Les super-héros de demain

Une interview de Laurie Monne et Roxanne Dauphin, co-fondatrices de l’Ecole Montessori Bilingue d’Andrésy

Bertrand Michotte
LA TÊTE AILLEURS
Published in
17 min readJan 26, 2018

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Chez La Tête Ailleurs, on est très fans de la pédagogie Montessori [et de tout ce qui peut proposer une alternative au système scolaire traditionnel en général]. Parmi les nombreuses raisons, le parallèle très direct qu’on y voit avec le fonctionnement qu’on se propose d’installer dans les entreprises.

On était donc particulièrement enthousiastes à l’idée de partir une journée en immersion dans l’Ecole Montessori Bilingue d’Andrésy, en région parisienne. Journée fascinante de mars 2017 — dont on vous fera un compte rendu détaillé prochainement — qui s’est clôturée par une discussion d’une heure avec Laurie et Roxanne, les deux co-fondatrices du projet. C’est cette discussion que je me propose de vous rapporter aujourd’hui.

Trois classes multi-âges, une liberté totale de mouvement et d’interactions, deux éducatrices par classe, un usage conjoint du français et de l’anglais, un parcours co-construit au quotidien avec l’enfant, le tout pour révéler au grand jour les individualités et le plein potentiel de chacun… Bienvenue dans une école qui change le monde.

NB : La Tête Ailleurs accompagne depuis septembre l’équipe pédagogique vers un fonctionnement en gouvernance partagée, ce qui fait de l’école Montessori d’Andrésy notre tout premier client.

“Si on veut libérer les enfants, il faut qu’on se libère nous-mêmes.” [Laurie]

Merci de nous accueillir. Est-ce que vous pouvez nous présenter rapidement l’école et son activité ?

[Roxanne] Avec plaisir. L’école a ouvert en septembre 2015 [avec deux jours de retard :-] dans une ancienne laverie, qu’on a dû entièrement retaper. Entre ça et le reste — constituer l’équipe, gérer l’administratif, faire notre promo…— la construction du projet nous a pris environ un an.

Dès notre première rentrée, on a tenu à proposer deux ambiances — 3–6 ans et 6–12 ans — malgré une petite équipe de 4 salariées et une stagiaire. Aujourd’hui on a rajouté une ambiance 2–3 ans. Et on est 9, dont 2 CAP petite enfance en alternance. Ca nous permet d’être au moins deux éducatrices par ambiance, dont toujours une francophone et une anglophone.

Quant à la fréquentation, on a commencé avec quinze enfants en 3–6 et seulement cinq en 6–12, pour qu’au bout de 3 ans la répartition s’équilibre. En milieu de deuxième année scolaire, on est une vingtaine par ambiance.

Comment vous avez constitué votre équipe ?

[Laurie] On se base essentiellement sur la personnalité, les valeurs, la connexion avec la mission de l’école, même si avec les 3–6 ans on ne peut pas se permettre de prendre quelqu’un sans formation.

[Roxanne] Montessori, c’est beaucoup d’activités aux principes et à la finalité très spécifiques. La présentation de ces activités demande donc beaucoup de précision, surtout chez les 3–6. Tu as plein de choses à leur faire passer à travers chaque matériel, et rien n’est laissé au hasard. Sans formation, tu ne sais pas comment faire, pourquoi, avec quel enfant…

On peut vous demander un petit récap’ de la pédagogie Montessori et de la manière dont vous la pratiquez ?

[Roxanne] La pédagogie Montessori a émergé des expérimentations d’une médecin italienne qui accompagnait des enfants déficients. Grâce aux méthodes développées à leur contact, elle s’est rendu compte qu’ils obtenaient à terme de meilleurs résultats que les autres.

En deux mots, c’est une approche individualisée basée sur l’observation de l’enfant pour respecter ses “périodes sensibles” d’apprentissage. Elle s’articule autour de grands principes fondamentaux, qui doivent vous être familiers d’ailleurs : on cherche à ce que chacun soit engagé dans son travail [corps et esprit], qu’il aime et choisisse ce qu’il fait, qu’il apprenne par l’expérience, la répétition et l’auto-correction… C’est pourquoi tout est manipulable. Ca met l’erreur en évidence et ça ancre les enseignements différemment. Puis il y a toujours un but précis derrière chaque activité : ordonner sa pensée, observer de gauche à droite, compter…

Tout ça a été pensé pour servir deux grands enjeux, qui sont l’autonomie et l’estime de soi. Deux bases de la pédagogie.

