Navette autonome EZ10 à l’arrêt sur l‘avenue Pierre-de-Coubertin

Expérimentation de VA: 5 leçons apprises

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Du 21 juin dernier au 4 août, le quartier Hochelaga-Maisonneuve a accueilli deux navettes autonomes en circulation sur voie ouverte dans le cadre d’un projet pilote. Déployer des véhicules autonomes sur la voie publique n’est pas chose aisée mais en notre temps c’est assurément un bond de géant dans le développement de la mobilité urbaine. Le projet que nous avons mené a été porteur de nombreux apprentissages que je vous partage sous la forme des quelques leçons suivantes.

Leçon no1— Travail d’équipe(s)

Mettre sur pied un projet d’expérimentation de véhicule autonome demande la participation de nombreux acteurs dont l’apport est essentiel au bon déroulé de ce type d’initiative. Il y a en premier lieu les partenaires majeurs, dont la contribution est aisée à remarquer, tels que l’entreprise qui construit le véhicule (le constructeur) et celle qui l’exploite et en assure le service (l’opérateur de transport). Il y a également d’autres partenaires, dont les contributions moins évidentes sont néanmoins indispensables à l’opération d’un VA.

Par exemple:

  • Les équipes de marquage et de signalisation : leur mandat est de préparer les indicateurs visuels servant à délimiter les zones et emplacements dans lesquels la navette est appelée à circuler (lignes au sol, voies réservées, espace de stationnement permis, etc...)
Panneau de signalisation spécifiquement conçu pour le projet; Marquage au sol pour protéger les voies réservées aux cyclistes et à la navette sur l’avenue Pierre-De-Coubertin
  • Les équipes de sureté et de sécurité : leur mandat est d’assurer l’intégrité physique des citoyens au cours de l’expérimentation, de veiller au respect du code de la sécurité routière et à intervenir sur le site en cas d’incident. Leur connaissance du projet ainsi que du véhicule est de mise.
Présentation et inspection du véhicule par l’équipe du Service d’Incendie de Montréal ; Régulation du flux de circulation par le Service de Police de la Ville de Montréal lors de tests sur la voie publique
  • Les équipes de communication: leur mandat est de concevoir et produire des supports médias et du contenu relatif au projet
  • Les équipes de voirie: leur mandat est d’assurer une qualité de chaussée adéquate afin de faciliter la circulation de la navette
  • Les équipes d’ingénierie de systèmes : leur mandat est d’assurer la connectivité entre les équipement embarqués à bord de la navette et les infrastructures intelligentes de la ville. Cette connectivité permet par exemple la communication automatique entre le VA et les feux de signalisation.

Leçon no2— Projet expérimental = 0% Échec, 100% Apprentissage

Un projet pilote vise à éprouver une innovation et à en acquérir des connaissances afin de juger de la maturité du service que l’on souhaite déployer. Chaque résultat observé constitue une issue attendue (le plus souvent favorable) ou inattendue (pas forcément défavorable) qui nous renseigne sur plusieurs aspects tels que:

  • Les capacités mécaniques et techniques du véhicule : Est-il capable de monter une côte à 12%? Est-il capable de se connecter à un autre VA? Est-il capable de contourner un obstacle?
  • Les scénarios d’utilisation du véhicule : qu’arrive-t-il lorsque le VA a initié une traverse d’intersection mais se retrouve immobilisé sur la zone centrale avant d’avoir terminé? Qu’arrive-t-il lorsque le nombre de passagers excède la charge maximale? Jusqu’à quelle intensité de pluie les capteurs sont-ils capables de fonctionner? Etc…
  • L’expérience passager: À une faible vitesse moyenne est-il préférable de prendre la navette ou le vélo? Quel est l’impact des mouvements du véhicule sur le confort? Acceptable? Comparable à un bus standard?
  • La gestion des opérations : À partir de quel niveau d’achalandage est-il pertinent d’opérer plusieurs navettes plutôt qu’une seule? Quels sont les statistiques de l’expérimentation (nombre de passagers transportés, nombre de km parcourus, nombre de reprise manuelle du véhicule)?

Leçon no3— L’imprévu c’est le quotidien

Du fait de ses particularités et des ajustements à effectuer sur le terrain, la planification du parcours d’un VA est extrêmement rigoureuse. L‘équipe projet, composée des experts de chaque “corps de métier”, établit la pertinence du parcours, en valide la faisabilité technique puis en dresse les plans définitifs à exécuter…En théorie!

Travaux sur la voie empruntée par la navette, suite à un incendie survenu dans un immeuble. Il a fallu adapter le parcours et prévoir un segment opéré en mode manuel.

La réalité pratique peut réserver des surprises qui requerront d’adapter ou de modifier sur-le-champ les plans selon les situations qui surviennent. Il peut s’agir de travaux sur le site (c’est arrivé!), d’activités ou évènements spéciaux dans les environs (check!), de limitations que peut rencontrer la navette (le contournement d’obstacles inopinés n’était pas disponible sur ce modèle de navette), ou encore de comportements délinquants de la part des autres usagers de la route. Ces situations nécessitent de la réactivité ainsi que de la créativité dans la recherche de solutions et ce dans un laps de temps très court.

