Sororité et petits meurtres entre féministes

Aline Mayard
La Funny Feminist
Published in
5 min readMar 22, 2018
Yay! Sisters for life.

Dans la famille “noms féminins créés récemment parce qu’on en avait sacrémment besoin”, je demande la “sororité”.

Sororité : Nom féminin créé par les féministes dans les années 1970 afin de créer l’équivalent féminin de “fraternité”. Exprime la solidarité entre femmes.

C’est le concept sur lequel repose le féminisme. Seule, on n’arrive à rien. Ensemble, nous pouvons faire bouger les liens. Ce mot, ça veut dire se respecter entre femmes, se protéger, s’entre-aider, être là pour les autres comme si chacune d’entre nous était notre sœur.

Bref, c’est l’inverse du comportement des “backstabbing bitches” des sororities américaines dans les séries pour ado et films d’horreur.

Et pourtant la sororité entre féministes semble souvent utopique.

Féministes contre féministes

Dans un épisode de La Poudre, l’historienne du féminisme Christine Bard racontait un clash entre deux féministes de l’entre-deux-guerres : Madeleine Pelletier, la “virile” et Marguerite Durand, la “féminine”.

Mado voulait que les femmes se fassent pousser des couilles. Pour elle, les femmes devaient s’approprier tout ce que les hommes s’étaient appropriés : le pantalon, le travail, tout. Se faire belle, séduire les hommes, c’étaient leur faire plaisir, accepter leurs règles, s’asservir. (Plus sur Madeleine Pelletier)

Mag, elle, pensait que les femmes devaient jouer de leurs atouts, passer la main dans la crinière blonde, booster le décolleté. Elle estimait qu’il fallait parler dans une langue que les hommes comprenaient. Les deux étaient maxi badass et pourtant aucune des deux ne pouvait se piffrer.

Les meilleures enemies.

« Le féminisme est aussi fait de sororicides », rigole Christine Bard.

Pourquoi tant de haine ?

Le féminisme est un peu comme une religion. Tous et toutes ses membres sont d’accord sur l’objectif final — l’égalité femmes·hommes — mais personne n’est d’accord sur les moyens de l’atteindre. Doit-on y arriver par la provoc, à la Fémen, ou par la diplomatie, à la Marlène Schiappa ? Doit-on se concentrer sur l’égalité au travail ou sur la liberté des corps ? Doit-on, doit-on, doit-on…

Des courants de pensées se créent, des chiismes se produisent, et chacun·e suit ses intuitions en fonction de son histoire, de son éducation, de son environnement, des personnes rencontrées.

Cela donne des féministes qui croient à la pureté virginale et d’autres non, des féministes qui connaissent leurs textes et d’autres non, des féministes pratiquantes et d’autres non, des féministes qui croient à la sobriété et au travail laborieux et d’autres qui croient au bling et au pouvoir du show. Heureusement Jésus, euh Lilith, nous aime tou·tes comme nous sommes. Amen.

Dans ma tête, c’est un peu le bordel aussi.

Je fais partie de quel mouvement de féministe ?

Comment je me positionne sur le sujet du travail du sexe ? Qu’est-ce que je pense des femmes au foyer ? Est-ce que je devrais être plus active dans la lutte contre les violences domestiques ou contre les inégalités salariales ? Suis-je pour les emoji 💃 ou contre ?

Parfois, j’arrive à donner à toutes ces questions, une réponse qui me satisfasse. Et puis parfois pas du tout. Et quand j’y arrive, ça ne dure pas souvent longtemps.

Adolescente, j’étais plutôt Madeleine Pelletier. Le vernis à ongle c’était pour les filles futiles — insulte suprême. Pour réussir, il fallait se comporter comme les mecs : jouer avec les garçons dans la cour de recré, faire des études viriles, bosser comme une tarée dans une entreprise côtée en bourse, parler fort, rouler des mécaniques, et surtout ne pas rappeler notre statut de femmes. Un jour, si on gérait bien notre coup, notre genre n’importerait plus, la société ne distinguerait plus les femmes des hommes. La langue française aurait un genre neutre, hourra.

Plus tard, j’ai décidé que le neutre était utopique, il fallait d’abord questionner les genres avant de les dépasser. Je me suis dit qu’il fallait rendre visibles les femmes, mettre en avant les inégalités, être partout, revaloriser “le féminin”, lui donner ses lettres de noblesses, montrer qu’on n’est pas là pour bronzer. J’ai décidé que, pour l’instant, il nous fallait revendiquer ce que les hommes dénigrent, aimer notre corps féminin dans toute sa différence, poils longs et vergetures incluses #bodypositive, affirmer le féminin à grand coup de féminisation des mots, être visibles et fières.

Par moment, je me vois en Marguerite Durand, je me dis qu’il faut jouer du système, utiliser les différences de genre à notre avantage. Si jouer la cruche permet d’avoir accès à ce dont j’ai besoin pour réussir en tant que femme, est-ce si mal ?

Et puis à d’autres, c’est la Madeleine Pelletier en moi qui ressort. Choquons-les, coupons nos cheveux, refusons leur regard, refusons leur aide, refusons tout !! A mort le patriacat, soyons #misandre !

On est toutes dans la merde

Alors je me rappelle que ce n’est facile pour personne, que le féminisme n’est pas un long fleuve tranquille, qu’il n’y a pas de solutions idéales. Le féminisme ne vient pas en kit, avec un manuel d’assemblage.

Le féminisme, c’est tester plein de choses et voir ce qui fonctionne, c’est débattre et voir ce qui a le plus de chances d’aider le plus de femmes — ou peut-être juste une minorité de femmes mais de façon plus importante. C’est regarder ce qu’il se passe ailleurs, c’est regarder ce qu’il se passe autour de nous. C’est nous adapter, trouver ce dont les femmes de notre décennie ont besoin.

C’est s’accepter en tant que mauvaise féministe et accepter toutes les mauvaises féministes — sauf Elisabeth Badinter et Catherine Millet, ça va de soi.

Le féminisme, c’est faire bouger les lignes chacune à notre façon, ou plutôt chacune à nos façons.

Avec bienveillance.

Avec sororité.

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Aline Mayard
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