Bienvenue à l’Ecole Montessori Bilingue d’Andrésy :)

En ce qui concerne nos particularités, il y a plusieurs choses.

Déjà, on aime organiser l’accompagnement des enfants en deux grands chantiers : les savoir faire, qu’on développe très tôt à travers des activités de la vie quotidienne [repasser, visser des boulons, faire du pain…] et les savoir être [vivre ensemble, comprendre ses émotions, s’entraider…]. On met d’ailleurs un gros accent sur ces derniers. Et ce dès 3 ans, avec les “philo-tisanes” [débattre en buvant une tisane] ou encore les ateliers méditation.

Ensuite, on utilise le matériel exactement comme il doit être utilisé — ce qui n’est pas toujours le cas — même si on sait faire vivre la pédagogie avec son temps [recherches en ligne, robot pour apprendre à coder…].

Enfin, on est très attentives au traitement de l’erreur. On met de vrais objets qui se cassent un peu partout, et on observe ce qui se passe :)

J’ai encore en tête cette gamine de 4 ans qui renverse un vase plein d’eau et qui, au lieu de se sentir coupable ou d’avertir la “maîtresse”, va simplement chercher un balai et une serpillère pour nettoyer.

[Roxanne] Oui, c’est un de nos principes pédagogiques. Créer des boucles de feedback qui aident les enfants à appréhender l’erreur. Le vase est un bon exemple. En gros, tu places des objets au bord des tables et tu les regardes faire. S’ils ne sont pas attentifs à leur environnement, ils devront gérer les conséquences. A la longue, ça devient une routine. Il n’y a pas de culpabilité à avoir. Personne ne va te gronder. L’erreur est un événement tout à fait normal tant que tu prends la responsabilité de la corriger.

Si je comprends bien, toute la pédagogie repose sur la confiance dans les ressources naturelles de l’enfant ?

[Roxanne] Dans leurs ressources et leur rythme naturels, oui. Comment tu veux qu’ils croient en eux si tu leur montres qu’ils ne peuvent pas réussir sans ton aide ? Tu leur faire confiance, donc ils se font confiance.

[Laurie] Et en même temps, ils ne sont pas seuls et silencieux face à leur tâche. Toute la journée des groupes se font et se défont de manière spontanée, avec des gamins d’âges différents qui travaillent ensemble sous les yeux de tous. C’est ça qui est génial. Que l’enfant puisse avancer à son rythme dans son truc, et en même temps capter et enrichir tout ce qui se passe autour.

L’observation active a un rôle crucial à jouer. On a notamment une gamine qui pendant 6 mois n’a rien fait, rien touché. Elle commence seulement à manipuler aujourd’hui, et en fait tu te rends compte qu’elle a tout appris. Elle sait faire des additions et des multiplications sans que je lui aie rien montré, juste parce qu’elle a observé une camarade. A sa manière et à son rythme.

C’est aussi pour ça qu’il n’y a pas de coupures imposées ? Comme l’enfant est libre d’être lui-même, c’est lui qui adapte sa pause…

[Roxanne] Entre autres. On ne sait jamais quand l’intérêt naturel va s’éveiller. Pourquoi courir le risque de le casser avec une pause totalement arbitraire ? L’autre raison, c’est qu’ils sont toujours en mouvement donc ils n’ont pas l’impression d’avoir besoin d’aller courir dehors. Même s’ils en profitent bien entre midi et deux quand ils y sont :)

Comment ça se passe pour les conflits du coup ? Quand une gamine se plaint par exemple d’être maltraitée ? Si la posture vous interdit de vous poser en sauveuses ou en arbitres, comment vous gérez ?

