LE SOLEIL SE LEVE-T-IL A NOUVEAU SUR L’ARMEE NIPPONE ?

LGEC / La Guerre en clair
La Guerre en clair
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11 min readOct 1, 2017

16 décembre 2016

Par Armand Passy, contributeur LGEC

Réarmement ou remilitarisation ? Abandon de sa doctrine défensive ? Adaptation face aux nouvelles tensions régionales ? La hausse du budget alloué à la Défense et la révision de l’article 9 de la constitution du Japon ont fait couler beaucoup d’encre. LGEC décrypte pour vous.

Vae Victis: aux origines d’une armée atypique.

Suite à sa défaite dans la guerre du Pacifique, le Japon se voit contraint d’accepter le 14 aout 1945 la déclaration de Potsdam, qui allait définir ses futurs principes politiques cardinaux, tels que le pacifisme et le respect des droits de l’homme. L’année suivante, une nouvelle constitution est votée dont l’article 9 stipule que « le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l’usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux ». Son armée et sa marine impériale furent démobilisées de facto.

L’occupation du Japon par les forces américaines sous le commandement du général MacArthur s’achèvera en 1952 avec le traité de paix de San Francisco, grâce auquel le pays retrouve sa souveraineté et le droit d’assurer sa défense. En pleine guerre froide et alors que commençait la guerre de Corée (1950–53), les États-unis souhaitaient intégrer leur ancien adversaire dans leur système de défense. Le Japon devient alors la tête de pont de l’US Navy avec l’implantation de nombreuses bases américaines sur son territoire et un élément clé du réseau d’alliances diplomatiques visant à contenir l’expansion communiste. Le pays bénéficiera en retour d’une aide financière et matérielle qui lui permettra de réaliser son « miracle économique » et ainsi devenir l’une des économies dominante. En 1954, le gouvernement japonais se dote d’une force armée dite défensive, sous la tutelle du ministère de l’intérieur : c’est la naissance des Forces japonaises d’autodéfense (FJA).

Le Japon en plein cœur d’une région hostile

Regain de tensions dans la région, menaces directes et indirectes, depuis plusieurs années maintenant, Tokyo doit faire face à des menaces extérieures grandissantes provenant surtout de ses voisins de Corée du nord et de Chine.

La Corée du Nord

Depuis les années 70 les relations avec Pyongyang sont froides et tendues, entre autre du fait des enlèvements de ressortissants japonais par les services secrets nord-coréens, ou plus récemment l’affrontement au large d’Amani-Oshima en 2001, qui se termina par la destruction d’un navire espion nord-coréen par les gardes côtes.

Mais la principale menace que fait planer la Corée du nord sur l’archipel nippon, c’est la menace de frappes balistiques et peut-être nucléaire. L’annonce de la réussite des essais de tirs de missile en juin dernier n’est pas faite pour normaliser les relations diplomatiques, et le scénario d’un tir contre le Japon n’est pas exclu par Tokyo. La Corée du Nord aurait en effet construit une dizaine de bombes atomiques. S’il n’est pas encore certain qu’elle soit capable de miniaturiser la technologie pour en faire des têtes nucléaires, elle possède d’ores et déjà 300 missiles balistiques de type No-Dong d’une portée de 1300 km, et 100 à 200 missiles Musudan d’une portée de 3000 à 4000 km, susceptibles de frapper les bases américaines de Guam et d’Okinawa. Pyongyang développe un missile Taepo Dong 2 qui serait capable selon le renseignement américain de délivrer une charge de quelques centaines de kilos jusqu’à 10 000 km de distance.

Les Senkaku/Diaoyu, un contentieux passif-aggressif avec la Chine

Les frictions territoriales trouvent leur expression la plus paroxystique avec la crise Senkaku / Diaoyu qui oppose Pékin et Tokyo, à propos de cinq îles et trois rochers inhabités, situés entre Okinawa et Taïwan. Arrachées à la Chine en 1895 lors de la première guerre Sino-japonaise, puis placées sous contrôle américain après la défaite du Japon en 1945, elles sont restituées à Tokyo en 1971. Tokyo les nationalise en 2012, mais Pékin ne l’entend pas de cette oreille, et considérant qu’il s’agit d’un territoire chinois, inclue l’espace des Senkaku dans sa zone d’identification aérienne en 2013.

