FOMO — Le guide de l’éternel.le angoissé.e

Noémie Kempf
La Nouvelle Frontière
8 min readOct 29, 2019

Notre monde est toujours plus connecté, mais pourtant, ce progrès ne semble pas s’accompagner d’un accroissement du bonheur. Au contraire, nos smartphones nous rendent de plus en plus malheureux. Le responsable ? FOMO (Fear Of Missing Out). Analyse des symptômes de ce mal du siècle.

Photo par Rami Al-zayat sur Unsplash

Il y a cinq ans, j’entendais pour la première fois le terme “FOMO” — Fear Of Missing Out. Un concept un peu obscur, qui s’appliquait à expliquer comment les réseaux sociaux et la technologie amplifient l’anxiété que nous ressentons à l’idée de ne pas saisir toutes les opportunités qui s’offrent à nous, à chaque instant de nos vies ultra-connectées.

Étant moi-même complètement accro à Instagram, Facebook et consorts, je décidai alors de creuser le sujet. Après quelques recherches en ligne, le diagnostic était posé : j’étais atteinte de FOMO chronique.

‍À cette époque, je vivais au Cambodge et la branche locale de l’association Nerd Night m’a offert l’opportunité de prendre la parole sur ce sujet, qui m’avait très rapidement passionnée. Je n’étais pas la seule à m’y intéresser — ‘aux alentours de 2014 et 2015, de nombreux médias se sont emparés du sujet, tout comme les conférenciers TED, les gourous et coaches de vie, mais aussi les marques, qui voyaient dans le FOMO une beau levier marketing pour convaincre des prospects. Tous s’insurgeaient contre l’effet néfaste des technologies sur notre bien-être et notre santé mentale, prônant la déconnection et la juste mesure dans l’usage de nos smartphones et autres tablettes.

Êtes-vous FOMO ?

Cette période a d’ailleurs été rapidement suivie de l’apogée du concept de “digital detox”, et de nombreuses tentatives (toutes plus ou moins avortées) d’amis et de connaissances de faire une “pause Facebook” pendant quelques mois. Une demi-décennie plus tard, notre approche du FOMO a-t-elle changé ? Avons-nous trouvé des méthodes pour lutter contre ce sentiment peu gratifiant et les crises d’angoisse qu’il suscite ? Ou avons-nous préféré nous résigner et accepter ce sentiment ?

Commençons par une petite rétrospective de l’évolution du concept de FOMO.

‍Être partout en même temps, sans être jamais présent nulle part : le mal du siècle‍

Imaginez vous quelques instants à la fin d’une grosse semaine de travail. Nous sommes vendredi soir, vous êtes rentré.e chez vous, et, au fond de votre canapé, vous vous apprêtez à dédier votre soirée à un ponçage en bonne et due forme de Netflix. Pendant que vous attendez l’arrivée du livreur Deliveroo (oui, vous avez eu la flemme de cuisiner, après tout c’est vendredi), vous faites “juste un petit tour” sur Instagram. Et là, c’est le début du drame. L’afterwork de vos collègues que vous avez habilement esquivé s’est transformé en karaoké enflammé, vos meilleurs amis sont en train de prendre des bières dans un bar en vogue, et votre ancienne partenaire de TD de SVT en seconde, à qui vous ne parlez plus depuis 2007, est en train de se dorer la pilule aux Maldives.

Vous reposez votre téléphone à côté de vous, vous essayez de vous concentrer sur la sélection de votre film, de vous réjouir de l’arrivée imminente de vos sushi, mais rien n’y fait : le sentiment d’anxiété et d’angoisse est là, et il grandit de seconde en seconde. C’est la première manifestation du FOMO.

Ce sentiment, défini par l’Oxford Dictionnary comme “l’anxiété qu’un événement excitant ou intéressant soit peut-être en train de se dérouler ailleurs, souvent causée par la vue de posts publiés sur un site web ou un réseau social”, n’est finalement pas nouveau — on pourrait argumenter par exemple que le métier de colporteur du XVe siècle, qui vivait sur les routes, allant de village en village pour partager les dernières nouvelles, reflétait somme toute une certaine forme de FOMO frappant les populations rurales.

