. Au lieu de considérer les autres comme des méchants, il faut comprendre la culture de tous les peuples avec qui nous sommes en relations.

Cette fois, mon choix était fait, je serai prof d’économie afin de mieux comprendre la complexité du monde et d’avoir la joie transmettre cela.

J’ai découvert avec ce conférencier qu’il était primordial de se comprendre entre les différentes cultures, entre les pays, entre les peuples. Et qu’il y avait un seul moyen pour arriver à cela : c’était la bienveillance.

L’extrême bienveillance selon Saint Ignace de Loyola : — 1re étape: l’écoute attentive de l’autre, — 2e étape: interpeller l’autre pour mieux comprendre ses idées, — 3e étape: comprendre ses idées afin de les défendre même en cas de désaccord avec celles-ci.

L’extrême bienveillance vis-à-vis d’autrui » ou le principe de « l’apriori favorable » tel que le définit Saint Ignace de Loyola, peut se décliner en trois étapes :

  • 1ère étape: l’écoute très attentive de l’autre sans jamais lui couper la parole, laisser l’autre s’exprimer en toute liberté ;
  • 2ème étape: interpeller l’autre pour mieux comprendre ses idées, ne surtout pas pour les juger, en le laissant répondre là encore en toute liberté sans l’interrompre.
  • 3ème étape: continuer ainsi aussi longtemps qu’il le faut de façon à comprendre la proposition de l’autre le plus profondément possible, au point d’être capable de défendre ces propositions alors que je ne suis pas en accord avec celles-ci.

La fin du fin, c’est lorsque l’autre, qui n’est pas d’accord avec ma proposition entreprend la même attitude envers moi. Ce n’est plus de la simple tolérance, on découvre toute la richesse de l’autre, non seulement, on n’a plus peur de l’autre, mais on ne peut que commencer à l’aimer dans sa différence.

P.F : Quelles ont été les bizarreries que tu as observé durant ton premier poste ?

C.M: Durant mon parcours universitaire, j’ai fait des études de sciences économiques sans savoir que je pourrais être professeur dans les lycées. À l’époque, il n’y avait pas d’économie dans les lycées, c’est en 1969 seulement qu’un décret apparaît qui crée les filières SES ( Sciences économique et sociales). J’ai fini mes études en 1971.

J’ai ensuite postulé pour être professeur en lycée, c’était la grande porte ouverte, c’était tout nouveau. Mais à cette époque, ce n’était plus des cours d’économie politique, mais des cours d’économie générale. Cela veut dire que l’on niait la dimension politique à l’économie. C’est très grave en définitif. Pourquoi cela est arrivé ?

Il y avait un refus de l’enseignement politique dans l’enseignement classique. Comment former les jeunes à l’esprit critique, c’était impossible. La citoyenneté s’arrêtait à la frontière de l’école.

À mon humble avis, c’était à cause d’une laïcité mal comprise ; la politique apparaissait comme la religion ; pas question d’en parler, pas question de faire de l’instruction religieuse, pas question de parler de politique au nom de la neutralité, car c’est une affaire privée. Il y avait un refus de l’enseignement politique dans l’enseignement classique. Comment former les jeunes à l’esprit critique, c’était impossible. La citoyenneté s’arrêtait à la frontière de l’école.

Je vais vous donner le surnom que mes élèves me donnaient à ma deuxième année d’enseignement, en 1973 : « Le Nixon des pauvres ». Cela montrait qu’à leurs yeux, j’étais capable de leur inculquer cette esprit critique en ne tombant ni d’un côté ni de l’autre. J’étais capable d’enseigner les sciences politiques sans faire du prosélytisme.

P.F : Tu as enseigné l’économie pendant plus de 40 ans. Qu’est-ce qui t’a motivé à enseigner l’économie durant toute cette période ? Qu’est-ce que tu aimais dans la relation avec les jeunes ?

C.M : J’ai été comblé professionnellement, j’ai vécu ma vie professionnelle avec grand bonheur. Cela correspondait à ce que j’ai toujours voulu faire car j’avais de la passion pour la matière que j’ai enseignée et pour la relation avec les jeunes. J’aimais transmettre des clés de compréhensions, l’esprit critique et donner de l’ouverture aux jeunes sur les grands enjeux du monde.

Cela a été ma ligne directrice durant toutes ces années d’enseignement, transmettre une formation humaine grâce à l’économie, leur faire comprendre cette question : Qu’est-ce que l’Homme sur cette Terre ?