Pourtant, bien que les ressources énergétiques (guano, hydrocarbures) présentes dans la zone de ces îles soient anecdotiques, ces rochers exacerbent le nationalisme des deux pays où chez l’un comme chez l’autre perdre la face n’est pas une option.

Refusant toute médiation au motif qu’il s’agit d’un problème bilatéral, les incidents impliquant des navires ou des aéronefs se multiplient ; les radars de tirs s’accrochent et les heurts entre bateaux de pêche chinois et gardes côtes nippons sont de plus en plus violents. 2015 et 2016 ont vu des navires armés chinois pénétrer les eaux territoriales japonaises.

L’expansionnisme agressif chinois en Mer de Chine méridionale

« La Chine détient une souveraineté incontestable sur les îles de la mer de Chine méridionale et les eaux qui les bordent, a entière juridiction et jouit de tous ses droits souverains tant sur les eaux associées que sur le fond maritime et le sous-sol ». Cette déclaration de 2009 se base sur les revendications de Pékin suivant sa doctrine de la Ligne des 9 traits. La Chine affirme ainsi détenir une souveraineté historique sur plus de 80% de la mer de Chine méridionale. La Chine depuis quelques années appuie militairement ses revendications territoriales en aménageant des ilots et des récifs pour y construire de bases aériennes maritimes. Mais les motivations réelles de Pékin dans la zone peuvent sembler floues : s’agit-il de simplement protéger ces îles et leurs potentielles zones économiques exclusives ou de déployer des moyens militaires de projections plus offensifs ?

En une quinzaine d’années, dans le sillage de son essor économique, l’Armée populaire de libération a entrepris la modernisation de sa flotte en voie d’obsolescence avancée pour en faire une force navale susceptible capable de rivaliser avec la puissance maritime américaine. En effet la Marine chinoise s’est dotée récemment de quatre nouvelles classes de destroyers et de trois nouvelles classes de frégates. L’intégration de missiles anti-navires et l’adjonction de systèmes de défense anti-aérienne de conception locale ou russe, confèrent à la marine chinoise une capacité de défense de zone et de déni d’accès qu’elle n’avait pas jusqu’à présent.

Plus encore, l’armement des sous-marins chinois a progressé rapidement (57 tactiques et 4 stratégiques), en incluant des missiles de croisière anti-surface, et des torpilles de conceptions avancées, renforçant ainsi les capacités dissuasives de l’empire du milieu. Pékin souhaite ainsi voir sa marine jouer un rôle régional prééminent. Ses capacités de projections restant encore modestes, il s’agit selon les officiels chinois de sécuriser la région périphérique.

En matière de porte-avion, après l’acquisition auprès de l’Ukraine du porte avion Liaoning (le jumeau de « l’Amiral Kuznetsov ») et sa lente remise en service, la Chine a décidé de fabriquer une autre copie. «Il en faut au moins trois à la Chine pour maintenir une présence navale crédible, afin d’en assigner un à chacune de ses trois flottes navales », juge Yue Gang, analyste militaire basé à Pékin. Un vaste projet de plusieurs centaines de milliards de dollars a donc été lancé, et les premiers porte-avions devraient être opérationnels au début des années 2020, selon les experts. L’objectif immédiat pour la Chine est de surclasser la marine japonaise et à terme être capable de se mesurer à son grand rival, les États-unis qui disposent de 11 porte-avions. Au rythme actuel, la marine chinoise devrait égaler l’US Navy en équipement à l’horizon 2040.

Au niveau de la dissuasion nucléaire, les experts pensent que Pékin possède actuellement de 170 à 180 missiles balistiques armés de têtes nucléaires de la série des Dong Feng intercontinentaux ou de portée intermédiaire dont le célèbre missile « tueurs de porte-avion ». L’empire du milieu aurait également déployé de 1050 à 1150 missiles à courte portée équipés de tête conventionnelle et devant Taïwan, et dispose de 200 à 500 missiles de croisière de 8000km de portée. De plus, un programme de développement de missile de croisière à longue portée largable par avion est actuellement en cours.

