Les héroïnes de Besson, le féminisme au cinéma

Aline Mayard
La Funny Feminist
Published in
12 min readAug 21, 2017
Un gun, une badass (via Valérian)

Luc Besson a encore signé un grand film féministe, un film qui donne toute sa place à une femme forte qui dézingue tout sur son passage, une femme qui ne demande rien à personne.

Voilà ce que m’ont répondu certaines personnes quand je me suis plaint du sexisme de Valérian, le dernier Besson. On me rétorque que l’héroïne est badass, que les films de Besson sont des hommages aux femmes « fortes ». Sauf que… avoir un personnage féminin qui tue/conduit/pilote aussi bien qu’un homme ne suffit pas à représenter les femmes comme aussi compétentes, intéressantes ou méritantes que les hommes. Au contraire.

Nikita, Mathilda, Lucy, Leeloo, Angela, Jeanne, Laureline… Besson aime faire des films autour de femmes badass, c’est d’ailleurs le sujet de 40 à 50% de ses films (selon comment on défini une femme badass), the guy has an obsession. En fait plus qu’une obsession, c’est un fantasme, celui de la jeune femme, jolie et, au fond, innocente, que Besson pourra sauver, tel un homme blanc sur son cheval blanc.

Besson est l’exemple même du mec qui se croit féministe mais dont les films ne font que renforcer les clichés dont souffrent les femmes. Du féminisme raté, contre-productif. On pourrait appeler ça du féminisme maistagueulemerde.

Pour cet article, j’ai fait le plus gros sacrifice de ma carrière de bloggeuse : j’ai fais un marathon Besson… Et j’ai démonté, en toute objectivité, certains de ses films. Ok, let’s start.

Nikita, 1990

Nikita c’est l’histoire d’une junkie “un peu” tarée qui abat un policier et est contrainte à travailler secrètement pour le gouvernement en tant que hit girl.

Comme dans de nombreux films de Besson, l’héroïne est entourée d’hommes. Jusqu’à la 40ème minute, pas une femme en vue, c’est sausage party. Enfin arrive le premier personnage féminin. Amandine, jouée par Jeanne Moreau, est une experte du relooking, une Cristina Cordula qui a de la classe. Son rôle : transformer cette sauvageonne en “femme”. A la fin du relooking, Nikita débarque, telle une nerd d’un film d’ado américain à qui on aurait fait un brushing et enlevé ses lunettes. Là elle porte une perruque, du maquillage et une mini robe moulante décolleté noire. HOT HOT HOT.

Surprise, elle ne s’est pas parée pour un diner chic mais une première mission. Elle se retrouve donc à bazarder un nombre de méchants incroyables (tous des mecs), en talons et robe ras-la-fouffe. Pratique. Finalement, sa perruque aura tenu en place, on n’aura pas vu sa culotte, mais elle aura enlevé ses talons pour courir. J’imagine que Besson n’a jamais couru avec des talons et ne s’est jamais battu en mini-jupe. Dommage, ça, c’est quelque chose que j’aimerais voir. (D’ailleurs, si quelqu’un peut me photoshopper Besson se battant en tenue de bonnasse, je lui enverrais 10 000 bisous).

Retournons à Nikita. Transformée en bombe, selon les critères hétéronormés du mec blanc européen, elle n’est plus là que pour exciter les hommes. Elle est la preuve qu’on peut apprivoiser n’importe quelle femme, que d’une hystérique on peut faire une femme douce et jolie.

A partir de maintenant, je serais une gentille fille. (via The Breakfast Club)

Nikita c’est la promesse du sexe. Pendant sa formation, son formateur la sauve, il lui apprend à se resocialiser et à accueillir des compétences professionnelles. Au moment de se quitter, elle l’embrasse. A peine sortie de formation, elle drague le premier mec qu’elle croise, le caissier de supermarché. Une heure plus tard, elle le baise en lui demandant de ne pas parler (le rêve de tout homme, j’imagine). Le mec lui apprend à être normale, à apprécier la vie, bref, il la sauve de ses ténèbres. Quelques mois plus tard, elle finira par se marier avec lui (le mariage y a rien que ça de vrai). Conclusion : sauvez une femme, elle vous embrassera (et deviendra une femme docile).

