Le Défi des villes intelligentes comme prototype du Lab

Alors que nous sommes à une semaine de la conclusion du Défi des villes intelligentes, dont les gagnants seront connus le 14 mai, il est temps de faire un retour sur la candidature de Montréal et notamment comment elle s’inscrit dans la démarche du Laboratoire d’innovation urbaine.

Pour revenir un peu en arrière, le processus du Défi des villes intelligentes a été lancé en novembre 2017 avec pour objectif d’inviter les villes canadiennes de toutes tailles à définir des projets combinant technologies, données et engagement citoyens au service de résultats concrets et mesurables pour les résidents. Dès cette époque, le bilan des activités du Bureau de la ville intelligente et numérique pointait vers la nécessité d’une approche favorisant l’expérimentation comme préalable au déploiement d’innovations ou de solutions “ville intelligente”. De fait, l’ensemble du processus du Défi, jusqu’au dépôt final le 5 mars dernier, s’est fait en parallèle avec la transition du Bureau de la ville intelligente et numérique vers le Laboratoire d’innovation urbaine. Également, les outils et méthodes, employés ont évolués. En d’autres termes, le Défi a littéralement servi de banc d’essai pour ces nouveaux outils et méthodes. Et c’est là le premier fait saillant du processus du Défi des villes intelligentes : il nous a servis à faire évoluer nos approches d’innovation à la Ville de Montréal.

Quelles approches? À défaut de détailler l’ensemble des étapes et sous-projets de la candidature, voici quelques éléments importants pour l’avenir.

Processus émergents et intégrés

L’une des prémisses de nos travaux dans le cadre du Défi, c’est que l’écosystème citoyen montréalais sait ce dont il a besoin. Le meilleur moyen de connaître les principaux enjeux à travailler ainsi que les meilleurs moyens pour répondre à ces enjeux demeure de travailler conjointement avec le milieu. Il n’y a rien là de totalement révolutionnaire, mais il est intéressant de noter que dans une très large partie des villes, la notion de ville intelligente commence certes de consultations citoyennes, mais est ensuite opérée de manière assez stricte par la ville ou déléguée à des organisations privées. Dans le cadre du Défi, nous avons souhaité développer des projets de manière partagée. Plus précisément, sur le portfolio de projets déposés, la majorité sera portée par des organisations partenaires institutionnelles ou sans but lucratif. Afin d’assurer une direction partagée et représentative des besoins de la communauté, des mécanismes de gouvernance seront mis en place.

L’autre élément à souligner est la volonté de combiner les initiatives gravitant autour d’un même domaine. Dans le cadre de l’appel à projet réalisé fin 2017, plusieurs projets soumis visaient les mêmes objectifs et des moyens similaires ou complémentaires : plusieurs projets visaient à regrouper et analyser des données en mobilité, plusieurs projets évaluaient la combinaison de mode de transports, etc. Nous avons donc tenté, tout au long du processus, de trouver les meilleurs moyens pour combiner et renforcer mutuellement certains projets. Bien que le résultat proposé dans la candidature finale démontre la force de cette manière de faire, il n’a pas été possible de la mener aussi loin que nous aurions voulu : les délais serrés pour le dépôt et d’autres contraintes opérationnelles font qu’ils restent du travail à faire dans ce sens. Malgré quelques bémols, mettre plusieurs acteurs autour de la table pour définir les objectifs à atteindre, les manières de s’y prendre, etc. s’est avéré très fructueux et enrichissant pour tous.

De ce point de vue, nous avons donc pu valider que ces approches émergentes et combinant plusieurs acteurs apportent beaucoup de valeur aux projets, tout en représentant un apprentissage concret de certains enjeux liés à ces manières de faire.

