Anais Dupuis
La petite Histoire, 1917–1938
13 min readNov 18, 2017

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Loisirs, visites à la famille et aux amis (épisode 5)

Jeu de boules au Bois de Vincennes

Loisirs et vacances 1917–1930

J’aimerais commencer ce récit par une anecdote qui a marqué toute la famille et qui m’a souvent été raconté, si bien que sur ce sujet, la mémoire ne me fait pas défaut. (Cela étant dit, l’abbé David avait constaté chez moi l’existence d’un très bon coefficient de mémoire, car à trois ans j’étais capable d’identifier les drapeaux en couleur figurant au début du Larousse). Bref, revenons à notre incident. Lorsqu’il était en congés, papa avait l’habitude de nous emmener Paul et moi nous promener au bois de Vincennes pour regarder les jeux de boules, le tir à l’arc et autres activités pratiquées à l’entrée du plateau de Gravelle. Un jour, papa m’a subitement perdu de vue. Il me cherche partout, c’est la panique. Fortuitement, Jeanne, ma deuxième sœur , ayant des courses à faire sur la côte de Saint-Mandé (actuellement rue de Lattre de Tassigny) me trouve, tout seul, descendant gentiment pour rejoindre la maison. J’avais réussi à me faire traverser la route du plateau de Gravelle au niveau de la rue du Val d’Osne. Me demandant où j’allais, je lui aurais répondu : “chez maman, à la maison”. Elle m’a cru sur parole et m’a laissé continuer mon chemin. Connaissant le parcours, j’ai emprunté la rue de l’asile (rue de Verdun) à Saint-Maurice, puis tournant à gauche, j’ai entrepris la descente la côte de Saint-Mandé où Jeanne, qui venait de réaliser que j’étais trop jeune pour me balader tout seul, m’a retrouvé à mi-chemin. Explication !! J’avais envie de faire caca, et ceci uniquement sur mon pot à la maison, et non dans le bois. Je n’avais pas encore quatre ans…

La rue de Saint Mandé

Mais revenons aux loisirs “accompagnés” de ma prime jeunesse…

Papa nous emmenait souvent Paul et moi en tramway au-delà de Bonneuil avec montée à pieds à Sucy, bois de la Grange, château du Piple, etc… qui à l’époque étaient de véritables sites touristiques pour les jeunes randonneurs.

Sur le plan culturel, j’avais le droit au musée du Louvre (papa était très féru de peinture, car lui-même dessinait très bien depuis son plus jeune âge). Donc de la Joconde, au Radeau de la Méduse, en passant par Rembrandt et Botticelli, tout y passait. En complément il y avait le musée de la Marine, qui me passionnait; nous y passions donc une grande demi-journée, trois ou quatre fois par an.

Une autre fois, c’était au jardin des Tuileries où en dehors du Guignol, nous allions admirer l’évolution des petits voiliers dans le grand bassin, non loin duquel se trouve actuellement la grande roue.

Même chose pour l’Esplanade du Champ de Mars et la Tour Eiffel. On me rappelait à l’époque que mon parrain (officier supérieur aux Pompiers de Paris) était entre autre responsable de l’équipe qui, tous les six mois, changeait le drapeau français qui flottait toujours au sommet de la tour. Ce sont maintenant des antennes sophistiquées qui l’ont remplacé.

M. Paquis, à droite, parrain d’Henri Schmitt

Au Trocadéro, la visite était concentrée sur le fameux aquarium qui restera jusqu’à la construction du palais de Chaillot (expo 1937).

Il y avait bien entendu la visite et la promenade au Jardin des Plantes. La paléontologie avec ses momies péruviennes me frappait beaucoup. La grande galerie au fond du Jardin des Plantes, où trônait le fameux squelette de diplodocus, à côté de celui d’une baleine de vingt-cinq mètres. Et puis enfin, et surtout, la ménagerie avec la rotonde des fauves où je pouvais m’initier à la géologie sur le terrain.

Il faut aussi parler de ma première grande sortie au “spectacle”, à savoir l’Opéra. Papa était ami avec monsieur Lautemann, camarade de régiment pendant la guerre et chef des chœurs à l’Opéra en 1925. Petite boutade de sa part : “Pour moi le plus bel opéra c’est la Walkyrie car il n’y a aucun chant choral, donc pour moi c’est relâche”. Ma première grande sortie fut donc d’aller voir Thaïs. Installé dans une baignoire au niveau de la scène, j’avais particulièrement admiré la scène de l’oasis où Thaïs… très légèrement vêtue… avait essayé de convertir à sa façon Athanaël, moine d’Antinoé.