Oh Link, tu m’as sauvée ! Qu’aurais-je fait sans toi ? Love, love, love. Maintenant laisse-moi te donner ta récompense ! (via Zelda)

Au fond, Nikita, c’est une femme fragile, blessée par des hommes, que seuls des hommes peuvent ramener à la vie. Que serions-nous sans les hommes ?

Passe le Bechdel test ? De justesse, Nikita se fait relooker en objet de désir masculin par Amandine.

Léon, 1994

Dans Nikita, Besson a donné le rôle principale à sa meuf de l’époque, Anne Parillaud. Dans Léon, il donnera une scène à sa nouvelle copine : Maïwenn. C’est la première femme qu’on voit à l’écran et c’est… une prostituée. La présence de ce personnage n’apporte rien au film mais ça fout un peu de sexe dans le film et ça permet à Maïwenn de montrer sa tête.

Old guy, young girl.

Arrive un peu plus tard, le deuxième personnage féminin (avant ça même pas une figurante), c’est Mathilda, 12 ans, qui pause lascivement dans la cage d’escalier. Alors vous me direz, ok y a pas de meuf, à part les travailleuses du sexe et la héroïne, mais c’est peut-être le monde des gangsters qui est comme ça. J’avoue je connais mal ce milieu. Passons aux deuxième problème du film.

Mathilda est aussi innocente que Nikita. C’est une victime de la violence masculine, une enfant battue. Elle est aussi sexy. Je vous entend dire que je vois le mal partout. Mais franchement si vous ne trouvez pas qu’une gamine qui joue Madonna clamant “Like a virgin” et Marilyn susurrant “Happy Birthday to you” sexy, je pense qu’il y a un problème de mauvaise foi.

Mathilda, elle, a bien compris que le monde est gouverné par les phallus, d’ailleurs elle utilise son pouvoir de séduction, allant jusqu’à chauffer explicitement le réceptionniste de l’hôtel. Mathilda, Nikita, ce sont un rappel que les femmes sont le péché universel, des tentatrices qui amèneront les hommes à leur perte.

Pour Léon, ce sera la perte totale. Il l’aura sauvé, elle sera tombé amoureuse de lui et lui mourra. Dans la vraie vie, ça ne se passe pas vraiment comme ça, Besson a épousé Maïwenn quand elle avait 16 ans… lui donnant un bébé la même année, et il est toujours bien vivant et tout à fait paisible. Quelle ironie. Pour mon ami Movieslayer, ce film était une façon pour Besson de prouver que la pédophilie était acceptable dans certaines conditions, mais c’est une autre histoire.

“Il a réalisé Léon, l’histoire d’une fille de 13 ans et d’un monsieur de 35 ans ; à l’époque, j’en avais 16 et lui 32. Personne n’a relevé le côté autobiographique” Maïween

Mais pourquoi une telle obsession avec les femmes jeunes ? Eh bien parce qu’elles sont influençables, qu’elles ont besoin de grandes personnes pour les aiguiller dans la vie. Et ces grandes personnes ce sont les hommes. (Oui je sais j’ai déjà abordé le sujet dans mon article sur les poils dégueux des femmes, à croire que c’est un sujet important.)

Cela dit, dans Mathilda comme dans Nikita, la femme (ou la fille dans ce cas), aidée de l’homme qui l’aime, finit par prendre la fuite pour refaire sa vie sans ses êtres toxiques. Enfin une bonne décision.

Passe le Bechdel test ? Nope. Les seules femmes à qui Mathilda adresse un mot, sa soeur en tenue d’aérobic et sa belle-mère les seins sortis, n’ont pas de nom.

Eloignons-nous du monde macho des gangsters, passons à la sci-fi, un monde dans lequel on peut inventer ses propres règles.

Le 5ème élément, 1997

Tout commence avec un flashback. On est en 1914 et on découvre des êtres venus d’ailleurs dont les voix semblent indiquées que ce sont des hommes, parce que, même dans les autres galaxies, ce sont les hommes qui savent et contrôlent tout.

Now, trois cents plus tard, les choses ont à peine changées, les dirigeants militaires et religieux sont tous des hommes, parce que le féminisme n’aboutira jamais à rien de concret. Estimons-nous heureuses·x quand dans la scène où sont réunis tous les chefs 👇.

