Uber futur Yahoo de la mobilité ? Ou l’histoire du disrupteur disrupté

Cosmo
La Voiture Autonome
10 min readMar 26, 2018

Arrivé en premier sur le marché, initiateur d’une véritable révolution dans l’approche de la mobilité, disruptif, agressif, Uber risque fort d’exploser en vol et de perdre le marché qu’il domine aujourd’hui.

Ou l’histoire du disrupteur disrupté.

En 2009 quel marché n’avait pas encore été visé par la digitalisation ? Les transports. UBER y est allé tout droit, a promis des rêves de fortunes à ses investisseurs qui ont vu dans cette société la nouvelle star du Nasdaq de demain.

Dans la Tech on voit rarement qui va gagner la course et ce n’est pas toujours celui qui part le premier qui ramasse la mise. Qui aurait pensé à la fin des années 2000 qu’eBay se ferait dépasser par Amazon ou au début de la même décennie que Google dévorerait le marché du search, laissant des miettes à Yahoo l’ogre de l’époque ?

Uber pourrait bien prendre cette place du premier arrivé et premier parti. Si le modèle d’Uber semble aujourd’hui fonctionner bon an mal an, l’arrivée de la voiture autonome va remettre tout en cause et laisser à ses investisseurs beaucoup de pertes et de dettes.

Le modèle UBER

The winner takes it all. Does it?

Uber est aujourd’hui valorisé autour de 50 milliards de dollars, son marché repose sur la mise en relation de VTC avec des utilisateurs en quête d’une mobilité peu chère et fluide. Tout cela, selon le bon vieux principe de la place de marché qui fit la fortune de nombreuses startups de la Tech. La stratégie est connue : conquérir le plus rapidement possible tous les marchés du monde pour devenir l’acteur incontournable de Tokyo à Paris, jusque dans les villes les plus reculées de la planète. Cette stratégie de conquête s’appuie sur l’idée que sur le Web, en raison de la possibilité de créer un hub mondial, il n’y a qu’un seul gagnant, en anglais cela s’appelle : « The Winner Takes It All ».

En finançant une croissance à coup de levées de fonds, pour recruter chauffeurs et clients, UBER tente de reproduire ce que Facebook, eBay, et Amazon ont en leur temps déjà réalisé.

Deviens Le Hub et tout le monde viendra dans Ton Hub.

Pour Uber l’équation ressemble à cela : plus tu auras de clients et plus tu auras de chauffeurs et comme tous les chauffeurs seront sur ton application, il sera bien plus pratique à tes potentiels clients de passer par toi. Une fois que la position est acquise, il faut certes continuer à innover et se développer, mais c’est la quasi-garantie de ramasser le pactole. C’est ce qui fait aujourd’hui la fortune de Facebook (tout le monde est sur Facebook parce que tout le monde est sur Facebook) et c’est ce qu’Uber semble en passe de reproduire dans le domaine de la VTC. Ou pas.

Comme pour toutes les places de marché, la magie est que ce n’est pas Uber qui prend le risque, ses investissements sont faibles comparé aux revenus espérés. Uber concentre la marge commerciale sans avoir à investir dans les véhicules ou dans la force de travail. C’est ce qu’on a fini par appeler l’uberisation. Uber peut donc déplacer ses investissements sur l’acquisition client et chauffeur. C’est ce qui lui coûte le plus cher et continu de mettre ses comptes dans le rouge de trimestre en trimestre. Si sa stratégie se révèle être un succès, lorsque le marché sera consolidé, Uber n’aura plus d’effort d’acquisition et les chauffeurs comme les clients viendront naturellement à lui. Il ne restera plus qu’à gérer le succès.

Les outils du succès d’UBER tiennent en 2 points :

  1. Une application performante
  2. Une conquête agressive du marché

L’application performante, on peut y mettre autant d’argent qu’on veut, ce n’est pas ce qui coûte le plus cher dans ce business. N’importe quelle boîte peut la reproduire et l’affiner. Certes, elle a atteint un degré de complexité qui dépasse de loin un simple centre d’appel et de mise en relation, mais de nombreuses sociétés bien moins capitalisées produisent des applications et des algorithmes tout aussi performants. Ce n’est donc pas là que réside la valeur d’Uber.

Non, ce qui fait la différence, c’est sa capacité à recruter un maximum de chauffeurs dans un maximum de villes et en parallèle un maximum de clients pour construire la marque de référence dans le domaine et produire l’effet de place de marché.

Uber semble en passe de réaliser son pari. Sa marque est de loin la plus connue. Lorsqu’on pense VTC, on pense Uber, on parle même d’uberisation, on appelle Hubert pour réserver sa course. Quand bien même son image a été durement touchée par les frasques de son patron et des comportements commerciaux pour le moins agressifs, elle reste en tête et a même trouvé là l’occasion de transformer ces erreurs en campagne de com’ sur l’air de : « vous savez, on fait des conneries, comme tout le monde, on est des vrais humains avec un cœur comme ça ! ». Ah la com’ !

