Forum “Regards croisés”: les navettes autonomes au Québec

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Les 9 et 10 septembre dernier, le Laboratoire d’Innovation Urbaine en collaboration avec Propulsion Québec et Jalon Montréal, a tenu deux demi-journées de réflexions et débats sur le sujet des navettes autonomes (NA). Ces véhicules, premières itérations de ce que sera la mobilité sans conducteurs du futur, ont été testés sur les routes du Québec durant ces cinq dernières et suscitent des attentes, des espoirs et surtout de nombreuses questions sur ce que nous réserve le futur de la mobilité.

Les navettes autonomes au Québec depuis 2018

Premier segment du forum, le retour sur les expérimentations des dernières années a mis en avant les opérateurs de navettes Keolis et Transdev ainsi que les municipalités dans lesquelles ils ont déployés les projets expérimentaux, respectivement Candiac et Montréal.

Les opérateurs ont ainsi discuté des différences entre les territoires sur lesquels leurs véhicules ont eu à opérer et donc des différents défis rencontrés. Dans le cas de la ville de Candiac, la faible densité a pu causer des pertes de repérage à la navette tandis que Montréal a dû composer avec le problème inverse de la forte activité circulatoire. La faible vitesse des navettes contrastait fortement avec le fort dynamisme et débit des autres multiples usagers de la route au point de causer des ralentissements et de la frustration.

Des enjeux communs aux deux opérateurs ont été les problématiques mécaniques qui ont fréquemment impacté le service ainsi que des enjeux liés aux limites analytiques et circulatoires des navettes (pas de changement d’itinéraire possible, lenteur, erreurs de reconnaissance des éléments dangereux ou non).

Du côté des municipalités, les expérimentations ont également été riches d’enseignements. Ainsi du côté de la Ville de Candiac, Mr le maire Normand Dyotte note les aspects suivants:

  • Les citoyens ont exprimé des questionnements sur le remplacement potentiel des autobus et de leur conducteurs conducteurs par de la mobilité autonome.
  • Les NA devraient être considérées comme faisant partie d’une offre de transport multimodale et intermodale (desserte du premier et dernier kilomètre).
  • Le déploiement des navettes autonomes représente des investissements importants, qu’il faut pouvoir justifier par la pertinence des projets au regard des besoins des citoyens.

Mme Sophie Mauzerolle, conseillère associée à l’urbanisme et à la mobilité du comité exécutif, à la Ville de Montréal a partagé les points de vue suivants:

  • Les technologies de mobilité sans conducteur sont encore expérimentales et la marge d’erreur peut être importante. Les rétroactions lors des projets sont ainsi précieuses afin de mieux connaître ces véhicules et leur potentiel
  • Le facteur “wow” d’un véhicule innovant ne devrait pas être le principal facteur de rétention d’une solution de mobilité. Il faut savoir identifier le besoin ainsi que l’intégralité des options existantes avant de considérer une navette autonome comme solution si ses caractéristiques le permettent.
  • Identifier le bon contexte circulatoire et la bonne population cible pour ce type de véhicule. Les NA ont montré des limites dans certains environnements et il faut faire attention à ce que la solution ne devienne pas elle-même un enjeu de circulation.

En somme, suite aux expérimentations menées, les navettes autonomes apparaissent davantage utiles en tant que compléments aux modes existants (bus, métro). Étant donné leur complexité de mise en service, elles requièrent une pertinence suffisante pour être déployées (besoin citoyen, contexte circulatoire et infrastructures adaptées etc..).

La réglementation au Québec : un état des lieux

MM Brault, chef du service de la recherche en sécurité routière à la Société de l’assurance automobile du Québec et Martinez, directeur des politiques de sécurité, Ministère des Transports du Québec ont positionné le rôle du gouvernement provincial dans la mise en œuvre des outils de nouvelles mobilités.