Ahhh une masse de feu s’approche de nous. Heureusement nous avons des hommes (et une assistante) pour gérer la situation. (via le 5ème élément)

Pendant tout le film, on voit donc pléthore de scientifiques, religieux et militaires et seulement une dizaine de femmes, des assistantes, des secrétaires, des actrices et hôtesses de l’air très très légèrement habillées, une fille de et une diva. Des siècles de féminisme et les gens sont toujours bonnes à servir et exciter les hommes ? Apparemment les femmes ne sont pas suffisamment badass pour être policières, scientifiques ou pilotes d’avion.

Il nous reste Leeloo (Milla Jovovich) qui n’est pas vraiment une femme puisqu’elle est à la croisée entre une alien et une création. Elle est créé avec une imprimante 3D qui lui a imprimé en même temps que son corps une tenue… très minimaliste. Si j’étais elle, j’aurais préféré être habillée d’une blouse d’hôpital, prude que je suis.

Tout au long du film, les hommes semblent attendris et amusés par cette femme créée par leurs mains de démiurges, cette petite fille qui joue les rebelles. Il suffit à Bruce Willis, aka Korben Dallas, de se plonger dans ses beaux yeux pour devenir amoureux. Pas besoin de parler la même langue pour séduire quand on a une robe faites de bandes de contention. Deux minutes après l’avoir rencontrée, il décide de désobéir à la police et de l’aider à fuir. Comme c’est intéressant, encore un mec qui sauve une nana qu’il ne connait pas et avec qui il ne peut pas avoir de discussion.

Les trous au dessus des seins, c’est pour réguler la transpiration.

Arrivée chez le prêtre, on découvre qu’elle est la “chose” la plus importante sur cette planète, ce qui surprend le prêtre parce que bon il s’attendait pas à ce que ce soit une “she”.

Affaiblie par sa fuite, elle roupille et c’est là que Korben Dallas décide de l’embrasser. Consent, much? Mais comme Korben est un mec bien, il le regrette. Un peu trop tard, non ? Mais ce baiser volé se justifie, Korben est 😍. Quand son pote lui demande à quel point elle est belle, Korben liste toutes les parties de son corps, parce que une femme c’est un supermarché, on y sélectionne une paire de jambes, un nez ok, une paire de sein, pour les fesses on repassera.

Il n’est pas le seul à la trouver bonne. Tout le monde se sent obligé de dire qu’elle est “vraiment parfaite”. Car oui la femme parfaite existe, Besson l’a créé. Les autres feraient mieux de continuer à travailler sur leur physique (Achetez Elle, ily a tous les conseils dont vous avez besoin dedans).

Heureusement, Leeloo n’est pas qu’un objet sexuel, c’est une femme forte. Ahem. Pendant tout le film, Korben n’a de cesse de rappeler à Leeloo, avec beaucoup de paternalisme, qu’il l’a sauvée, qu’elle cause des problèmes et qu’elle doit l’écouter. Elle ferait mieux parce qu’en vrai sans Korben, Leeloo serait morte très rapidement. Elle aura été fragile, dans les pommes ou à côté de la plaque pendant tout le film.

L’être parfait a besoin d’un mec qui n’a même pas de points sur son permis. Right?

Sauf pendant la scène finale où elle baise Korben Dallas, ça ça la réveille. Décidément, le preu chevalier fini toujours par coucher avec la princesse en détresse. Un peu comme Besson qui a plaqué Maïwenn, à l’époque elle avait 22 ans donc suffisamment grande pour élever un gamin seule, pour Milla Jovovich qui en avait 19 au moment du casting.

Passe le Bechdel test ? Nope.

On est déjà à 1800 mots et je n’ai honnêtement pas la force de regarder à nouveau Lucy, je vais donc aller direct à Valérian (je vais faire ça de mémoire, si je me trompe sur un point, ne faites pas vos haters et remontez le feedback).

Valérian

Dans Valérian, on retrouve le schéma classique : un duo homme mehh/femme sexy qui évolue dans un lointain futur qui est aussi sexiste que les années 90. C’est un monde d’homme. Trois femmes en tout et pour tout dans le film : Rihanna, la strip-teaseuse au grand coeur (…), une princesse alien, une sorte de tahitienne pré-colonialisme mais bleue et avec un soutif (elle est sensée représenter la pureté, on allait pas la mettre à poil comme une salope), et Laureline bien sûr, la héroïne en robe échancrée et armure qui fait des seins énormes (ils ont mis du coton pour remplir les seins de l’armure ?). Les hommes, nombreux, s’adressent systématiquement à Valérian quand les deux sont présent·e·s et pendant ce temps, Laureline se tient droite. Ca me rappelle le boulot tient.

