Montréal se dote d’une Charte des données numériques

Une charte pour une gestion éthique et responsable des données

Véronique Dufort
Lab d'innovation urbaine de Montréal
7 min readOct 13, 2020

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Plus que jamais, les données sont présentes dans nos vies. Elles sont collectées à travers nos activités quotidiennes, notamment avec l’avènement de technologies numériques prédictives, et chacun·e est concerné·e. Il devient nécessaire d’ouvrir le dialogue pour mieux maîtriser et contrôler la gestion qui est faite de ces données.

Souhaitant réaffirmer son engagement au développement responsable et au droit numérique des citoyen·nes, la Ville de Montréal lance une charte des données numériques, premier jalon d’un cadre de gouvernance de la donnée numérique dans l’espace urbain. Cette charte poursuit l’objectif de se doter de principes éthiques et moraux pour protéger la communauté citoyenne, encadrer les usages des données sur le territoire et tirer le plein potentiel de cet actif pour le développement de notre ville.

Ces orientations vont de pair avec des initiatives déjà appuyées par la Ville et qui ne font que réitérer le rôle prépondérant des villes à ces réflexions primordiales. La charte fait suite à l’adhésion de la Ville de Montréal au réseau Cities for digital Rights en 2019.

Montréal s’appuie déjà sur un leadership de l’écosystème en matière d’éthique appliqué au numérique. La déclaration Montréal IA responsable dirigée par l’Université de Montréal prônant le développement d’un cadre éthique et des orientations de développement de l’IA vers des finalités moralement et socialement désirables montrait dès 2017 la volonté de devenir un chef de file en la matière.

Une bonification des cadres existants

En évolution rapide, l‘univers des données numériques exerce une pression croissante sur les cadres de protection des données existants. Cette charte ne remplace pas les cadres légaux existants*. Elle propose de les compléter en fournissant un cadre flexible et adapté à l’évolution rapide de ces outils et à l’usage particulier qui peut être fait dans un contexte urbain, notamment avec la présence d’espaces publics densément peuplés. À l’aube de refontes importantes des lois en matière de protection de la vie privée, il s’impose d’évaluer comment les villes peuvent avoir une contribution significative à ces réflexions.

* Notons principalement la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels au Québec et la La Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) au Canada.

Principes et engagements

Publiée en octobre 2020, la charte des données numériques est subordonnée par 13 principes déclinés en trois engagements phare:

Ces principes ont été réfléchis de manière à assurer le respect autant des personnes individuellement que de la communauté puisque les données urbaines sont collectées au nom des citoyens et dans leur intérêt.

Les données sont un outil puissant pour permettre aux villes de se déployer davantage, offrir un cadre de vie sain et dynamique tout en permettant une vitalité économique. Un levier pour rendre nos villes plus résilientes. Cela dit, il reste relativement facile de constater des cas d’abus des droits numériques sur nos territoires et à travers le monde. L’ère de la multiplication des données apporte son lot d’enjeux: désinformation, concentration du pouvoir, outils de surveillance accrue, algorithmes «boîte noire» utilisés pour prendre des décisions ne sont que quelques exemples d’usages non souhaitables. C’est pour s’assurer de l’usage juste et raisonné que ces principes sont mis de l’avant. Ils agiront comme guide afin d’encourager le progrès et le rayonnement de Montréal tout en prévenant les risques d’usages dénaturés ou malveillants. Une ouverture à établir ensemble nos limites.

Voici ici la liste des principes sous chacun des grands axes:

Garantie des droits de la personne à l’ère numérique

  • Droit à la vie privée ━ Préserver l’intimité et prévenir la surveillance
  • Inclusion ━ Assurer l’équité et lutter contre les discriminations
  • Cybersécurité ━ Protéger les données personnelles
  • Consentement ━ Garantir le plein contrôle citoyen sur leur empreinte numérique
  • Sobriété numérique ━ Faire un usage raisonné et raisonnable de la donnée

La primauté de l’intérêt général et du bien commun

  • Bien commun ━ Collecter au nom de la collectivité
  • Souveraineté numérique ━ Assurer le partage des données d’intérêt général sur le territoire
  • Interopérabilité et portabilité des données ━ Favoriser l’échange, l’utilisation et l’agnosticisme technique
  • Transparence ━ Assurer un lien de confiance

Les données au service de l’avenir

  • Universalité d’accès ━ Réduire la fracture numérique
  • Participation publique ━ Impliquer la communauté et faciliter la création de valeurs sociales
  • Expérimentation encadrée ━ Oser repousser les limites pour innover
  • Transition écologique ━ Maîtriser son empreinte sur l’environnement

Un travail de collaboration

Co-portée par le Laboratoire d’innovation urbaine (LIUM) et le Service des technologies de l’information, cette charte est le fruit d’un grand chantier collaboratif au sein de la Ville, impliquant de multiples équipes : celle du Greffe(responsable de l’accès à l’information), de la Diversité et de l’inclusion sociale, de la Transition écologique et de la résilience, de la Culture, de l’Urbanisme et de la mobilité ainsi que du Développement économique. Cette grande mobilisation interne traduit l’intérêt de voir les données être mieux gouvernées, avec éthique et à l’image de la communauté montréalaise afin qu’elles contribuent à améliorer les milieux de vie urbains et à éclairer les prises de décisions collectives et individuelles.