Être implanté partout pour écraser la concurrence.

Son développement agressif lui permet d’écraser la concurrence. Prenons l’exemple de « Chauffeur Privé » en France. La société est implantée à Paris, mais pas à Rennes, de sorte que même si je veux faire mon Montebourg et acheter Français ou que je pense comme la moitié de l’humanité qu’Uber est/était dirigé par de sombres c…, mon cœur de consommateur risque de prendre le dessus sur mes considérations éthiques et je risque de me retrouver à appeler Hubert qui m’offre la continuité d’un service entre les différentes villes dans lesquelles je me rends et auquel je pense par réflexe du fait de sa notoriété.

Les services de VTC visent une clientèle de classe moyenne et classe supérieure, ce sont des classes de la population qui se déplacent plus que la moyenne, ils vont en vacances partout dans le monde, et y utilisent des services de VTC. Lorsqu’ils sont dans une autre ville où Chauffeur Privé n’est pas implanté, ils doivent donc prendre l’application Uber ou une autre application locale. Mais nous sommes des flemmards, ce qui implique que nous préférons ne pas faire cet effort et ne pas devoir passer d’une application à l’autre et éventuellement d’une UX (expérience utilisateur) à l’autre. Enfin, Paris est une ville de touriste et les touristes, faute de le connaître, n’utiliseront jamais Chauffeur Privé. Au bout du compte pour Uber être présent partout contrairement à ses concurrents lui permet :

  1. D’avoir une meilleure notoriété et donc de devenir le top of the mind de son domaine
  2. D’offrir un service de continuité à ses clients
  3. D’avoir un quasi-monopole sur la clientèle internationale

En face, Chauffeur Privé ne peut s’appuyer que sur un seul marché, marché où il est nécessaire qu’il soit rentable (au moins plus rapidement), là où Uber pourrait se permettre de sacrifier sa rentabilité sur un marché concurrentiel. Bref, vous l’aurez compris, en l’état, je ne mettrai pas un euro sur Chauffeur Privé.

Nous sommes des feignasses lobotomisées par le marketing, lorsque nous pensons VTC, nous pensons UBER et UBER offre la facilité d’accès. C’est devenu le Coca Cola de la VTC, Lyft en est le Pepsi Cola et Chauffeur Privé le « Breizh Cola », c’est mignon, mais ce qu’ils peuvent espérer de mieux c’est d’être racheté par Lyft qui lui-même bénéficie d’un partenariat avec Waymo, le futur géant de la mobilité autonome.

Quoi qu’il en soit, il ne peut y en avoir qu’un pour contrôler le monde de la VTC. Ou disons, il ne peut y en avoir qu’un sur la zone occidentale… (laissons l’Asie et spécifiquement la Chine de côté).

UBER : La brillante promesse d’un sombre avenir

Uber est une très belle boite, le prochain Google de la VTC nous dit-on, il va prendre 20 % du prix des transactions de nos transports avec à terme comme frais, les transactions bancaires, un peu de pub et les mises à jour de son application.

Et pourtant…

Avec la mobilité autonome, le modèle économique de la VTC va complètement changer et la valeur se déplacer. La société qui voulait transformer le transport risque bien de se faire disrupter avant d’avoir pu faire son premier dollar de bénéfice. Ce sera sans doute la double disruption la plus rapide de l’histoire de la tech ! Un bel exemple d’accélération des cycles de destruction créatrice.

La voiture autonome et la transformation du modèle économique

Et voilà t’y pas que les voitures autonomes arrivent et que le modèle se transforme : la valeur va se déplacer de l’application et du hub, vers l’opérateur de flotte et celui qui maîtrise les technologies autonomes.

On s’en souvient, ce qui fait la force d’Uber tient en trois points :

  • Uber est la référence sur le marché occidental,
  • Uber est le service le plus présent à travers le monde,
  • Uber n’a presque pas d’investissement en capital à faire (rapporté à la taille du marché),

Aujourd’hui Uber traite avec des milliers d’entrepreneurs individuels auxquels il impose ses conditions de marché et qui prennent tous les risques en investissant dans l’outil de travail.

Avec la voiture autonome, les cartes seront rebattues.

Demain Uber traitera avec des opérateurs de flotte ou s’il en devient lui-même un, il devra traiter avec des constructeurs et les concepteurs de logiciels autonomes, tout en déployant des investissement massifs dans l’outil de production.

C’est un peu comme si vous demandiez à eBay de se transformer en Amazon.

2 possibilités pour UBER :

1ère possibilité, Uber met à disposition son outil et sa base de données client et collabore avec des opérateurs de flottes (constructeurs, villes, loueurs…). Autant dire que, dans ce cas, il ne pourra plus prétendre prendre 20 % de marge. Les opérateurs de flottes ne seront pas aussi atomisés que le sont les chauffeurs et disposeront de capitaux importants, de sorte qu’ils pourront faire jouer la concurrence ou développer leurs propres applications.