[Laurie] On traite ce genre de conflits en faisant des médiations. Quelqu’un est présent. Souvent un adulte mais pas uniquement, car certains grands savent gérer ça seuls. En gros, on met l’enfant face à son ou ses bourreau[x] et on essaie de parler. L’idée étant d’enclencher un vrai changement. Car le process te permet d’aller au fond du conflit, de te rendre compte s’il y a un vrai problème ou si quelqu’un se pose en victime, etc…

[Roxanne] Chez les 3–6 ans, ça existe aussi. C’est juste la nature des problèmes qui change. Tu entends des trucs du style “Unetelle m’a dit que j’étais plus sa copine”. On voit ça comme des opportunités pour eux de grandir. Au début je les mettais face à face et je leur posais des questions. Qu’est-ce que chacun a à dire ? Qu’est-ce que chacun ressent ? A ton avis, quelle serait la solution? Leur donner ces clés-là pour qu’après spontanément ils le fassent par eux-mêmes. Et ça marche. Aujourd’hui, certains partent à 3 dans le hall pour faire une médiation. C’est trop drôle :)

[Laurie] Souvent ils reviennent main dans la main. Ils ne se sont pas excusés mais chacun a dit ce qu’il avait à dire, et ça leur permet de passer à autre chose. Chez les plus grands, ça peut être plus compliqué par contre. Parce qu’ils vont plus au fond du problème. J’en ai deux que j’ai retrouvés en pleurs après une médiation parce qu’ils s’étaient vraiment dit les choses.

[Roxanne] C’est ce qui est beau. Même dans des situations difficiles ou douloureuses, ils cherchent eux-mêmes une solution à leur problème sans jamais tomber dans la facilité de passer la balle à l’adulte.

Parlons un peu des motivations des parents. On était surpris d’entendre que beaucoup mettaient leurs enfants chez vous parce qu’ils n’arrivaient pas à s’intégrer dans le système classique.

[Laurie] Non, ça c’est vrai surtout en 6–12 parce qu’on a fait le choix d’ouvrir les deux classes dès le début. Donc la majorité d’entre eux viennent de l’extérieur. Quand nos 3–6 passeront chez les plus grands, ce sera différent.

[Roxanne] Le côté bilingue est aussi un fort levier de motivation. Puis vient seulement l’alignement avec la pédagogie. Donc oui, des parents qui paient 7000€ / an pour un enfant en 6-12 qui n’a pas fait Montessori avant, c’est souvent moins par pure conviction que parce qu’il y a un souci.

[Laurie] Après tu as des soucis variés : par exemple des enfants qui ont un QI qui explose le plafond, et qui étaient malheureux en école classique. On en a notamment un qui avait déjà un an d’avance avant d’arriver chez nous. Soit il sautait encore une classe, soit il faisait autre chose, mais la situation en l’état était trop dure pour lui. Et chez nous il est ravi. Pas la peine de l’embêter avec les matières fondamentales, en 10 secondes c’est acquis. Du coup, c’est notre historien. Il passe beaucoup de son temps à préparer et présenter des exposés.

Puis tu as les problèmes d’apprentissage [dyslexie, etc…]. Et quand même quelques enfants qui se sentaient écrasés par le système, et qui chez nous sont très heureux. Mais ça, ça dépend aussi des parents et de leur faculté à interpréter les signaux.

Vous devez pas mal bosser avec eux aussi du coup ?

[Roxanne] Clairement. La relation avec les parents joue beaucoup dans la façon dont tu vas être capable d’accompagner l’enfant. Surtout que c’est pas toujours évident pour eux d’entendre qu’il y a un problème. Et pourtant tu dois te mettre en phase avec eux. C’est un travail d’équipe.

Dans certains cas, c’est ce qu’il y a de plus dur à mettre en place. Et bien souvent, c’est ce qui empêche l’évolution.

Comment vous faites pour construire cette collaboration ?

[Laurie] Déjà il y a les bulletins, qui sont structurés par trimestre pour être calés sur l’éducation nationale, mais qui dans la forme sont très différents. Ici ce n’est que du texte, sans note ni appréciation. On y propose surtout une analyse de l’évolution du savoir faire et du savoir être. Par exemple, dans la case “grammaire”, j’explique de manière factuelle ce que l’enfant a fait ce trimestre, ce qu’il doit encore consolider, etc…

Puis l’envoi du bulletin donne lieu à un rdv individuel [entre 2 et 3 par an selon la classe]. Et entre temps, ils peuvent nous solliciter quand ils le veulent. Sachant que chez nous, les parents rentrent dans l’école tous les jours. Ca rend la communication fluide. Et ça nous permet de voir et de sentir plein de choses, dont bien souvent ils n’ont pas conscience eux-mêmes.

Enfin pour le passage au collège, je fais un bulletin adapté à l’éducation nationale, avec une liste des compétences et une jauge de couleur.