Comme démontré à travers leur implication dans les projets menés à Candiac et à Montréal, le gouvernement souhaite être un partenaire d’avant plan et non un frein à l’innovation. Des groupes de travail mixtes (MTQ/SAAQ/Municipalité) ont été constitués afin de collaborer à la réussite des expérimentations et participer à la récolte de connaissances sur les navettes et surtout sur leur contexte d’utilisation. Dans une industrie au rythme de développement rapide, l’agilité est un des éléments-clés pour permettre à la sphère législative d’accompagner les avancées technologiques. Dans cette optique le MTQ et la SAAQ ont a cœur de se doter d’un cadre réglementaire souple et adaptatif en partenariat avec les acteurs de l’industrie. Une telle approche facilitera la collaboration et offrira une meilleure réactivité du gouvernement face aux autres acteurs publics et privés.

L’acceptabilité sociale et les véhicules autonomes

Les réflexions sur les perceptions des citoyens et utilisateurs de navettes autonomes ont été menées par Mmes Marie-Soleil Cloutier, professeure agrégée, directrice, Laboratoire piéton et espace urbain (LAPS) et Sarah V. Doyon, Directrice de Trajectoire Québec.

De manière globale les NA sont perçues positivement pour les potentiels bienfaits qu’elles peuvent apporter. Les aspects de mobilité collective et partagée ainsi que de sécurité (respect absolu du code de sécurité routière) apparaissent déterminants dans le niveau d’appréciation des utilisateurs.

Le nombre d’individus ayant eu accès à un véhicule de type autonome étant très restreint, les connaissances du grand public sur ces véhicules sont limitées. Ces véhicules sont donc globalement très peu connus et suscitent donc davantage de curiosité que de défiance.

Enfin, au delà de la technologie, l’intérêt est orienté vers le caractère pratique de ces solutions. Un élément marquant a été de se questionner si au delà de pouvoir se conduire seules, les navettes autonomes faciliteront réellement la mobilité au sein des quartiers et au bénéfice des citoyens.

Le rapport d’étude sur le sujet a récemment été rendu disponible pour consultation publique.

La transition vers une mobilité faisant place aux navettes autonomes

La discussion autour de la transition graduelle vers la mobilité autonome a réuni un panel issu de Polytechnique Montréal, du Quartier de l’innovation et du Laboratoire d’innovation Urbaine. En compagnie de MM Nicolas Saunier, et Benjamin Docquière nous avons eu le plaisir d’échanger autour de l’arrivée progressive des VA et de l’adaptation à ces nouveaux modes.

Les principaux constats ont été les suivants:

  • Sécurité : l’étude de la vitesse de la navette, et d’indicateurs de sécurité de ses interactions avec les autres usagers, montre une sécurité supérieure comparée aux voitures ayant des trajectoires similaires.
  • Leur usage lors des interactions avec les autres usagers (motorisés et non motorisés, plus ou moins automatisés) et l’intégration des navettes autonomes dans nos systèmes de transport sont des aspects importants à anticiper.
  • La transition vers une mobilité faisant place aux navettes autonomes doit s’ancrer dans les enjeux socio-spatiaux spécifiques à chaque territoire
  • Il devra exister des normes/moyens de communication de ces véhicules vers les autres usagers, en particulier les piétons, pour leur communiquer leurs intentions (virage, ralentissement, cession de passage, priorité, etc..)
  • Il faudra utiliser ou créer les bons contextes circulatoires pour les navettes autonomes, notamment lors du développement de quartiers sans automobile personnelle où des navettes complèteraient l’offre de transport actif et collectif

Les navettes et autres véhicules sans conducteurs devraient pouvoir opérer sans qu’aucune modification à l’environnement urbain ou au comportement des autres usagers soit nécessaire. En somme, il est attendu que les navettes et autres véhicules autonomes aient un niveau de développement suffisant pour s’adapter par eux-mêmes à leur environnement et aux autres usagers de la route.

Les technologies, d’aujourd’hui à demain

Le forum s’est achevé par l’intervention du professeur Denis Gingras, issu du Département Génie électrique et génie informatique de l’Université de Sherbrooke et directeur du Laboratoire sur l’Intelligence Véhiculaire. À la lumière des débats et divers ateliers, son propos visait à conclure sur les capacités des nouveaux outils de mobilité à travers la problématique suivante:

“Les navettes autonomes sont-elles fiables ?”