Laureline est si peu importante que son nom a été ignoré dans le titre du film. Les nerds me diront mais la bd s’appelait Valérian, oui mais ça c’était dans les années soixante. Comme Laureline prenait de plus en plus d’importance, l’auteur Jean-Claude Mézières a fini en 2007 par rebaptiser la bd Valérian et Laureline. Besson aurait pu suivre…

Deux personnages, un seul dans la titre.

Donc histoire de pas faire dans les clichés, Valérian est un dragueur qui pense avec sa bite jusqu’à ce qu’il tombe amoureux de sa collègue Laureline. Elle lui dit non parce que c’est une fille bien et les filles biens ne veulent que des relations longues monogames et stables #viergeouputain. Il insiste. Romantisme ou harcèlement ? Evidemment il l’a sauve et finit par se la faire. Le petit plus du film : elle le sauve aussi, bref elle et il se sauvent mutuellement. On aura bientôt plus besoin d’un Secrétariat d’état à l’égalité Femmes-hommes.

Mais le vrai problème, c’est que Laureline est parfaite. Sexy (d’après les normes masculines de l’époque), intelligente, emphatique, drôle, douée, dotée d’une bonne morale et d’une vie sexuelle contenue. Alors si elle est si parfaite, pourquoi n’était-elle pas le personnage principal ? Ah oui probablement parce que dans la vraie vie, une femme a beau être meilleure à son boulot qu’un homme, elle finira souvent en seconde place. Petit coeur avec les mains Hillary.

En fait, elle est si parfaite qu’elle semble fausse. Un personnage aussi parfait ne peut sortir que des fantasmes d’un homme qui imagine que les femmes sont toutes des licornes gentilles qui ne pètent pas, même pas des arc-en-ciel. Une femme n’aurait pas le droit d’avoir un personnage un tant soit peu complexe et bien écrit ? (Pourtant, c’est pas si compliqué)

Oui le film est adapté d’une bd des années 60, adapté, c’est le mot clé. Les adaptations sont censées s’adapter à l’époque. Un peu comme dans Star Trek qui compte désormais un couple gay. Surprise : ça n’a pas foutu en l’air le film !

Passe pas le Bechdel ? Nope. Les femmes ne se parlent pas.

Est-ce que ça fait du mal aux femmes ?

Voir des femmes sur l’écran qui savaient se battre a été important à une époque. Cela a permis de créer cette image de “femmes fortes” et ça c’était dinguo et super important.

Besson pensait peut-être bien faire, peut-être même pense-t-il être féministe. Le problèmes c’est que dans ses films la survie des femmes dépend toujours de l’existence d’hommes qui acceptent de les sauver et de les rendre plus badass. Finalement ce sont les hommes les héros, ceux qui se sacrifient (pour une femme) et remportent le gros lot (s. e. x.). Ces films nous rappellent juste que les femmes ne sont que des accessoires à la vie des hommes.

Dans les années 90, c’était supportable, voir même nécessaire. Après tout, on n’était pas arrivé·e·s au même niveau de prise de conscience et de représentativité. Mieux valait une femme qui bute des hommes au ciné qu’une femme qui fait la tambouille à la télé. Mais maintenant ?

Le monde change, les femmes font des films et grâce à elles nous avons des personnages féminins réalistes, des femmes badass complètement indépendantes (hello Furiosa et Wonder Woman), des films qui ne tournent pas autour des fantasmes sexuels masculins, des univers dans lesquels les femmes ont autant de pouvoir que les hommes. Nous n’avons plus besoin de femmes fortes apprivoisées et sauvées par des hommes. Nous avons besoin et méritons des femmes entières, fortes et faibles à la fois, sexy, pourquoi pas, mais non sexualisées, indépendantes et aimantes, respectées et badass.

Si vous avez aimez cet article, cliquez sur le ♥, suivez La Funny Feminist sur Facebook

— Oh ! Un tweet à liker et partager !

La vidéo bonus

--

--

Aline Mayard
La Funny Feminist

Journalist 🏳️‍🌈♀️🤓 // La Funny Feminist // @ilikethat_NL, la newsletter popcorn unicorn // Previously @HackEcritureInc @thebluehouse_io