Il importe également de souligner la contribution importante de Nicolas Merveille, professeur au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’UQAM, qui a guidé la définition et la rédaction de principes faisant échos à la réalité actuelle en posant un regard éthique sur les usages multiples des données rendues possibles grâce à l’émergence d’outil numérique tel l’AI, l’IoT et les données massives.

Ces travaux s’inspirent d’initiatives similaires ou connexes au Canada ainsi qu’à Nantes avec qui Montréal a développé des idées communes. D’ailleurs, les notions de respect de la vie privée, de souveraineté numérique des villes et de bien commun font aussi l’objet de discussions avec des villes telles que Lyon, Boston et Los Angeles.

Un document évolutif: invitation à la communauté montréalaise à contribuer et adhérer

En reflet à l’évolution constante des technologies, le document se veut itératif de manière à s’assurer d’y refléter la réalité, tant au niveau du contexte légal, de l’émergence des outils numériques que des connaissances. La collaboration et la participation citoyenne étant au cœur de la démarche, une invitation à commenter la charte est lancée via un sondage en ligne sur la Plateforme Pol.is*. Cette consultation vise à expérimenter à la fois les réactions suscitées par la charte et la pertinence d’un tel outil de conversation citoyenne.

La communauté est donc invitée à participer à la conversion en commentant et réagissant aux commentaires soumis via notre sondage interactif.

*Pol.is est une plateforme de conversation en ligne alimentée par des méthodes d’intelligence artificielle. Utilisée à travers le monde dans des processus décisionnels où la consultation publique et l’engagement citoyen sont mises de l’avant, elle combine des méthodes d’analyse qualitatives et quantitatives. La plateforme permet aux utilisateur.trice.s de proposer elles-mêmes des dimensions ou enjeux particuliers liés au sujet principal. Ces commentaires sont ensuite rendus visibles à d’autres participant.e.s et forment la base de l’interaction entre les utilisateur.trice.s. Ces derniers pouvant voter sur les commentaires des autres. Ceci crée un contexte favorisant l’émergence d’idées, d’échanges nuancés et de consensus. Les participant.e.s jouent donc un rôle actif plutôt que passif dans le processus de consultation ou de rétroaction.

Afin de développer une vision concertée et une culture de la donnée ensemble, il s’avère essentiel que ses partenaires, de même que toutes les organisations collectant ou produisant des données, y adhèrent aussi. On cite M. François William Croteau, responsable de la ville intelligente, des technologies de l’information, de l’innovation et de l’enseignement supérieur au sein du comité exécutif de la Ville de Montréal:

“Si Montréal veut démontrer qu’elle utilise de manière éthique et responsable les données numériques afin de faire face aux différentes crises, notamment climatique et sanitaire, être plus résiliente et continuer d’offrir de meilleurs services aux citoyens, cette Charte se présente comme un cadre de référence tout adapté. La Ville souhaite également que cette Charte trouve l’adhésion de ses nombreux partenaires et collaborateurs.”

Évidemment, toute personne désirant plus d’informations ou proposer des commentaires de fond peut le faire aussi via l’adresse: lab.innovation.urbaine@montreal.ca

Une vision pour l’avenir

De nombreux défis demeurent pour mettre en œuvre cette charte et ce n’est que le début des réflexions. Cependant, la volonté de la Ville à voir ces réflexions émerger, à mobiliser et être délibérées sur la place publique renforce ma confiance, à titre de citoyenne montréalaise, de vivre dans une ville où la qualité de vie intègre aussi la dimension numérique du droit citoyen et une vision du développement des technologies responsable afin de favoriser un avenir plus durable pour Montréal.

Véronique

Une mention spéciale à Jean-Sébastien Monteil copilote de cette charte ainsi qu’à Samuel Rancourt pour avoir opéré la magie de voir se concrétiser le document, à Stéphane Guidoin directeur du LIUM et l’équipe des données ouvertes pour les orientations et précieux conseils.

Lien vers la charte des données numériques de Montréal
Lien vers la charte

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