Oui, ton caca pourrait sauver la vie de quelqu’un!

Dora Moutot
La Gazette du Mauvais Gout
5 min readAug 20, 2016

Ce texte a été originellement publié dans le Usbek et Rika du mois d’aout 2014.

“Beurk, dégueulasse”, je vous entends d’ici réagir au titre de cet article. Ne tournez pas la page car le caca pourrait peut être bien un jour vous sauver. Chercheurs et médecins se sont rendus compte que nos excréments pourraient être d’incroyables traitements. Attention, vous risquez de ne plus jamais tirer la chasse de la même façon !

Votre caca est une véritable ménagerie. Vos intestins hébergent 100 000 milliards de bactéries qui se nourrissent des matières qui passent dans votre système digestif. Ces bactéries vous permettent de métaboliser les aliments et d’en tirer un maximum d’énergie.

Ce sont toutes ces cellules non humaines à qui nous offrons le logis, que nous appelons le « microbiote » :

Une communauté formée durant l’accouchement à partir de la flore fécale et vaginale maternelle qui évolue tout au long de la vie et qui peut peser jusqu’à 2 kg.

Mais le microbiote est encore une zone floue de recherche pour la médecine. Connaitre le rôle de chaque bactérie du microbiote est un travail colossal qui pourrait permettre de soigner de nombreuses maladies telles que des maladies intestinales, l’autisme, l’asthme, l’obésité et la dépression.

Les chercheurs se sont rendus compte que les patients atteints de ce type de maladies présentent une mauvaise balance bactérienne. Plusieurs études, afin de recenser toutes les bactéries du microbiote et de comprendre leur fonctionnement ont été lancées, comme le « Human Microbiome project », le « Metahit » ou « L’American gut project ». Ces recherches suggèrent que si les bactéries peuvent nous rendre malades, elles peuvent aussi changer nos comportements et nous soigner de multiples façons. Exploration !

Soigner le colon avec une transplantation fécale

Alex Khoruts de l’université de Minneapolis est connu pour être l’un des rares médecins à pratiquer la transplantation fécale. Il utilise les selles comme une greffe, exactement comme d’autres utilisent le sang ou les organes. Il récupère la selle de quelqu’un de sain pour la greffer dans un patient infecté par Clostridium Difficile, une infection intestinale qui provoque de très graves diarrhées et qui entraine parfois la mort.

Le Clostridium Difficile est une bactérie très résistante qui envahit le colon de sujets dont l’écosystème microbien a été souvent affaibli par la prise d’antibiotiques.

Cette bactérie tuerait 1000 personnes par an en France. Ironiquement, après avoir eu la flore intestinale détruite par des antibiotiques, on soigne aujourd’hui le Clostridium Difficile par d’autres antibiotiques qui ne fonctionnent pas toujours. C’est là que la transplantation fécale intervient.

https://www.instagram.com/davidtherobot/

La procédure est simple, on récupère les selles du donneur qu’on mélange à une solution saline, puis on l’injecte au malade. L’injection peut se faire de différentes façons, la plupart ont recours à la coloscopie et aux lavements, d’autres préfèrent introduire un tube par le nez jusqu’à l’estomac.

Miracle ! Les bactéries qui se cachaient dans la selle du donneur sain colonisent alors le colon du malade et stoppent l’infection en éliminant le Clostridium Difficile en produisant des toxines qui le tuent. Le patient est guéri.

Cette procédure pourrait soigner d’autres infections intestinales, l’hôpital St Antoine à Paris a récemment lancé un essai clinique de transplantations fécales sur 20 malades touchés par la maladie de Crohn.

Mais trouver un donneur prêt à donner ses excréments pour vous guérir, s’avère parfois être une lourde tache (Imaginez devoir demander à tous vos amis).

C’est pourquoi il était temps que la première banque de selles ouvre ses portes. Openbiome délivre des selles testées et congelées prêtes à être utilisées.

Pour éviter de subir une transplantation fécale, les chercheurs essayent de cultiver des bactéries fécales afin d’en faire des gélules ou de créer des matières fécales de synthèse. Ce n’est pas un projet simple car les bactéries fécales sont dures à cultiver en laboratoire car elles ne peuvent survivre en présence d’oxygène.

Des chercheurs canadiens de l’université de Guelh ont réussi à créer « robogut », un appareil capable de recréer les conditions du colon afin de créer un caca de synthèse intitulé « rePOOPulate ». Une gélule contenant des bactéries fécales est aussi en cours d’expérimentation à l’université de Calgary au Canada.

Soigner la dépression

On sait depuis longtemps qu’il y a un rapport entre le ventre et le cerveau.

L’anxiété provoque nausées et diarrhées et la dépression change l’appétit.

Les scientifiques ont longtemps pensé que la communication ne se faisait que dans un sens, du cerveau vers le ventre, mais désormais, on sait que la relation est bidirectionnelle.

Le microbiote aurait un impact sur les fonctions cérébrales et le comportement. Quelques rares psychiatres comme l’américain James Greenblatt soigne ses patients avec l’aide de probiotiques.

Plusieurs études sur des souris renforcent l’hypothèse d’un l’axe intestin-cerveau. Des chercheurs de la McMaster University au Canada ont transplanté le microbiote d’un groupe de souris timides dans l’intestin de souris extraverties et vice verca. Les souris timides devinrent extraverties et les souris extraverties devinrent timides.

Soigner l’obésité

La transplantation fécale s’avère aussi prometteuse dans le traitement de l’obésité.

https://www.instagram.com/davidtherobot/

Les bactéries du microbiote des personnes obèses absorbent des nutriments qui restent non digérés chez les personnes minces. Ce qui voudrait dire qu’une personne avec un mauvaise balance bactérienne pourrait manger la même quantité de nourriture que quelqu’un avec un microbiote sain, mais extraire plus de calories des aliments et donc prendre du poids.

Une étude publiée dans Science magazine par le docteur Andrew Gewirtz de Emory University explique qu’une souris qui manque de protéines TLR5 dans son intestin (protéine présente dans les bactéries) prend beaucoup de poids et développe un diabète.

Les chercheurs ont transféré le microbiote d’une souris obèse déficiente en TLR5 dans l’intestin d’une souris mince. La souris mince se mit immédiatement à manger plus et à adopter les comportements de la souris obèse.

On pourrait donc soigner l’obésité grâce à l’implantation de « bonnes » bactéries dans notre microbiote.

Mieux connaître ces bactéries est devenu un enjeu majeur de la médicine. Nous avons 10 fois plus de bactéries que nous avons de cellules humaines dans notre corps.

Quelle est la véritable influence de ces bactéries? Serions-nous plus “bactériens” que nous sommes humains?

À méditer…

Ce texte a été originellement publié dans le Usbek et Rika du mois d’aout 2014.

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