Des objectifs concrets et mesurables

La formulation du Défi mettait en avant de manière très claire une tension classique en matière d’innovation : d’un côté, la volonté d’aller vers l’inconnu, d’être audacieux dans les projets proposés et de l’autre côté des résultats concrets, mesurables et spécifiques dès la phase préliminaire. Même si certaines approches de recherche et développement peuvent se permettre d’explorer de manière assez large, c’est rarement le cas dans l’innovation appliquée où des cibles assez concrètes sont attendues pour justifier les projets. Trouver la balance entre audace et prévisibilité est donc un enjeu significatif pour l’innovation appliquée et cela est d’autant plus le cas dans des systèmes complexes ; les multiples liens de cause à effet et l’intervention de forces exogènes hors de notre contrôle sont la norme dans les systèmes urbains. Comment convaincre le jury et les Montréalais de l’impact que nous comptons réaliser dans ces conditions?

La première étape fut de bâtir un modèle d’impact pour notre démarche. Nous avons décidé d’utiliser le modèle de la théorie du changement qui permettait d’intégrer de manière assez naturelle la cascade de cause à effets anticipés entre les actions réalisées et les impacts visés. Ce modèle met aussi beaucoup d’accent sur les hypothèses, c’est-à-dire un ensemble de prérequis et de conditions nécessaires à la réalisation de l’impact final. Cela fournit l’ensemble des variables à contrôler pendant la durée du projet. Ensuite, il était possible de définir des métriques en partant des projets réalisés, principalement des métriques de réalisation, en allant progressivement vers les métriques d’impact.

Théorie du changement synthétisée

Toutefois, il faut être conscient des limites d’une telle approche : l’ensemble des hypothèses posées rend les résultats finaux très sensibles aux conditions extérieures. Par ailleurs, avec un budget pour les travaux préliminaires d’environ 500 000$ pour un projet de 50 millions -soit 1% du budget de projet, alors qu’une étape de planification complète avoisine normalement les 20%- il n’était pas possible d’avoir un modèle complet. Nous avons donc décidé de complémenter ce modèle par une approche agile avec un cycle de rétroaction aussi court que possible: à chaque étape, un cadre de mesure sera mis en place et testé dès que possible sous forme de prototypes. Ces tests nourriront le modèle de théorie du changement notamment les chaînes de causalité et les hypothèses. Cela permettra d’ajuster les métriques d’impacts. En d’autres termes, les cibles seront en mode d’ajustement constant.

Là encore, le Défi nous a permis de développer un type de modèle pouvant servir dans le cadre pour le Lab: chaînes causales, hypothèses, prototypage et mesures devraient être notre pain et notre beurre pour les années à venir!

Engagement citoyen

Toutefois, ce modèle de rétroaction régulière n’était possible qu’avec des modèles de gouvernance renouvelés et une forte implication citoyenne. En effet, le modèle de rétroaction implique de périodiquement tester les modèles préliminaires des solutions envisagées et de constamment faire évoluer ces modèles. Le meilleur moyen d’y arriver de manière efficace est d’impliquer les utilisateurs des solutions proposées dans le design et dans les validations de prototypes. Ainsi, en cas de victoire, une part conséquente du budget est prévue pour soutenir l’engagement citoyen puis pour collecter et analyser les données obtenues de cet engagement pour ajuster les projets. On retrouve ici deux des piliers du Laboratoire : l’engagement citoyen et l’analyse des données pour guider les choix et les orientations.

Le Défi des villes intelligentes a été l’occasion d’appliquer concrètement les principes fondateurs du Laboratoire, bien qu’il a également quelque peu ralenti la transition vers le Laboratoire d’innovation urbaine. Ces principes, issus de l’expérience acquise avec la démarche de ville intelligente, ont été mis au service de la candidature et offre, nous en sommes convaincus, un modèle solide en réponse aux exigences formulées par le gouvernement fédéral. Nous espérons que le jury du Défi reconnaîtra la solidité de notre candidature, mais même si cela devait ne pas être le cas, les efforts des derniers mois auront permis de faire progresser la démarche d’innovation à Montréal.

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Stéphane Guidoin
Lab d'innovation urbaine de Montréal

Expert en innovation et stratégie, avide consommateur de chocolat, cycliste invétéré