Si vis pacem, para bellum: les FJA font leur révolution

Face à ces menaces, le Japon a jugé nécessaire d’augmenter son budget de la Défense pour la quatrième année consécutive, confirmant ainsi la politique de pacifisme actif prôné par le Premier ministre Shinzo Abe. Ce dernier a donné son feu vert pour augmenter les dépenses de 24 700 milliards de yens (175 milliards d’euros) entre 2014 et 2019. C’est la deuxième fois depuis son arrivée au pouvoir en décembre 2012 que M. Abe annonce une augmentation des dépenses militaires.

Le 31 janvier 2013, le Premier ministre a fait part de sa volonté d’amender la constitution pour supprimer les mentions pacifistes de l’article 9, ce qui autoriserait la Japon à intervenir pour défendre un allié attaqué. Ces deux mesures, augmentation du budget et révision de la constitution ont défrayé la chronique, mais comment se traduisent elles concrètement pour les Forces Japonaises d’Autodéfense?

Afin de répondre à la menace nucléaire de la Corée du nord, et en l’absence de dissuasion nucléaire propre, le Japon s’appuie sur son allié américain pour assurer la seconde frappe. Pour améliorer la vitesse de détection et de réponse aux missiles ennemis, le Japon a déplacé le centre de commandement de sa défense antimissile dans la base américaine de Yokota, reliée au 613e centre d’opérations aériennes et spatiales d’Hawaï, ce qui lui permet d’utiliser les satellites américains. De plus Tokyo a fait l’acquisition du système anti-missiles Aegis qui équipe désormais ses 4 destroyers lance-missiles de type Kongo. Ces systèmes anti-missiles sont équipés de missiles de type SM-3 qui ont jusqu’à 5 000 kilomètres de portée, afin d’atteindre leurs cibles lorsque celles-ci sont en phase ascendante ou lors de leur vol exo-atmosphérique. Les 2 destroyers plus récents de la classe Atago sont en attente de réception de ce système. De même, l’archipel s’est doté de 16 batteries terrestres de missiles Patriot modernisés de type PAC-3, conçus pour intercepter les missiles de quelques centaines de kilomètres de portée quand ces derniers sont en phase terminale.

Mais c’est principalement les Forces maritimes d’autodéfense qui profitent de la hausse des crédits. En réponse aux différents territoriaux non-résolus en Mer de Chine, Tokyo développe de nouvelles capacités militaires, et notamment ses capacités de projection amphibie. Cela correspond à la doctrine japonaise de reprise d’une île par la force. Rappelons ici que le Japon est un archipel composé de … 6852 iles ! Il n’y a donc rien d’absurde à ce que le pays possède d’ores et déjà des bâtiments spécialisés : 3 navires de classe Osumi, se rapprochant de la définition du Landing Ship Dock, et 2 porte-hélicoptères de classe Hyuga, secondés par 2 navires de la classe Izumo aux dimensions supérieures. Ces bâtiments, appelés à jouer le rôle de bâtiment de commandement comparable aux BPC français, sont avec leurs 24.000 t de déplacement et leur 248 m de longueur les plus grands bâtiments de guerre construits au Japon depuis la 2e guerre mondiale.

Afin de renforcer ses capacités de déni d’accès, un effort est porté sur les forces sous-marines, car le Japon veut pouvoir faire face à la menace que représentent les submersibles chinois : le nombre de 16 unités, constant depuis de nombreuses années, devrait être porté à 22, voire 25 à plus long terme. 4 grands sous-marins océaniques du type Soryu sont maintenant en service, 4 autres sont en construction et 3 autres en prévision, ce qui permettra avec les 11 sous-marins d’attaque de la classe Oyashio encore en service, d’atteindre ce chiffre de 22. Les sous-marins Soryu passent pour les sous-marins conventionnels les plus avancés au monde : à propulsion anaérobique, long de 84m et déplaçant 4 200 tonnes, un Soryu atteint 25 nœuds et 550 mètres d’immersion. Son armement, centré sur l’anti-navire, est composé de six tubes lance torpilles et de missiles anti surface Harpoon. Enfin la Marine compte 25 bâtiments dotés de dragues mécaniques et acoustiques ainsi que 4 chasseurs de mines. Elle peut également déployer des moyens de dragage par hélicoptère, grâce à ses MH-53E Sea Dragon.