Cependant, le caractère nouveau du contexte actuel s’explique par les nouvelles technologies : le digital est un catalyseur de FOMO comme on en avait jamais vu jusqu’à présent.

L’immédiateté de l’accès à l’information via internet, la rapidité de partage de cette information, et la couverture toujours plus puissante du réseau 4G, nous permettent de maintenir en continu, mais également de démultiplier notre présence en ligne. Nous consultons nos notifications toutes les cinq secondes. Notre téléphone ne s’arrête plus de vibrer. Nous postons des fragments de vie sur nos réseaux sociaux, nous observons passivement ceux de nos amis, de nos idoles, sur Instagram, sur Facebook, sur Tik Tok, … Et petit à petit, notre identité se fragmente sur les différents réseaux, à mesure que nous y créons des personnages en postant des petits morceaux d’une vie idéalisée et que nous y observons celle (tout aussi idéalisée) des autres. La réalité de nos vies est distordue à grands coups de filtres, d’emojis et de mises en scène plage-bikini-yoga, nous donnant à tort le sentiment que notre quotidien n’est pas “assez”. Pas assez animé, pas assez rempli, pas assez riche, pas assez optimisé, …

La conséquence la plus grave concerne nos relations : à force de passer des heures les yeux rivés sur nos téléphones, il devient de plus en plus difficile de profiter d’un moment d’intimité avec nos amis, et nous devons faire des efforts surhumains pour ne pas consulter nos messages en plein milieu d’un verre ou d’un dîner. Toujours connectés, mais jamais présents

Et le phénomène ne s’arrête pas là. L’angoisse passive ressentie à chaque instant FOMO, à chaque sentiment de louper une opportunité de se distraire, s’accumule, jusqu’à faire passer le sujet au stade clinique supérieur de cette maladie digitale : la crise d’égo.

FOMO un jour, FOMO toujours : un cercle vicieux qui s’auto-alimente‍

Par crise d’égo, j’entends surtout sa lente érosion : une fois que l’on a mis le pied dans la porte du FOMO, il est difficile d’en sortir, pour la simple raison que cette affliction se nourrit de l’estime de soi de chacun.‍

Comment ? En amoindrissant la perception que nous avons de la satisfaction de nos besoins :

  • Le besoin d’attention
  • Le besoin de reconnaissance
  • Le besoin d’inclusion, d’appartenance sociale‍

Avoir conscience de toutes les merveilleuses choses que font nos amis, de l’escalade du Mont Rinjani à la célébration d’une énième promotion, a bien évidemment un impact sur notre vision de nous-même et notre perception de nos propres succès — nous ressentons le besoin, pour être reconnus par nos pairs, de vivre des vies excitantes, toujours plus remplies. De voyager toujours plus loin. De démontrer, jour après jour, que nous sommes “dignes” de l’attention que nous portent nos followers.

Ce sont finalement ces besoins séculaires (attention, reconnaissance, inclusion) qui guident nos actions depuis des siècles, mais nos smartphones, au lieu de nous rendre plus heureux en nous connectant en permanence à nos amis et au reste du monde, nous ont donné le (faux) sentiment de ne jamais en faire assez et de ne pas être à la hauteur de nos vies.

Nos niveaux de satisfaction concernant notre vie en général étant de plus en plus bas, c’est au tour de notre estime de soi d’être touchée : petit à petit, la perte de confiance en soi et en ses décisions s’installe, enfermant le malade dans un cercle vicieux. Mais sommes-nous les seuls responsables de cette maladie du siècle ? Avons-nous créé seuls ce piège dont nous peinons à sortir ? Pas vraiment. Car les marques que nous consommons ont bien compris cette tendance, qu’elles alimentent en permanence à notre insu.