Voilà un autre gros sujet. Comment vous préparez l’intégration au système classique ? Ca se passe comment pour l’enfant en général ?

[Laurie] Autant je trouve ça dur de passer de chez Roxanne à un CP classique, autant la 6e est une période d’adaptation pour tous les enfants. Surtout que les nôtres apprennent à être en confiance avec eux-mêmes, à aller vers le travail, à être autonomes. Ce sont des vertus qui les aideront beaucoup en 6e.

Le passage de la maternelle à un CP parfois militaire où on avance à toute allure, c’est vraiment autre chose. On te demande surtout pas d’être autonomes au CP. Il faut pas bouger, faire ce qu’on te dit… L’enfant ne peut pas mettre en oeuvre tout ce qu’il a appris chez nous. Heureusement les enseignants du système classique évoluent aussi petit à petit.

Après il y a beaucoup d’études — plutôt US — qui montrent que les enfants Montessori s’adaptent très bien dans le système classique. En France on n’a pas assez de recul. Il y a encore trop peu de classes. Surtout en primaire.

Marshall Rosenberg, le créateur de la Communication Non Violente, disait qu’il ne voulait pas que ses enfants se retrouvent à 20 ans dans un monde inconnu. Il les mettait tous en école alternative dès leur plus jeune âge, pour qu’ils se construisent sur des principes sains et développent une capacité à remettre le cadre en question. Puis entre 8 et 10 ans, il les connectait avec le système classique.

[Laurie] J’avais ce raisonnement pour les miens aussi. Mais plus ils avancent, moins j’ai envie qu’ils rejoignent le système classique. Ils s’adapteraient, mais je pense que ça casserait quelque chose…

Ils vont quand même devoir le rejoindre un jour ou l’autre non ?

[Laurie] Les études supérieures, c’est autre chose. C’est ton futur métier que tu construis. Tu es libre de bosser, tu fais tes choix.

Je parlais plus de l’entreprise.

[Laurie] Justement, je crois que les enfants Montessori auront plutôt des profils d’entrepreneurs. Et ils créeront des entreprises nouvelles, forcément en rupture avec ce qu’on connaît aujourd’hui. Alors que si tu casses le rythme un peu trop tôt, peut-être qu’ils n’iront pas assez loin dans leur fonctionnement pour être capables de créer un monde différent.

En plus, c’est vraiment entre 6 et 12 ans que les enfants s’ouvrent à ce qui se passe autour d’eux, quand un 3–6 est encore très refermé sur lui-même. Un plus grand découvre le monde, il s’interroge sur la justice, il développe son sens moral. C’est là qu’il faut enclencher leur réflexion sur la société, sur le vivre ensemble. D’où les ateliers philo, les exposés d’histoire, etc…

Ca montre bien à quel point nos actions sont complémentaires. En libérant les enfants, vous nous facilitez la tâche. Et en libérant les adultes, on leur donne envie d’autre chose pour leurs enfants.

[Roxanne] Oui, on a la même mission. Et on rencontre sans doute les mêmes freins, à un moment différent de la vie des gens. La clé, c’est de vouloir ce que tu fais. C’est comme ça qu’on grandit, et qu’on fait grandir le collectif. Mais ça demande une fois pour toutes d’arrêter d’attendre les ordres.

[Laurie] Et plus tu commences tôt, plus c’est facile. Quand on récupère un enfant de l’extérieur, on voit vraiment la différence. Il y en a un qui a mis plus d’un an pour arrêter de me demander la permission d’aller aux toilettes.

[Roxanne] … parce que dans le système classique, tu y vas à la pause et c’est tout. Les besoins physiologiques c’est zéro. Comment tu veux travailler dans de bonnes conditions si tes besoins de base ne sont pas remplis ?

[Laurie] Alors derrière, pour lui demander de choisir ce sur quoi il va travailler et ce qu’il va apprendre, bon courage… Tu imagines quand tu as un cerveau habitué à ce qu’on lui dise tout ce qu’il faut faire et à quel moment tu as le droit de le faire… ?

J’imagine très bien oui :)

[Laurie] Ahah oui, plus ils sont grands plus ça prend du temps :) Il y a plein de 6-12 qui viennent encore me voir en me disant qu’il ne savent pas quoi faire. Et on doit regarder leur plan de travail ensemble pour décider.

