F-35 : TRILLION DOLLAR BABY EST-IL VRAIMENT NUL ?
Par Julien Muntzer
Publié le 3 mai 2017
Le F-35 c’est le dernier né de Lockheed Martin, un bijou de technologie made in USA.
Présenté comme l’avion du 21e siècle, le F-35 c’est un peu comme le premier smartphone d’Apple, un tout nouveau concept qui n’a pas vraiment d’équivalent.
L’appareil est décliné en 3 versions : pour l’ US Air force, la Navy et les US Marines (avec décollage et atterrissage court ou vertical). Les trois (F-35A, F-35B et F-35C) devaient avoir en commun au moins 80% des pièces et des équipements électroniques, afin de limiter les coûts de production et d’entretien. L’ambitieux projet deviendra un Joint Strike Fighter (JSF) fruit d’un partenariat entre plusieurs pays dont le Canada, le Royaume-Uni, l’Italie, Israël et l’Australie pour ne citer que les plus gros.
25 ans plus tard la belle aventure est devenue le programme militaire le plus cher de l’histoire et accumule les déboires. Mais le Lightning II prend enfin du service, ou presque. Alors que vaut vraiment ce beau joujou ? La plupart des capacités de l’avion sont tenues secrètes mais le peu qui a filtré nous montre combien il est différent de ce qui se faisait jusque-là.
Premier coup d’œil furtif
Le F-35 c’est d’abord un avion « furtif ». Comme le F-22 Raptor, il possède une très faible signature radar. Un tour de passe-passe réussi grâce à son design et à des matériaux qui renvoient un minimum d’ondes. Son armement est dissimulé à l’intérieur d’une soute sous l’avion pour que la voilure soit le plus lisse possible.
L’appareil peut ainsi s’approcher d’un avion ennemi ou pénétrer un territoire sans être repéré. C’est le concept enfantin du « pas vu pas pris » sur lequel se base la doctrine du F-35 : « see first, shoot first » premier qui voit, premier qui tire.
Un avion d’une grande sensibilité
Ne pas être vu et voir mieux que les autres, c’est la force du Lightning II. Une multitude de capteurs et de radars ultra sensibles se trouvent sous la « peau » de l’avion, lui permettant d’analyser son environnement de manière beaucoup plus fine que les anciennes générations de chasseurs. Il peut remonter ainsi beaucoup d’informations à son logiciel et fournit au pilote une vision pointue de son environnement et l’accompagne dans sa prise de décision.
Lors d’un exercice de démonstration à bord de l’ USS America en 2016 des aviateurs des Marines Corps ont partagé leur expérience : « Je menais une mission pour frapper une cible quand un « ennemi » est arrivé sur moi. Dans un avion de 4e génération (avions non furtifs comme le F-18 ou le Rafale français, ndlr) vous devez faire tout un tas d’interprétations. Vous pensez en azimut et en élévation. Dans un F-35 c’est comme voir le monde du point de vue de Dieu. C’est comme voir un briefing en temps réel ».
Un autre pilote d’ajouter « Je n’avais pas décollé que l’appareil me fournissait tout un tas d’informations. Je savais exactement ce qui se passait autour de moi, qui était dans les airs et ou été mes cibles alors que je n’avais même pas quitté le sol ». Le pilote dispose pour cela d’un outil très spécial à 400 000 dollars pièce : Helmet Mounted Display, un casque ultra-sophistiqué qui lui diffuse directement les informations dans la visière et qui lui offre une vision à 360 degrés. On appelle cela avoir des yeux derrière la tête.
Un avion intégré dans un système
Capable de lire et traiter plus d’informations que les chasseurs « traditionnels » le logiciel du F-35 en fait un avion connecté. Son principal atout c’est d’utiliser les données des avions AWACS, avions de détection radar avancée qui balaient une très large zone depuis le ciel, comme s’il s’agissait de son propre radar embarqué. Le F-35 possède ainsi une vision bien plus large du champ de bataille. C’est la capacité Beyond Visual Range, BVR : au-delà du champ de vision. L’avion de Lockheed peut ainsi abattre une cible à très longue distance, hors de portée des moyens de détection de l’ennemi. Encore une fois « see first shoot first ».