De l’individu à la société de consommation : FOMO généralisé ?‍

Nous sommes près de 3 milliards d’utilisateurs sur les réseaux sociaux. Combien d’entre nous sont-ils touchés par le FOMO ? Certaines études se hasardent à sortir des chiffres : 56%, 63%, … Pour les entreprises qui s’intéressent au phénomène cependant, peu importe le chiffre exact : seul le potentiel compte, et il est immense, car l’acheteur peut être aisément manipulé en mettant en place des stratégies simples visant à réveiller son FOMO.‍

À commencer par le jeu autour de la rareté et l’exclusivité : avez-vous déjà remarqué les comptes à rebours enclenchés lorsque vous vous apprêtez à faire un achat ? Les suggestions automatiques vous montrant les articles que les autres acheteurs ayant choisi le même produit que vous ont ajouté à leur panier ? L’affichage des places ou des stocks restants pour le produit qui vous intéresse ? L’expiration des offres d’essais ? Toutes ces techniques jouent de nos insécurités pour influencer notre prise de décision — et pour nous pousser plus aisément à l’acte d’achat.

Plus généralement, le concept de notification ne fait qu’amplifier le phénomène. Si nous les désactivons, nous nous exposons au risque de passer à côté de quelque chose d’exclusif. Si nous les laissons en place, nous finissons noyés sous leur fréquence et bombardés d’insécurités supplémentaires. L’UX même qui dicte le design et la conception des produits que nous utilisons tous les jours tend toujours plus à alimenter notre FOMO.‍

Les codes du Marketing, la structure même des produits que nous utilisons et des médias que nous consommons alimentent donc notre FOMO, au grand dam des détracteurs du digital. Sommes-nous condamnés à voir nos anxiétés grandir au fil du temps ?

Le FOMO, Sisyphe des temps modernes‍

Vous vous souvenez de Sisyphe ? Un charmant bonhomme, qui fut puni, pour avoir osé défier les dieux de l’Olympe, à faire rouler éternellement un rocher jusqu’en en haut d’une haute colline, mais, arrivé en haut, le rocher dégringolait systématiquement jusqu’au bas de la colline.

Quand je pense au FOMO, la situation me rappelle un peu celle d’un Sisyphe des temps modernes : nous sommes tous plus ou moins enchaînés à nos portables, nous redoublons d’efforts pour attirer l’attention, pour collecter le maximum de “likes” et de commentaires, pour finalement, après chaque pic de dopamine et d’attention généré par un post ou une story, retomber dans la frustration et le besoin d’attention. Puis re-poster. Puis compter ses likes. Puis re-déprimer. Puis re-poster. Un cycle sans fin dont nous sommes tous un peu esclaves dans une certaine mesure… Nous essayons d’atteindre le sommet de la colline de la popularité, mais ce n’est qu’une illusion : l’attention de nos audiences est limitée, tout comme l’est devenue notre capacité à nous satisfaire de nos vies.

Y-a-t-il vraiment une alternative à cette situation ? Malheureusement, se débarrasser du FOMO semble compromis : les besoins d’attention, de reconnaissance et d’inclusion sont fondamentalement inscrits dans notre ADN. Cependant, au lieu de lutter contre ces besoins en y apportant des réponses court-termistes comme l’envoi d’un texto ou la publication d’une photo, nous pouvons réfléchir aux raisons qui nous poussent à agir de la manière dont nous agissons. Que signifient nos angoisses, et pourquoi les ressentons-nous ? En creusant un peu et en essayant de comprendre les réflexes et les peurs qui nous animent, qui dictent nos comportements, nous pouvons en prendre conscience. En se connaissant mieux, nous devenons capables de tirer parti de ces peurs pour les transformer en actions et en décisions plus en ligne avec nous-même.

Initialement publié sur https://www.lanouvellefrontiere.com.

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Noémie Kempf
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Storyteller & Brand Strategist. Also meme addict 💎, travel enthusiast 🌏, and part-time nerd 🤓.