Au début de ma carrière, les élèves étaient passionnés par cet enseignement, la matière était nouvelle, à cette époque les élèves découvraient la politique au sens noble du terme. On faisait beaucoup de théorie économique, d’histoire économique. Les jeunes découvraient le monde dans lequel ils étaient et ils vivaient. L’économie donnait une vraie formation citoyenne aux élèves. Exemple concret de cela, j’ai reçu plusieurs fois ces témoignages d’élèves de l’époque :

« Monsieur, vous avez pris 3 jours pour nous faire comprendre le monde à travers une analyse libérale (maximisation des profits, non-intervention de l’état et laissez faire du marché) de l’économie avec tels ou tels penseurs et théoriciens. »

« 3 jours après vous nous présentez la théorie keynésienne basée sur une régulation de l’économie par l’état pour nous expliquer comment fonctionne le monde »

« Monsieur, nous voudrions savoir qui a raison ?»

Ma réponse était :

« Vous découvrez tout le problème des sciences économiques. Est-ce que c’est une science exacte comme les mathématiques ? La réponse est non, c’est à vous de faire votre propre opinion et surtout, c’est à vous de faire vos propres choix !! Quel monde voulez-vous ? Quelle organisation de la société ? Quel vivre ensemble voulez-vous ? Sur quelles valeurs voulez-vous vous appuyer ? Dans la façon dont vous allez organiser la société dans laquelle vous voulez vivre, quels intérêts avoués ou non avoués vous décidez de défendre, de satisfaire ? Quels intérêts personnels ou communs voulez-vous privilégier ? »

Par le biais de cette matière, j’essayais de leur transmettre que c’est de notre responsabilité en tant qu’humain d’organiser notre vivre ensemble. Nous avons une raison, une intelligence, nous sommes libres, et en particulier d’aimer ou de ne pas aimer. Nous avons un esprit spirituel au sens large du terme. C’est la spécificité extraordinairement noble de l’être humain. Tout est entre nos mains.

Cela a été ma ligne directrice durant toutes ces années d’enseignement, transmettre une formation humaine grâce à l’économie, leur faire comprendre cette question : Qu’est-ce que l’Homme sur cette Terre ?

P.F : Et selon toi, qu’est-ce que l’économie ? Quels liens entre l’économie et la politique ?

C.M : L’économie, c’est l’une des sciences humaines qui va nous aider à construire notre monde politique, c’est-à-dire l’organisation des Hommes en société. L’économie est totalement liée à la politique et vice-versa. Mais nous avons totalement perdu confiance dans la politique, pour beaucoup d’entre nous c’est la politique politicienne ( arnaques, fausses promesses, tous pourri…).

Autrement dit c’est à travers la politique que je peux exprimer le plus largement possible mon amour pour les autres, je me mets au service du bien commun.

Je les comprends énormément vu ce que l’on voit aujourd’hui. Mais que faisons-nous aujourd’hui pour donner l’exemple, pour expliquer, former les jeunes, leur présenter concrètement ce qu’est vraiment la noblesse de la politique pour qu’ils puissent comprendre dans leur cœur que la Politique comme le disait, il y a déjà plusieurs décennies, le Pape Paul VI, « C’est le champ de la plus grande charité ». Il faut traduire le mot charité qui dans le langage religieux signifie l’Amour.

Autrement dit, c’est à travers la politique que je peux exprimer le plus largement possible mon amour pour les autres, je me mets au service du bien commun. C’est le bien de tous, de nous tous, c’est-à-dire que prendre des décisions conformément au bien commun, c’est prendre des décisions qui sont gagnantes pour tout le monde, c’est le contraire de l’intérêt personnel qui profite à l’un, mais se fait au détriment de l’autre.

La politique, c’est se mettre au service des autres y compris de ceux qui ne pensent pas comme moi.

P.F : Pourquoi c’est important l’esprit critique ?

C.M : L’esprit critique est fondamental, c’est la liberté. C’est être capable de prendre suffisamment de recul pour ne pas entremêler des conflits d’intérêts à la recherche du bien commun.

L’esprit critique demande du temps, de la méditation, de la réflexion profonde, de ne pas être dans l’immédiateté. Comment expliquer quelque chose de complexe en quelques mots, c’est impossible. Cela passe par l’amour de l’autre.