Pour les vacances, nous partions tous les ans en Alsace. A Wesserling nous logions dans la pension de famille de madame Laurent où cinq ou six familles se retrouvaient tous les ans. Madeleine, avec ses séquelles de tuberculose, s’y trouvait très bien et c’est là qu’en 1927, Jeanne fit la connaissance de son futur mari. Promenades à pied très agréables, fêtes de village avec bal, tout était bon pour la détente.

La famille Schmitt à Wesserling
(de gauche à droite) Camille, Jeanne, Paul, Louis, Henri et Madeleine Schmitt en Alsace

Par la suite, quand Jeanne fut mariée, le rituel du transport était bien réglé: réservation d’un taxi qui nous prenait à 12h45, train à la Gare de l’Est à 14h, arrivée à Mulhouse à 20h20. Diner habituel chez Jeanne : bœuf braisé et sa sauce au vin, accompagné de nouilles fraiches. Le lendemain, nous prenions le petit train qui, en une petite heure (trente-deux kilomètres) nous déposait à Wesserling où commençaient les vraies vacances. Cette habitude de vacances en Alsace se poursuivra jusqu’à la guerre avec une location à Ranspach chez la famille Haegelin. Ranspach où nous nous retrouvions avec la famille Pilven.

Pour clore cette période de loisirs accompagnés, il faut évoquer l’exposition coloniale au printemps 1931. J’avais donc treize ans et demi, mais encore sous tutelle paternelle, et papa étant à la retraite (il avait 62 ans), nous y allions très souvent, car les billets achetés par planche de cinquante étaient relativement bon marché.

Temples d’Angkor — Exposition coloniale — Paris 1931

L’ensemble de l’exposition, patronnée par Lyautey s’étalait tout autour du lac Daumesnil et présentait des pavillons reconstitués à l’identique par les différents pays ayant leurs colonies. Citons parmi les plus représentatifs les Indes Néerlandaises avec leurs pagodes à plusieurs toits. L’ensemble rouge de ce que l’on appelait l’Afrique Occidentale Française, Togo, Cameroun, avec leurs toits de chaume. L’un d’eux subsiste d’ailleurs encore. Les fameux souks d’Alger et de Tunis avec les nombreuses boutiques typiques. Et puis le clou de cette exposition : la reconstitution à l’échelle un huitième d’un des fameux temples d’Angkor. On ne se lassait pas de l’admirer, surtout le soir, lorsque l’éclairage très bien étudié lui donnait une majestueuse teinte ivoire.

Il y avait beaucoup d’animation, avec de nombreux restaurants (même Jenny et sa choucroute y était installée) et le soir, des spectacles de danse et de chant.

Visites à la famille

Parmi les visites amicales et familiales, commençons par la famille Chennevier, la plus éloignée géographiquement puisque leur domicile se situait au 52 rue de l’Amiral Mouchez, près de la porte de Gentilly.

Louis Chennevier (le père de Lucette et de Régine) avait racheté une petite usine qui produisait surtout des produits chimiques et colorants destinés aux tanneurs. Cette spécialité était très valable à l’époque car tout au long de la Bièvre (petit affluent de la Seine d’une quarantaine de kilomètres, maintenant enterré, ndlr) qui rentre dans Paris à l’église de Gentilly, on comptait bien une centaine d’ateliers spécialisés dans la profession, les eaux de la Bièvre étaient d’ailleurs bien connues pour le traitement des peaux.

Homme très avisé, bon père de famille, très pratiquant (conférence Saint Vincent de Paul), il gérait très bien son affaire sur place, car toute la famille logeait dans un grand pavillon construit dans l’enceinte de l’usine. En dehors de son épouse la bonne Louise et de sa famille, il y avait en plus sa mère et sa belle-mère. A l’époque, nous étions loin d’avoir le téléphone (qui a été installé au pavillon pendant la guerre) et tout se passait par la poste. On échangeait une correspondance commençant toujours par “chers cousins et cousines” et les dialogues se situaient toujours au niveau de “mon cousin, ma cousine”.

La famille Chennevier avec Camille et Louis Schmitt

Ayant retenu l’après-midi d’un dimanche pour aller gouter chez les Chennevier, nous prenions le tramway 125 (même parcours que l’autobus) qui mettait une petite heure pour rejoindre la porte de Gentilly, après quoi un quart d’heure à pied, et nous étions arrivés.