[Roxanne] L’idée à terme, c’est que les enfants qui viennent chez nous puissent choisir. Qu’ils se focalisent sur leur potentiel et sur le meilleur d’eux-mêmes. Pas sur ce que les parents ou leur futur boss attendent d’eux.

Effectivement, vous êtes en train de créer des entrepreneurs.

[Laurie] Des artistes, des artisans, des entrepreneurs… C’est clair que c’est plutôt ce genre de profils. Mais c’est ce dont on a besoin pour demain. Les grosses sociétés pyramidales, y en aura plus beaucoup. Enfin j’espère :)

C’est comme tous ceux qui bricolent en classe à longueur de journée. Ca peut donner de supers artisans, ébénistes, etc…

Tant que ce n’est pas stigmatisé par les parents, oui…

[Laurie] Heureusement on a la chance aujourd’hui de pouvoir choisir aussi en fonction des parents. Tous ceux qui ne sont là que pour l’anglais et qui n’adhèrent pas au projet, on leur demande d’aller ailleurs. Si on est en contradiction sur les fondamentaux, ça ne marchera pas.

Cela dit, ça demande du courage de sortir son enfant du système.

Surtout si l’enfant passe trois semaines à dessiner. Ca peut vite donner l’impression qu’il n’apprend rien.

[Laurie] C’est vrai qu’au début j’avais du mal à gérer ces inquiétudes-là. Mais maintenant je dis simplement aux parents que les trois premiers mois je laisse l’enfant naviguer dans la classe comme il le souhaite, pour qu’il découvre les choses à son rythme. L’idée étant qu’il aille seul vers le matériel à terme.

Chacun a quand même son défi de la semaine, pour s’assurer d’avancer un minimum. Mais aujourd’hui j’en ai plein qui vont tout seuls vers les activités.

Comme ce gamin qui, juste avant la pause déjeuner, te suppliait de le laisser faire encore un exo de maths ?

[Laurie] Quand t’arrives à ça t’as tout gagné. Celui qui galère en maths, qui est tout stressé, le jour où il te dit “je suis fier de moi”, t’as envie de pleurer :)

Est-ce qu’il y a une compétition entre les enfants ?

[Laurie] Oui clairement. J’ai l’impression que l’enfant ne peut pas s’empêcher de comparer avec son voisin. Tout à l’heure, il y en avait un qui disait : “il m’a pas dépassé quand même ?!!”. Cette compétition, on doit l’accepter. Mais notre but, c’est de ne jamais l’utiliser ou l’exacerber. On veut montrer que chacun a des forces et des faiblesses propres. Ca aide à désamorcer.

[Roxanne] Si elle est appliquée très tôt, la pédagogie Montessori est supposée neutraliser la compétition. Pour l’instant nos 6–12 viennent essentiellement du primaire traditionnel. Je trouverais intéressant d’en rediscuter quand mes 3–6 passeront chez Laurie.

Chacun doit se construire autour de son unicité et pas par rapport aux autres… Dans la pratique, comment vous transmettez ça à des enfants qui viennent de l’extérieur ?

[Roxanne] Notre premier engagement, c’est de co-construire son parcours avec l’enfant, pour que ce parcours devienne un reflet de qui il est et de qui il veut être. Concrètement, les grands ont chacun un plan de travail — selon leur niveau, leurs lacunes, leurs affinités — qui prend la forme d’une routine personnelle, avec un défi et des activités qui leur sont propres.

Beaucoup de choses se passent aussi pendant les entretiens de feedback, qui sont individuels, et positionnent l’enfant comme responsable et acteur de son évolution. Sans parler de l’absence de notes, qui est d’une aide précieuse.

“… pour que son parcours devienne un reflet de qui il est et de qui il veut être”

[Laurie] Le cadre est une notion clé également. Surtout pour des enfants à qui on a toujours demandé de suivre les ordres. Il s’agit de quelques règles de base auxquelles chacun doit adhérer pour pouvoir être pleinement lui-même, dans le respect de son entourage. La conscience des besoins et des limites de l’autre est un bon remède contre la compétition.

Le respect du plan de travail aussi est concerné par le cadre. Parce que malgré toute la liberté qu’on veut offrir, il y a quand même un programme. S’ils quittent notre école, il ne faut pas qu’ils soient perdus. Donc je m’engage à suivre où chacun en est par rapport aux exigences de l’éducation nationale.