Leçon no4— L‘opérateur de navette autonome: la dimension mentale

La législation en vigueur requiert d’avoir en tout temps un opérateur présent à bord du véhicule afin de pouvoir reprendre le contrôle manuel si la situation l’exige. Le véhicule évolue toutefois en mode autonome la plupart du temps, à l’exception des situations où ses limites font en sorte que l’opérateur doive intervenir (contourner un obstacle statique par exemple). Cela signifie que, dans des conditions normales, 85–90% du temps l’opérateur n’effectue aucune manipulation de conduite et agit simplement comme accompagnateur des passagers embarqués. Cela n’est pas sans rappeler les “liftiers” qui occupaient des fonctions similaires dans les ascenseurs au début du 20e siècle. Un quart de travail de 8h à intervention minimale… c’est long! Cet état de fait suscite au minimum les deux considérations suivantes:

  1. Bien qu’il agisse comme guide et vecteur d’information, il pourrait aisément être remplacé par un système automatisé d’aide à l’information voyageur audio-visuel (comme dans le train, le bus ou le métro)
  2. L’impact psychologique d’effectuer une boucle continue durant une période de temps élevée sans pouvoir ou devoir intervenir (motivation, engagement, intérêt, perception d’utilité, estime de soi).

Les navettes utilisées dans le cadre de ce projet-pilote témoignent d’un niveau d’autonomie de degré 4 soit “automatisation élevée” permettant de déléguer au véhicule des fonctions importantes tel que l’accélération/décélération et le freinage. Un tel niveau permettrait en théorie au véhicule de mener à bien sa mission sans le concours d’un opérateur si le parcours proposé le permet.

Les véhicules étant en phase de démontrer la maturité de leur autonomie, la pertinence d’affecter des individus à une tâche automatisée fera assurément débat. La présence du pilote humain à bord apparaît donc conditionnelle au degré de développement technologique et à l’acceptabilité sociale et légale.

Leçon no5— Travailler (presque) hors du cadre légal

La question de l’application de la réglementation routière, et dans quelle mesure, est au cœur de l’expérimentation sur la voie publique. En effet, tous les véhicules admis sur l’espace public sont sujets au code de la sécurité routière en vigueur, navette autonome comprise… sauf dans les cas où ses caractéristiques particulières l’en distinguent.

Les VA évoluent dans un cadre légal mixte. Certains de leurs comportements et champs d’opérations sont assujettis aux lois et règlements en vigueur tandis que d’autres n’ont pas de dispositions prévues dans la loi. Les comportements non régis légalement font donc l’objet de vigilance accrue et la bonne foi des parties, toujours dans le respect de la sécurité publique, permettant ainsi de naviguer les zones d’incertitude.

Au niveau du cadre légal existant dans lequel les navettes s’inscrivent, nous aurions les cas tels que:

  • Le respect de la signalisation routière : feux, panneaux d’arrêt, lignes et marquage au sol, respect des voies réservées
  • Le respect des limitations de vitesse
  • Les comportements permis ou proscrits : virages à gauche ou à droite ou en U, espaces et durée de stationnement

Les cas qui échappent cependant aux règles en vigueur sont davantage relatifs à la conduite du véhicule, notamment:

  • Le comportement et les aptitudes du conducteur: obligation du port de la ceinture de sécurité, la conduite avec facultés affaiblies, etc… Les opérations de VA s’affranchissent de ces règles dans la mesure où elles n’ont pas été prévues pour leur conception et philosophie d’utilisation. La responsabilité, du moins en présence d’un opérateur, est partagée entre lui et l’intelligence du véhicule. En l’absence d’opérateur (et donc de conducteur) l’ensemble de ce volet du code est inapplicable.
  • La notion de priorité : carrefours à 4 stops ou “cédez-le-passage” ou même la simple courtoisie supposent le jugement du conducteur. Dans le cas d’une navette autonome, sa programmation purement mécanique requiert des aptitudes à la perception, interprétation et action suffisantes pour pouvoir simuler le jugement humain. Toutefois, même parvenu à ce degré d’intelligence, il n’est pas sûr que le cadre légal soit en mesure d’évaluer adéquatement le respect de ces principes.

Toutes les parties prenantes, y compris les représentants du législateur (la SAAQ et le MTQ), s’accordent sur le fait que le code de la sécurité routière est aujourd’hui à enrichir. D’un point de vue plus concret, manœuvrer un VA sur la voie publique et dans des cas non prévus ou non explicitement couverts par la loi demande beaucoup de vigilance. Nul ne possédant les bonnes et complètes réponses, les rapports quotidiens sur les événements survenus et la manière dont ils ont été adressés constitueront un premier pas vers des pistes de solution.

En somme, bien que de nombreux éléments nous aient été communiqués à travers ce projet, il y a encore beaucoup à apprendre sur ces sujets et l’acquisition de connaissances se fera selon deux approches. La première sera celle des projets pilotes à venir : ils nous renseigneront assurément davantage sur le potentiel de ces nouveaux outils de mobilité urbaine. La seconde sera celle des études et enquêtes sociales: les rapports des sondages réalisés auprès des citoyens seront disponibles dans le courant de l’automne. Ces rapports seront fortement révélateurs des perceptions des Montréalais sur ces innovations et feront l’objet de mes prochaines discussions.

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