Tramway 125 à Gentilly

Dans cette grande maison, il y avait une salle à manger et un salon très spacieux, avec fauteuils à l’ancienne et piano où Lucette Pilven s’installait pour accompagner sa mère qui, de sa voix assez harmonieuse, chantait les classiques de l’époque : Plaisir d’Amour, Le Temps des Cerises, ainsi qu’une autre chanson, moins connue maintenant qui commençait par “Deux roses blanches j’ai coupées, j’entends le rossignol chanter, qui dit sa chanson bien gaillardement, ah! joli mois de mai tu es si charmant”. Intermède pour le gouter : thé, chocolats, très bons gâteaux fabrication maison… J’écoutais sagement les bavardages et échanges de nouvelles des uns et des autres. En été, nous descendions un peu dans la cour de l’usine et Louis Chennevier expliquait à Louis Schmitt, les dernières mises au point de son équipement industriel, qui marchait très bien. Comme les bons bourgeois de l’époque, Louis Chennevier avaient une voiture Chenard et Walker; très bonne mécanique, pouvant prendre cinq passagers à l’aise (sept avec les strapontins). Elle servait aussi au déplacement du père Chennevier qui venait de s’associer avec la famille Bailly. Cette association durera cinquante ans.

Voiture Chenard et Walker

Par la suite, dans les années 30, nous rencontrerons chez les Chennevier, la famille Ravegeau, frère et soeur. Jean Ravegeau fut pendant longtemps l’administrateur de la Tour Eiffel. Egalement la famille Catinat, dont le fils Jean, brillant sujet, a fini sa carrière comme professeur chef du service cardiologie de Saint Antoine. Il y finissait sa carrière quand Madeleine y a été hospitalisée en 1966.

Quelquefois, aux beaux jours, Louis Chennevier nous emmenait faire une excursion en voiture en vallée de Chevreuse, jusqu’à Dampierre et les Vaux de Cernay. La campagne était très belle et la nature assez sauvage.

Ces visites, typiquement familiales, avaient lieu environ deux fois par trimestre et à leur tour, les Chennevier venaient passer un après-midi au pavillon avec, en été, un gouter au jardin.

Parmi nos habitudes familiales très suivies, il y avait la fréquentation assidue de la famille Hiers (maman était la cousine germaine de Paul Hiers, père de Colette). Nous allions donc très souvent diner chez eux et vice et versa. Paul Schmitt, filleul de Paul Hiers, était du même âge que Robert, quant à Colette, elle était de ma génération. Au début, sans aucun moyen de transport, nous y allions à pied (environ vingt-cinq minutes) et ce n’est que vers les années 30, qu’il y a eu un bus, suivant le parcours de l’actuel 107, mais qui hélas ne fonctionnait plus après 22h, donc retour à pied. Marie-Rose Hiers, ayant deux sœurs avec enfants, si l’on ajoute les amis — les Leplay, par exemple — les soirées étaient très conviviales.

La famille Schmitt chez la famille Hiers

Robert, un peu canaille, mais très doué se mettait au piano pour accompagner sa mère qui, d’une belle voix de soprano, chantait aussi bien la chanson de Solveig (Peer Gynt) que certains airs connus d’opéra ou d’opéra-comique. Puis Robert enchainait aussi bien avec une rapsodie de Liszt qu’une variation de jazz, qui l’intéressait beaucoup.

Marie-Rose était très bonne cuisinière et préparait entre autre un pain de poisson (chaud), un gigot flageolets ou une quiche lorraine (sa contrée natale), dont je me souviens encore.

Marie-Rose Hiers et son fils Robert

Les repas étaient bien arrosés car le père Hiers avait une bonne cave que son fils ne manquait pas de visiter clandestinement lorsqu’il se retrouvait, soit avec les copains, soit en compagnie de la bonne dont il s’occupait très sérieusement, une nommée Cécile, assez mignonne et n’ayant pas froid aux yeux.

Robert Hiers

Activités d’échanges culturels du côté musique et opéra, là aussi on n’hésitait pas à se déplacer pour aller entendre chez eux, à la TSF que nous n’avions pas encore à la maison, un concert Colonne ou Lamoureux ou encore une retransmission d’un opéra de Wagner, très prisé à l’époque.

Régulièrement (au moins une fois par semaine) il y avait la soirée bridge une fois chez les uns, une fois chez les autres, avec constitution d’une cagnotte qui permettait d’aller à l’opéra une fois ou deux par an. C’est ainsi qu’à force de regarder le jeu et en écoutant bien les échanges d’annonce, je réussis à savoir jouer comme les grands à treize ans.