On est constamment en conflit d’intérêts que ce soit en politique ou en économie. Le rôle du politique, c’est de faire en sorte que chacun accepte d’abandonner une partie de ses intérêts personnels pour pouvoir satisfaire davantage et toujours plus l’intérêt commun. Il faut admettre que c’est très difficile de faire cela dans une économie de marché complètement dérégulée puisqu’elle ne cesse de s’appuyer sur le postulat suivant : « La somme des intérêts particuliers aboutit forcément, naturellement et automatiquement à l’intérêt général ». Cela n’a jamais été prouvé scientifiquement, c’est-à-dire dans les faits sur le terrain.

L’esprit critique, c’est de ne pas prendre comme parole d’évangile le moindre discours politique ou économique. C’est être capable de comprendre tout ce que veut nous dire l’autre, de voir le positif de ce point de vue. C’est aussi être capable de déceler les intérêts personnels et les conflits d’intérêts plus ou moins dissimulés dans certains discours économiques et qui peuvent empêcher là encore l’émergence du bien commun.

L’esprit critique demande du temps, de la méditation, de la réflexion profonde, de ne pas être dans l’immédiateté. Comment expliquer quelque chose de complexe en quelques mots, c’est impossible. Cela passe par l’amour de l’autre.

P.F : En quoi l’amour de l’autre peut être une réponse à nos problèmes de nos sociétés ?

C.M : On a toujours pensé que l’on pouvait se recroqueviller sur soi-même, pensé à ses petits intérêts tout en se fichant des autres. Jean-Paul Sartre disait « Les autres, c’est l’enfer ». C’est vrai qu’à certains moments cela peut l’être. On peut se poser la question « Pourquoi on en arrive à ces situations ? » Une réponse que l’on n’a pas réalisée suffisamment tôt, c’est impossible pour l’humain de vivre seul.

Il n’y a pas besoin de réfléchir bien longtemps pour dire que les grands moments de bonheur que nous avons nous les humains, c’est bien de vivre des moments d’amour entre nous, au sens large du terme qui peut aller au-delà des sentiments amoureux. Quand on arrive à voir en l’autre des choses différentes qui passent plus ou moins bien en toi, ce n’est pas grave, tu aimes tellement l’autre que cela va t’amener à le comprendre profondément et donc à le respecter.

Une réponse que l’on n’a pas réalisée suffisamment tôt, c’est impossible pour l’humain de vivre seul.

P.F : Peux-tu donner un exemple concret de cette amour humain que tu décris ?

C.M : En octobre 2016, j’ai participé à une diffusion d’un documentaire de Sarah Zouak sur les femmes musulmanes “Women Sense Tour”.

Aujourd’hui, nous avons de plus en plus de mal à vivre dans notre société, aller à la rencontre de l’autre. C’est le cas avec les musulmans, pour beaucoup d’entre nous, ce sont des personnes tellement différentes de notre culture, de notre histoire qu’ils nous apparaissent soi-disant comme infréquentables.

En rencontrant l’autre, tu t’aperçois de sa beauté intérieure. Découvrir ce bonheur que les autres sont humains comme toi, ils sont capables d’être aimés comme toi. Ils méritent d’être aimés comme toi. À partir du moment où tu as ce contact avec eux, ces personnes ne peuvent que s’apercevoir que tu mérites d’être aimé également en retour.

Durant cette diffusion de ce documentaire, j ’étais dans une joie profonde, il nous apporte des clés simples pour mieux comprendre les femmes musulmanes en allant vers elles, en les regardants vivres.

En rencontrant l’autre, tu t’aperçois de sa beauté intérieure. Découvrir ce bonheur que les autres sont humains comme toi, ils sont capables d’être aimés comme toi. Ils méritent d’être aimés comme toi. À partir du moment où tu as ce contact avec eux, ces personnes ne peuvent que s’apercevoir que tu mérites d’être aimé également en retour.

Ce qui m’a frappé en allant voir Sarah après le documentaire, c’est qu’elle était très surprise de l’impact qu’elle venait de réaliser. Pour elle, c’était naturel, elle sentait bien la beauté de ce qu’elle montrait. Je crois qu’elle était à la fois surprise et extrêmement heureuse de ressentir que le message d’amour était passé. Et que l’ensemble des participants à cette soirée (toutes confessions, tous milieux, tous âges) a ressenti cela. Lorsque Sarah, musulmane, et Justine, athée, ont témoigné de leurs parcours, une chaleur humaine et une beauté d’âme extraordinaire se dégageaient profondément et se diffusaient dans toute la salle. Il y avait une réelle communion d’amour et de bienveillance entre toutes ces personnes extrêmement différentes !!!