Puisqu’il évolue en réseau, il peut utiliser tous les autres appareils autour de lui soit pour recevoir des données, soit pour désigner une cible. Un F-35 même désarmé, reste dangereux. Une fois vidé de ses munitions, il peut rester en l’air pour agir comme une plateforme, gérer et guider les autres avions sur des cibles au sol ou en l’air, parfois en même temps.
F-35 n’aime pas le combat rapproché
Mais voilà, Trillion dollar baby a aussi ses défauts. Ses défenseurs vous dirons qu’il est juste un peu moins bon que les avions de la vieille école dans certains domaines.
Quatre fois par an les américains organisent l’exercice RED FLAG dans le Nevada. Il permet de confronter les pilotes entre eux dans des exercices de combats aériens appelés dogfight . Et sur cet exercice, le Lightning II ne semble pas vraiment à l’aise. Il se montre moins manœuvrable que les anciens modèles comme le F-16.
La faute à un design qui fait trop de compromis. Devant être bombardier, soutien au sol, chasseur de supériorité aérienne, avion embarqué, avion à décollage court, etc. L’appareil doit répondre à trop de besoins différents en plus d’être furtif. Cela a donné un avion « pataud » quand « il est pris en chasse ».
On est loin des avions super-manœuvrables russes capables de prendre des virages serrés à très haute vitesse, mais eux ne doivent accomplir qu’une ou deux fonctions. Même le Rafale français « omnirôle » a préféré renoncer au furtif pour rester performant.
Le pilote du F-35 pourtant bien aidé jusque-là se trouve desservi par la technologie en cas de dogfight : le casque est trop lourd et trop encombrant, la verrière trop petite, le pilote ne peut pas observer à l’œil nu ce qui se passe dans son dos. La multiplication des angles morts le rend facile à descendre. Ce problème de maniabilité en combat rapproché a fait grand bruit car le dogfight reste la base de la supériorité aérienne. Et même les bons vieux F-16 lestés comme des mules ont pris le dessus sur le Lightning II.
Mais il y a un vice : le F-35 à ce moment là ne bénéficiait pas de son système BVR. Lors des exercices suivants, équipé du BVR et de ses outils de pointes, le F-35 a eu des résultats impressionnants : 20 avions abattus pour 1 perte. L’appareil mise sur d’autres atouts que la manœuvre d’évasion classique : détecter et frapper avant d’être repéré. Certains pilotes avoueront avoir eu « l’impression de se battre contre l’homme invisible ».
Un avion, des problèmes
L’avion a mis du temps à naître et de nombreuses technologies à la base de sa conception semblent aujourd’hui presque dépassées.
D’abord son programme a pris 8 ans de retard à cause principalement de la conception de son logiciel. Sans ce logiciel qui lui offre sa « conscience situationnelle », l’avion ne sert à rien. Seulement voilà son développement n’est toujours pas terminé, le gouvernement américain a même annoncé qu’il manquait encore 2 ans. Du coup les F-35 qui viennent d’être déclarés opérationnelles pour le service voient leurs capacités limitées pour le moment.
Le deuxième problème c’est la technologie furtive pour éviter la détection. « Le furtif sera encore bon pour les 10 ans à venir au moins. Mais il n’y a rien de magique avec cette technologie » avoue un amiral de l’ US Navy, Jonathan Greener en 2014. Pour le moment le furtif échappe aux radars, mais depuis les années 80 de nombreux systèmes utilisant d’autres moyens de détection sont à l’étude comme les radars passifs, ou la détection infrarouge (IRST infra red search and track) face auxquels le stealth ne sert à rien, surtout quand le moteur de l’appareil semble laisser une grosse empreinte thermique.
Un véritable problème dans un contexte où les défenses aériennes et les maillages radars se font de plus en plus denses, notamment avec les systèmes de dénis d’accès de l’espace (A2/D2) mis en place par les Russes, les Chinois et les Américains eux même. De quoi limiter la capacité des avions furtifs à pénétrer en zone ennemi pour frapper des cibles.