Les navettes autonomes sont parfois des solutions mal adaptées au besoin citoyen. “Y a t’il réellement besoin d’une navette (autonome ou pas) pour adresser une situation ?”. Des outils de mobilité “conventionnels” peuvent parfois convenir, “nouveauté” ne rimant pas toujours avec “efficacité”.

Les études et observations empiriques ont par ailleurs révélé des limitations technologiques sur les VA de type navettes. Il s’agit d’écueils tels que des défis de géolocalisation, d’interprétation de l’environnement, de manœuvres parfois non maîtrisées ou encore de difficultés d’adaptation à l’environnement géo-climatique. Des solutions à ces enjeux existent et devront être testées implémentées afin d’assurer une performance et un service aux citoyens adéquats.

En somme, davantage de travaux de tests sont requis afin de raffiner les véhicules autonomes et les adapter à l’environnement urbain dans lequel elles auront vocation à évoluer.

La route est encore longue

Cet évènement a permis de rassembler les experts et passionnés du sujet de la mobilité autonome afin de faire le point sur les belles réalisations mais également sur l’ampleur des deux défis qui nous incombent: information et perfectionnement.

A) L’accompagnement du public

Le concept de véhicules ou de mobilité autonome demeure encore abstrait pour la grande majorité des citoyens. Peu d’entre eux ont eu l’opportunité d’approcher ou de tester les navettes déployées et donc de réellement prendre la mesure de ces outils. Les conversations citoyennes autour des mobilités sans conducteurs sont ainsi toujours marginales et empreintes de fantasmes, aussi optimistes soient-ils (zéro accident, fluidité maximale, confort et expérience passager de qualité supérieure). Puisque ces services leur seront destinés, il nous appartient d’instruire nos citoyens de manière réaliste sur les réelles capacités des VAs.

B) La formation des professionnels

Les experts de la mobilité auront un double mandat : d’une part poursuivre leurs apprentissages afin de préparer adéquatement nos villes et territoires à l’arrivée des VA et d’autre part bâtir un sens critique au regard de leurs usages et capacités. Le caractère novateur de ces outils promet des avantages et améliorations importantes à la mobilité urbaine mais sans toutefois les garantir. L’importance de la veille et du discernement quant à leur utilisation est donc fondamentale.

C) Perfectionnement technologique

Comme exprimé par les opérateurs, représentants des municipalités et les chercheurs, les navettes autonomes requièrent davantage de raffinement pour être complétement…autonomes. D’aucuns promettent la maîtrise de l’automatisation de la conduite pour 2021 tandis que la vaste majorité des experts visent plutôt la fin de la décennie voire au-delà. Toujours est-il que la complexité circulatoire telle que nous la connaissons surpasse actuellement les capacités des véhicules et navettes autonomes d’aujourd’hui. D’exhaustifs travaux d’améliorations demeurent pour atteindre un niveau de développement minimalement suffisant.

En dernier lieu se pose la question de la pertinence. Si les VA étaient aptes à évoluer sur nos rues et nos citoyens et professionnels rompus à leur utilisation, seraient-ils toujours et constamment la meilleure solution ? Quels seraient les cas d’usage adéquats, souhaitables ou moins souhaitables pour des véhicules sans conducteurs? Serions-nous prêts à tolérer de l’auto-solo autonome? Aurions-nous l’esprit en paix à l’idée que des VA évoluent sans supervision humaine à proximité des zones scolaires ou industrielles en pleine heure de pointe ?

Nous ne sommes qu’à l’horizon des grands bouleversements que causera la mobilité autonome et c’est avec grand plaisir que nous poursuivrons ces réflexions lors de nos prochains rendez-vous sur ces thématiques. Entre temps, les rapports et comptes rendus de nos activités demeurent disponibles sur la page du site web du Laboratoire d’innovation Urbaine de Montréal dédiée aux véhicules autonomes.

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