P.F : Comment tu perçois la société pour les jeunes en ce moment ?

C.M : C’est une jeunesse qui souffre dans le monde dans lequel on est, on a du mal à se comprendre les uns les autres entre les jeunes et les adultes et les personnes âgées.

Les anciens sont hyper angoissés. Ils s’aperçoivent que dans cette société qu’ils ont eux-mêmes construite, les relations entre les personnes sont de plus en plus difficiles. L’agressivité, la violence, la misère se développent, nous ne faisons pas ce qu’il faut pour donner l’envie de vivre, donner de l’espérance à toute cette jeunesse. Nous croyons qu’on va se tirer d’affaire en étant toujours plus dans la répression, dans le pessimisme, la peur de l’autre, la désespérance. Il est temps de revenir à l’essentiel, le respect de la Nature et de l’être humain. Les deux sont inséparables

Dans le même temps, les jeunes se sentent incompris des adultes. Ils se disent que c’est à eux de prendre les choses en main en s’organisant d’une autre façon que nos parents et grands-parents. Les jeunes s’engouffrent dans les voies d’espérance qui peuvent exister. Elles sont présentes, mais nous ne les voyons pas. Nous les anciens, nous ne faisons pas grand-chose pour les comprendre et surtout les aider. Nous n’avons tout simplement pas les mêmes modes de pensées.

En essayant de passer d’une société verticale vers une société horizontale. Ils nous amènent à passer d’une société de concurrence exacerbée où la raison du plus fort est toujours la meilleure, à une société du faire ensemble dans laquelle se développe la solidarité.

Quand il y a une percée de ces voies d’espérances comme le film Demain, les adultes découragent ces initiatives en disant ceci : « Ouais, c’est vrai, cela existe mais vous n’allez pas résoudre tous les problèmes avec toutes ces minies- solutions, il ne faut pas exagérer, c’est une utopie. ».

À partir du moment où les jeunes prennent conscience que l’organisation de la société actuelle court à sa perte, va dans le mur. Ils essayent de trouver des solutions nouvelles pour s’en sortir. Cela passe par la capacité à espérer, à dialoguer avec les autres, à faire des choses ensemble, à faire ensemble.

En essayant de passer d’une société verticale vers une société horizontale. Ils nous amènent à passer d’une société de concurrence exacerbée où la raison du plus fort est toujours la meilleure, à une société du faire ensemble dans laquelle se développe la solidarité. C’est cela qui nous rend fort.

P.F : Quels messages ou quels rêves tu aimerais faire passer ?

C.M : La chose dont nous avons le plus besoin individuellement. C’est de conversion. Il faut changer de logiciel, de façon de penser, de mentalité, il faut des relations humaines plus bienveillantes afin de mettre réellement l’Humain au centre.

Actuellement, l’Homme est au service de l’économie et de la politique. Il n’y a qu’à écouter nos discours politiques attendant désespérément le retour de la croissance économique, la croissance pour la croissance. En fait,c’est foutu et fini, cela n’arrivera plus. Le matérialisme futile et sauvage qui ne se focalise pas sur les vrais problèmes, est une façon de fonctionner qui, contrairement à ce que certains discours aimeraient nous faire croire, n’est pas au service du bien commun. Il est au service de certains intérêts. C’est terrible d’avoir réussi à construire cela.

Il faut changer de logiciel, de façon de penser, de mentalité, il faut des relations humaines plus bienveillantes afin de mettre réellement l’Humain au centre.

Ce que j’aimerais pouvoir transmettre aux personnes qui sont en transition, c’est de relire les moments de joie et d’espérance que nous avons avec les autres. Je crois de plus en plus que cela ne peut passer que par la conversion du plus grand nombre. C’est-à-dire d’être persuadé que les solutions peuvent venir de la solidarité. C’est cela que j’appelle conversion que l’on soit croyants ou non. C’est retrouver l’amour, la relation avec l’autre, le bien commun afin de connaitre un bonheur et une joie profonde. En fait, ce qui sauve, c’est l’Amour.

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Pierre Fournier
La Fabrique des Solutions

Passionné par l’ #ESS #educationpopulaire #innovationsociale, #sharingeconomy @pfbaloo.