Enfin c’est le premier avion ultra connecté et cyber dépendant. Il doit rester connecté au réseau pour pouvoir être opérationnel. Il ne peut fonctionner sans mettre à jour ses données en permanence. Une dépendance au réseau qui peut s’avérer plus dangereuse que pour les avions de 4e génération en cas de guerre électronique. Soit en hackant directement le logiciel de l’appareil soit en ciblant les outils de détections qu’il utilise comme les avions radars AWACS. Sans eux sa capacité BVR, à voir au-delà du champ de vision, se trouve gravement limitée. Et l’on sait que le Lightning n’aime pas frapper de près.
Si seulement les problèmes s’arrêtaient là pour le F-35. La liste des retards, des bugs et des faiblesses de l’avion est bien longue. Certains sont inhérent à toutes nouvelles technologies, que ce soit dans le civil ou le militaire. Malheureusement l’inflation du prix et le délai pour sa mise en service rendent difficile à faire passer la pilule. Pire encore l’avion ne semble déjà plus justifier son prix.
La vraie faiblesse de l’avion : son coût
Surnommé Trillion dollar program, le projet F-35 a coûté plus de 400 milliards de dollars depuis 25 ans. Une dernière estimation du gouvernement américain prévoit que 1,2 milliards de dollars devront encore être investis pour achever le développement de l’avion.
Le prix à l’unité sera donc de 160 millions de dollars contre 80 prévus au début du programme. Sans parler du coût à l’entretien qui s’annonce tout aussi élevé. Pour prendre un point de comparaison, tout relatif bien sûr, le Rafale français déjà considéré comme un avion cher, coûte environ 120 millions d’euros à l’unité. Pour un programme unifié qui devait faire baisser le prix, le F-35 a raté sa cible. Certains partenaires comme le Canada ont simplement renoncé à l’achat d’un avion dans lequel ils ont pourtant investi beaucoup d’argent.
D’autres comme l’Italie ont réduit la taille de leur commande et préfèrent prendre le risque d’avoir des flottes plus petites pour limiter les dépenses. C’est un problème car en cas d’attaque « en masse » comme certaines doctrines militaires (notamment chinoises) le prévoient, ils pourront être débordés et submergés par des avions moins avancés mais plus nombreux. Surtout que l’avion pour conserver sa « furtivité » ne peut embarquer qu’un nombre très limité de missiles (4 dans la soute).
Pour l’analyste militaire Peter Singer « le véritable challenge du F-35 a toujours était quelque chose sur lequel on ne peut pas grand-chose : son prix et peut être même juste la question de ce que l’on peut acheter à la place pour le même prix ». Le président américain Donald Trump a suivi cette logique et demandé à Boeing de proposer une alternative moins chère avec ses F-18 Super-Hornet modernisés mais non furtif. Au final il s’agit surtout de faire baisser les prix car le programme semble être devenu trop gros pour être abandonné. Too Big to fail ?
Mais certains pays partenaires comme la Belgique réfléchissent sérieusement à la pertinence de placer tout leur argent dans l’avion de Lockheed Martin et s’offrent la possibilité d’aller voir ailleurs.
Au final le F-35 représente un véritable bond en avant. Il est conçu comme une plateforme qui traite des informations en masse, pouvant diriger d’autres avion ou bientôt des drones autonomes sur lesquels il pourra agir directement, ce qui en fera certainement une arme redoutable. Si ses performances semblent limitées, il est bien trop différent pour être comparé aux chasseurs « traditionnels ». Sans son prix exorbitant et la nécessité de jouer le rôle de plusieurs avions en même temps, nous serions tous émerveillés devant ce que propose le F-35. Seul ses résultats en conditions réelles nous diront s’il s’agit ou non d’un échec.
Sources :
Les ratés du F-35
Project On Governement Oversight
Les exercices Redflag
Les pilotes de l’USS America décrivent le F-35
La comparaison entre le F-35 et les autres avions
La guerre electronique et les capacités du F-35
Originally published at laguerreenclair.fr