Les loisirs indépendants, à partir de 1931

Comme le temps passe vite, les deux parents se sont retrouvés à la retraite, les Hiers ont acheté leur première voiture (une Peugeot 201), conduite par Marie-Rose car son mari était trop bigleux, ils ont fait construire à Royan, où nous sommes allés… Mais nous sommes maintenant presque à la vieille guerre, période butoir pour le chroniqueur que je suis et sur laquelle je reviendrai dans un autre cahier. Arrêtons- nous un peu sur les loisirs de jeunesse, qui deviennent indépendants à la fin de la période primaire passée à Paul Bert, dont nous parlerons plus loin dans le chapitre consacré à l’instruction et aux études.

Paul ayant neuf ans de plus que moi, nous étions sur deux longueurs d’ondes différentes, cela va de soi.

Espace nautique des 7 Arbres

Riverain des bords de Marne, j’ai connu dans les années 1925–1928, au moment du 14 juillet, une journée entière consacrée aux sports nautiques. A l’emplacement dit des “Sept Arbres” (dont il ne reste plus qu’un, abîmé d’ailleurs durant la tempête de l’an 2000), se déroulaient des concours de natation, de plongeons et de joutes. A cette époque, l’ile, réservée au club strictement féminin (jeune public, jusqu’à vingt ans), était un cadre idéal pour assister à cette manifestation très sympathique. Il faut noter que l’accès de l’île était strictement interdit et qu’il nous fallait rester sur la promenade (actuellement avenue Foch) qui conduisait au Moulin Brûlé.

Restaurant les 7 Arbres

Ces joutes étaient agrémentées d’odeurs de moules et frites, spécialité des guinguettes de l’époque. Néanmoins, les restaurants avec baignades comme aux Sept Arbres marchaient très bien. Dans les années 30, le propriétaire était monsieur Lerch (ami du père de Roger Méau), qui devint par la suite conseiller municipal.

Mais restons à la baignade, car il me fallait apprendre à nager en compagnie de Roger Méau, de sa mère et de ses cousins du Gers qui venaient au moment des vacances.

Je me plaisais assez bien avec tout ce petit monde et j’ai fréquenté l’établissement jusqu’à la création de la plage municipale : splendide baignade très bien conçue et où les Maisonnais bénéficiaient d’un tarif réduit. Je crois d’ailleurs que ma future épouse, que je ne connaissais pas encore, a dû apprendre à nager dans cet établissement.

Plage municipale de Charentonneau

Quant à l’Ondine et son île réservée aux filles, nous avions réussi Roger et moi, à nous faire pistonner par madame de Tonge (amie des Hiers) et dont la fille fréquentait le club pour obtenir l’autorisation de venir de temps à autres pour entrainement au basket. Mais pas de baignade !

Toujours en restant sur les bords de la Marne, nous trouvons les guinguettes ou restaurants type moules frites et toutes fréquentées par un public très nombreux le dimanche.

En dehors des Sept Arbres, il y avait non loin de chez nous au niveau du barrage l’établissement connu sous le nom de Heuzé, petit restaurant bien fréquenté et qui possédait une terrasse destinée à la danse le dimanche. Cette terrasse dominant la Marne devait correspondre à l’emplacement d’un moulin se situant à cet endroit avant la construction du barrage en 1912.

Restaurant de l’Ermitage

Peu avant les Sept Arbres, sur le quai, on trouvait l’Ermitage, équivalent à ce que l’on nomme maintenant une boîte. Atmosphère très feutrée, propice aux tangos, vitres aux verres colorés ne permettant pas de voir ce qu’il se passait à l’intérieur, clientèle plutôt spéciale où “le milieu” régnait déjà. Ne pas oublier, tout de suite après la guerre, l’assassinat dans le métro de Laetitia Touri, dont on n’a jamais pu retrouver le meurtrier.

Terrasse du bal de l’Ermitage

Enfin, dernier établissement d’un type assez mafieux, Le Floride, installé à la fin de la guerre dans une très belle villa, ayant un grand jardin et qui se situait au bord du quai, à droite, à l’angle de l’actuelle rue d’Estienne d’Orves. Les clients, peu nombreux étaient des habitués discrets, eu égard à leur raison sociale…Atmosphère feutrée, de bons cocktails, intimité garantie, rien ne manquait au Floride et j’ai eu l’occasion d’y aller quelquefois après la guerre.

Seul subsiste dans le coin de ces bals guinguette un petit café plutôt crasseux avec hôtel plus ou moins borgne entre le carrossier des deux moulins et la maison de la presse, tout au bout du quai.

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