La volonté nipponne d’user de tout l’arsenal diplomatique pour tenter de fédérer les différents acteurs présents en Mer de Chine contre Pékin est également à l’œuvre. Ne pouvant appuyer sa défense sur ses seules forces, tant pour des raisons de budget, qui reste relativement faible malgré son augmentation, qu’à cause de la disproportion numérique entre les forces japonaises et chinoises. Le Japon s’efforce de développer des capacités de manœuvres communes en multipliant les exercices conjoints : avec les Philippines, officiellement pour des exercices de sauvetage en mer au large de Palawan, avec les États-Unis, pour des exercices de défense d’Okinawa et Honshu, et en devenant membre permanent dans l’exercice tripartite Malabar, qui regroupe États-Unis, Inde, Japon et sur certains millésimes, l’Australie et Singapour.

D’autre part, l’interdiction de vente d’armes ayant été levée en avril 2014 par Shinzo Abe, Tokyo s’est alors lancé dans des négociations bilatérales et s’est rapproché du Vietnam et des Philippines, pour leur proposer des patrouilleurs équipés de systèmes de surveillance. M. Aquino a signé un contrat avec le Japon pour dix navires patrouilleurs, qui permettront à Manille de mieux protéger ses intérêts souverains dans les eaux territoriales de Scarborough. Par ailleurs, les Philippines ont indiqué autoriser les FJA à utiliser ses bases militaires à des fins logistiques. Un accord de ce type permettrait aux avions et aux bâtiments nippons d’étendre leur rayon d’action en mer de Chine méridionale. Tokyo est aussi en discussion avec l’Inde pour la vente de quinze avions amphibie US-2 (search and rescue) et avec l’Australie, autre grand inquiet des ambitions de Pékin, qui souhaiterait se doter d’une dizaine de sous-marins Soryu.

CONCLUSION

Ainsi, la première évolution doctrinale majeure dans la stratégie de défense du Japon est donc le passage de la défense statique à la défense dynamique. L’effort porté sur les capacités amphibies et le développement d’une force similaire à l’US Marines Corps ne signifie pas tant le retour d’un Japon belliciste que l’adaptation de la défense d’un pays aux exigences dictées par son territoire et imposées par les menaces auxquelles il doit faire face.

Le second nouvel élément doctrinal est le processus d’autonomisation et de développement des Forces d’autodéfense. Cantonnées jusqu’alors à un rôle d’appoint, et leur inscription dans un jeu d’alliances et de coopérations stratégiques régionales renforcées. Reste à savoir ce qu’il adviendra du traité de coopération avec les États-Unis, le président élu Donald Trump ayant annoncé sa volonté de se désengager de la zone à défaut d’une hausse de la contribution financière du Japon. Shinzo Abe s’est rendu à New York quelques heures après l’élection de Donald Trump afin de réaffirmer les liens entre les deux pays, mais surtout de rassurer l’opinion.

“On va sans doute avoir le retour du débat sur la nucléarisation possible de ces pays”, juge Céline Pajon, spécialiste du Japon à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Le Japon, qui dispose de capacités d’enrichissement d’uranium, de recyclage de plutonium et d’un programme spatial pourrait en effet décider de se doter de l’arme nucléaire en cas d’abandon de la politique du Pivot vers le Pacifique lancé par l’administration Obama. Mais Takashi Kawakami de l’Institut des Etudes mondiales de l’Université de Takushoku, juge insurmontables dans le seul pays à avoir subi une attaque atomique, l’opposition de la population, les difficultés d’amendement de la Constitution et la nécessité de quitter le Traité de Non-Prolifération des armes nucléaires.

En somme, le Japon prendra les armes pour répondre à toute agression, mais on peut légitimement douter de la mise en place d’une doctrine militaire plus offensive. Les souvenirs de la défaite de 1945 et de l’infamante occupation qui s’en suivit sont bien trop ancrés dans les esprits pour que Tokyo prenne la responsabilité de tirer le premier.

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