Ceux qui enfreignent les règles perdent temporairement la liberté. Ils passent en semaine imposée, ce qui signifie que c’est moi qui choisis toutes leurs activités. Et ça leur fait du bien, parce que la semaine d’après ils ont beaucoup plus envie de respecter leurs engagements :)

Puis ça permet aussi d’avoir des moments privilégiés avec eux. Ca peut nous faire beaucoup de bien, à l’enfant comme à moi.

[Roxanne] “Liberté et responsabilité” est une valeur très importante pour la pédagogie. Tu peux être libre à partir du moment où tu es responsable.

Et cette semaine imposée, ils ne la voient pas comme une sanction ?

[Laurie] Ce n’est pas l’idée en tout cas. Transgresser les règles est un rejet de l’autorité. Logique pour des enfants qui viennent du classique. Et la sanction ne ferait que renforcer cet état d’esprit. Au contraire, on utilise l’opportunité pour leur montrer que l’autorité n’a pas lieu d’être. Pour les reconnecter avec leurs affinités, leurs besoins, et leur rappeler qu’ils sont acteurs.

Vous nous parliez tout à l’heure des entretiens de feedback ? Vous pouvez nous en dire un peu plus là-dessus ?

[Laurie] Bien sûr. Chez les 6–12, le feedback se construit à plusieurs vitesses. En fil rouge, les compétences validées sont grisées semaine après semaine sur le plan de travail. Et à chaque fin de trimestre, avant de rendre le bulletin aux parents, je fais un point avec chaque enfant. On discute de ce qu’il a pensé de la période, de ce qu’il aimerait améliorer, un peu de mon avis aussi… Comme ça, ils savent exactement ce qu’il y a dans le bulletin et pourquoi.

Outre leurs vertus responsabilisantes, ces entretiens nous permettent aussi d’orienter ce qu’on propose en fonction de leurs envies. Par exemple, on a fait quelques séances en espagnol parce que certains voulaient développer ça.

[Roxanne] Le principe de base, c’est de ne jamais freiner l’enfant. S’il y en a un qui veut faire des fractions à 6 ans, tu l’encourages. Le reste on verra après.

Pour finir, est-ce qu’on peut parler rapidement de la place des écoles alternatives sur le paysage français ? Est-ce qu‘il existe des subventions pour les parents intéressés, par exemple ?

[Laurie] Rien. Ce qu’on peut faire, c’est demander un contrat à l’éducation nationale quand l’école aura 5 ans de vie. Si les politiques ont changé d’ici là — car jusqu’à aujourd’hui, aucune école Montessori n’a eu de contrat à ma connaissance — ça nous permettra de diviser nos tarifs par 2 ou par 3.

[Roxanne] Cela dit, sans parler d’écoles alternatives, les mentalités évoluent. Je crois qu’une école traditionnelle peut être très bien. Ca dépend juste de l’équipe, de la direction, et des moyens que tu donnes à tes enseignants.

D’ailleurs, il y a de plus en plus d’instits dans le public qui essaient de faire du Montessori. On en a tout le temps qui viennent en observation chez nous. En état de burn out pour une partie d’entre eux. Ils viennent ici et ils pleurent. Parce qu’ils croient vraiment dans nos méthodes. Mais ils ont tellement de contraintes que c’est impossible pour eux de les mettre en place.

Et qu’est-ce qui les empêche de quitter l’éducation nationale ?

[Laurie] Ah ben des CV de profs on en reçoit souvent :)

[Roxanne] Je pense que beaucoup y réfléchissent. Après, il faut que tu fasses la formation, qui reste un sacrifice personnel et financier important.

Et vous voulez pas ouvrir une autre école ?

[Laurie] On travaille sur un collège là. Parce qu’il y a déjà assez peu de primaires, mais niveau collège c’est carrément le néant. Ca prend du temps à monter par contre. Si on le fait, on pourrait l’ouvrir d’ici 3 ans environ.

Mortel. Merci ! Et longue vie à vous :)

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Bertrand Michotte
LA TÊTE AILLEURS

Coach certifié. Facilitateur de coopération. J'accompagne les dirigeant(e)s d'entreprises en questionnement et leurs équipes. Je suis aussi musicien.