2nd possibilité, Uber constitue sa propre flotte, passant d’un modèle avec un capital faible à gérer, à un modèle très gourmand en capital (de l’achat de la flotte automobile aux infrastructures de gestion de la flotte : garages, réparations, recharges, amortissements.)

Dans les deux cas, le modèle et la valeur d’Uber change :

Si Uber fait des partenariats, ils vont perdre l’essentiel de la valeur ajoutée qu’ils entendent aujourd’hui s’arroger en raison de la nature des rapports économiques décrits plus haut.

S’ils deviennent opérateurs de flotte, ils changent entièrement de modèle économique, passant du site de rencontre hautement et « facilement » scalable partout sur la planète à une entreprise avec de gros besoins en capitaux, et au développement lent et incertain. Ils ne seront plus sur un marché où structurellement « The Winner Takes it All ».

Fini le modèle scalable à l’infini avec un coût marginal par utilisateur supplémentaire proche de zéro, bonjour les investissements réels dans du dur et leurs amortissements.

Tout ce qui était fait par chaque chauffeur payé à la tâche comme changer les pneus, laver la voiture, mettre de l’essence, amortir la voiture, s’occuper des menus réparations, la garer le soir, louer une place de garage, la prendre le matin… tout cela devra être géré par l’opérateur. Et c’est un tout autre métier cumulant les compétences de Hertz et de Renault plutôt que celles d’Uber. Il faudra certes toujours une application, mais faire une application, nous l’avons vu, est infiniment plus simple que de déployer et gérer une flotte automobile.

Uber semble toutefois se diriger vers cette option, et en vérité il n’a pas vraiment le choix s’il veut être un champion de la mobilité.

Il y perdra toutefois son modèle et rien ne garantit qu’il puisse intégrer la conduite autonome plus rapidement que ces concurrents.

La conduite autonome : au cœur de la valeur de la mobilité de demain

La conduite autonome est au cœur de la valeur de la mobilité de demain parce qu’elle permettra, selon les estimations, de diminuer le coût du transport de 80 à 95 %, rendant un déplacement en voiture autonome moins cher que de posséder un véhicule.

Quand le système sera fonctionnel et industriellement viable, celui ou ceux qui le maîtriseront seront donc en position de force sur le marché de la mobilité. On peut parier qu’ils s’en serviront pour dicter les règles du marché et récupérer un maximum de valeur.

Or, Uber n’a aucune chance de maîtriser cette technologie, ses résultats sont anecdotiques en comparaison de ceux de Waymo et de GM. Uber en est conscients. À telle enseigne qu’elle entend céder son pôle autonome à Toyota et qu’elle fait des appels du pied à Waymo pour être les premiers clients de leur technologie.

Mais pourquoi diable Waymo ou Tesla ou GM lui céderait-il des véhicules autonomes fonctionnels, alors qu’ils peuvent créer leur propre flotte en collaboration avec d’autres acteurs et créer un écosystème où ils se mettent au centre de la valeur ? Ils n’ont pas besoin de l’application d’Uber et ils n’ont pas plus besoin de son catalogue client. En effet, si la promesse d’une baisse de 90 % du prix de la course est atteinte, la société qui maîtrise la conduite autonome pourra imposer sa marge et ses prix. Ceux qui n’en voudront pas pourront mettre un chauffeur à la place de leur technologie et vendre le service deux à cinq fois plus cher. S’ils le souhaitent. Nous sommes dans un marché libre après tout. Le consommateur lui ne s’y trompera pas et aura tôt fait de changer de fournisseur pour aller vers le moins cher.

Waymo, le leader actuel dans la course à l’autonomie, consciente de son avance, est en train de créer un écosystème qui lui permettra à terme de proposer son propre service de robot taxi.

Avec le service « Chauffeur », Waymo propose d’ores et déjà à l’état de test un tel service à Phoenix en Arizona. Par ailleurs, Google a pris le contrôle d’environ 8 % de Lyft, le concurrent direct d’Uber, signifiant par là sa volonté de créer son écosystème dans la mobilité sans Uber.

Pour Uber les carottes sont cuites

Pour nous résumer la mobilité autonome change entièrement la donne pour 2 raisons. 2 raisons qui modifient radicalement son modèle économique d’Uber et vouent cette société à l’échec dans sa stratégie de domination de la mobilité :

  1. L’arrivée de la voiture autonome change le modèle économique d’Uber faisant passer la société d’un intermédiaire à un opérateur de flotte.
  2. La maîtrise de la conduite autonome devient l’enjeu essentiel. La valeur dans le transport se déplacera naturellement vers celui ou ceux qui sauront la rendre opérationnelle. Et Uber en passe de jeter l’éponge sur ce point se retrouvera en bas de la chaine alimentaire de la mobilité libérale qu’il a contribué à construire.

Voici donc Uber le disrupteur disrupté. Reste une marque, une application, un catalogue client et une implantation dans de nombreux pays. Ça vaut quelque chose, indubitablement, mais pas 50 milliards de dollars.

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