Le paradoxe Buzzfeed,
ce média que les médias adorent détester

La Press Tech
La Press Tech
Published in
4 min readAug 8, 2015

--

Entre compilations potaches de gifs animés et interview de fond de
Barack Obama, le site BuzzFeed cultive une vraie différence
dans le paysage des pure-players mondiaux.
Détesté des journalistes, il attire cependant plus 100 millions de visiteurs mensuels, et l’intérêt financier des grands groupes de médias.

Par Christophe GREUET pour La Press Tech

Dans toutes les rédactions qui se disent “sérieuses”, c’est pareil : BuzzFeed est la bête noire de tout journaliste qui se respecte. Créé comme un “laboratoire viral”, le site fêtera ses dix ans en 2016 et se définit comme “la porte d’entrée du web”. Et s’il provoque un panel de réactions négatives, variant au mieux du mépris à la haine affichée, BuzzFeed revendique une audience mensuelle de plus de 100 millions de visiteurs uniques, et se décline dans de nombreux pays hors Etats-Unis (dont la France). Aujourd’hui, il fait partie des géants de l’Internet, et est classé 113è site mondial selon l’indice Adexa (36è aux Etats-Unis).

La toute première version de BuzzFeed, ici en décembre 2006.

Ce succès s’est à l’origine bâti sur des contenus d’”infotainment” rapidement créés pour être aussitôt partagés sur les réseaux, dont d’innombrables listes thématiques illustrées par des gifs animés, eux-mêmes puisés et compilés sur… les réseaux sociaux. Un paradoxe qui crée la fureur des médias traditionnels, peinant parfois à attirer les lecteurs avec des enquêtes ayant demandé plusieurs mois de recherches. Egalement dans la balance, les nombreux problèmes de droit d’auteur rencontrés par le site, qui réutilisait souvent sans autorisation des photos directement puisées sur le web. Ainsi que cette affaire de plagiat, en juillet 2014, qui conduisit au licenciement de l’un des journalistes les plus prolifiques de la rédaction, et aux excuses du site.

Vidéo promotionnelle de BuzzFeed, présentant l’importance du site dans les médias américains.

« Dans l’histoire des médias, les contenus les plus populaires sont du divertissement. Mais les informations les plus importantes sont des sujets sérieux. Dès qu’un fait d’actualité capital survient, il accapare toute l’attention. Mais la plupart du temps, ce n’est pas le cas. »
Jonah Peretti, créateur de BuzzFeed, lors de la Code Conference 2015.

La réputation de “vilain petit canard” du web que s’est attirée BuzzFeed depuis sa création a pourtant, aujourd’hui, de moins en moins de raison d’être. Fin 2011, le créateur du site, Jonah Peretti, également co-fondateur du Huffington Post, part à la recherche de respectabilité et recrute Ben Smith, l’ex-directeur de la rédaction du géant Politico, bible des professionnels US de la politique.

L’application BuzzFeed News pour iPhone

Un recrutement qui s’avère payant : deux mois plus tard, en février 2012, BuzzFeed lâche une bombe dans la campagne présidentielle US, raflant au nez et à la barbe de tous les grands quotidiens le scoop annonçant le soutien de McCain à Rommey durant les primaires républicaines. Une première qui crée l’incompréhension dans les rédactions américaines, comme l’expliquait alors le regretté David Carr, grand manitou des médias au New York Times, dans un article légèrement condescendant.

Un an plus tard, le 1er janvier 2013, BuzzFeed lance BuzzFeed News, un site dédié aux contenus de qualité (tout du moins dans sa version américaine), principalement axée sur les articles “longform” de plusieurs milliers de mots. Le support connaît des débuts difficiles, entre incompréhension des lecteurs historiques du site et moqueries sous cape des autres médias, mais gagne peu à peu du terrain. Le 10 février 2015, c’est la consécration : Smith décroche sur BuzzFeed News une longue interview avec Barack Obama, tandis que, deux jours plus tard, le président US se prête sur BuzzFeed à une vidéo parodique, se mettant notamment en scène avec un bras à selfie.

La vidéo humoristique tournée par le Président américain Barack Obama pour BuzzFeed.

« BuzzFeed peut devenir le nouveau CNN. Et franchement, j’espère que ce sera le cas, car l’industrie de l’information le mérite. »
Shane Smith, co-fondateur du groupe de médias Vice, dans Wired UK.

Cette dualité, qui joue sur un équilibre aussi précaire que maîtrisé entre contenus “light” et articles de fond, est probablement autant la principale force de BuzzFeed que sa première faiblesse. Elle est à l’origine de l’unicité du site, souvent copiée (notamment par le groupe français Melty, créé en 2008) sans être égalée, mais reste le premier point d’achoppement à son entrée dans le club très fermé des sources pour les médias qui se disent “traditionnels”.

L’une des vidéos publiées sur la chaîne TouTube CNN BuzzFeed.

Le faible intérêt porté à BuzzFeed par les journalistes ne se retrouve cependant pas chez les patrons de grands groupes médias, qui s’intéressent de plus en plus au support. Après la signature, en 2013, d’un partenariat avec CNN pour la création d’une chaîne commune sur YouTube (inactive depuis plusieurs mois), le groupe NBCUnivesral, propriétaire notamment des chaînes NBC, MSNBC ainsi que des studios Universal, semblerait à son tour vouloir investir dans BuzzFeed. Après de nombreuses rumeurs fin juillet, le site Re/Code annonçait le 30 juillet que NBCU serait en train de finaliser un investissement de 250 M$ dans BuzzFeed, valorisant ainsi le site à 1,5 Md$. Renforçant ainsi encore la crédibilité que peut désormais inspirer le site de Jonah Peretti.

Retrouvez La Press Tech sur son site web, Twitter, Facebook et LinkedIn.

#PressTech

--

--

La Press Tech
La Press Tech

The weekly newsletter where media meet digital and French tech. By @ChristophGreuet. Suscribe free on lapresstech.co