VA : Visions d’Autonomie

J’ai abordé dans mon dernier billet cinq apprentissages opérationnels acquis lors d’un projet d’expérimentation de véhicules autonomes (VA). Ces apprentissages nous ont éclairé sur une partie des aspects techniques auxquels on se doit d’être attentif sur le théâtre d’opérations des VA. Prenant un peu de hauteur, tout en me basant sur l’expérimentation ayant eu lieu cette année, je vous propose une réflexion sur la vision Montréalaise autour des véhicules autonomes. Cette réflexion supposera trois axes soient, la question de l’adaptation aux VA, la perspective collectiviste des VA et finalement une brève remise en question de la vision fantasmée des VA.

“Do or do not. There is no try!”

L’expérience d’une navette autonome évoluant dans l’espace public Montréalais nous a rappelé que les véhicules autonomes, en l’occurrence les navettes autonomes, demeurent des modes de transport en phase de développement. L’environnement urbain dans lequel elles ont eu à évoluer a présenté des défis d’ordre infrastructurel que les navettes ont selon les cas pu adresser ou pas. Par exemple, des travaux ont été réalisés par la ville pour colmater des nids-de-poule, les navettes ayant de la difficulté à les traverser du fait de leur châssis et de la disposition de leurs capteurs. Il s’agit d’un exemple d’ajustement auquel la ville a consenti le temps d’un projet pilote mais qui n’a pas vocation à devenir la norme. Il serait en effet difficile pour les municipalités d’investir massivement dans leurs infrastructures pour accommoder les besoins et limites techniques de chaque constructeur.

Imaginez la situation suivante:

Il faudrait élaguer les arbres à plusieurs mètres de hauteur le long des rues pour favoriser la réception de signaux GPS d’un premier constructeur (réduire le couvert végétal en ville n’est jamais une bonne idée), parallèlement ailleurs il faudrait continuellement refaire des kilomètres d’asphalte pour assurer une qualité de chaussée impeccable tout au long de l’année pour pallier les difficultés d’un deuxième constructeur et enfin installer de manière permanente des éléments fixes de grande taille à intervalle réguliers pour faciliter le repérage spatial pour les véhicules d’un troisième constructeur.

En somme, si la ville peut participer et investir dans la pérennisation de ses infrastructures afin de supporter l’arrivée des véhicules autonomes et connectés, elle n’a toutefois pas vocation à s’adapter à leurs capacités et limites (tout comme les villes ne le font déjà pas pour les véhicules existant actuellement). Il serait donc attendu que les constructeurs proposent des véhicules aptes à évoluer dans l’espace public urbain afin de pouvoir adéquatement remplir leur mission.

Échanger quatre trente sous pour une piastre?

Lors de l’inauguration officielle des navettes et de leur mise en service, Mr Arthur Nicolet, Président de Transdev Canada, s’exprimait en les termes suivants: “Si on ne fait que remplacer les véhicules actuels par des véhicules autonomes, on n’aura pas réglé le problème! Donc il faut tester des véhicules autonomes, mais des véhicules autonomes partagés qui vont permettre de résoudre les problèmes de congestion”.

Si l’automatisation de la conduite induit des avantages certains, il n’est pas pour autant la solution aux enjeux de la voiture traditionnelle. Loin s’en faut. La démocratisation des VA permettra d’accroître significativement le confort et l’expérience passager, la sécurité routière ainsi que l’optimisation des flux de transport mais il faut toutefois être prudent: optimiser les flux ne signifie pas pour autant désengorger le réseau routier urbain qui voit au contraire le nombre d’automobiles progresser depuis les quinze dernières années. De plus, le concept de demande induite tend faire augmenter le nombre de déplacements lorsque ces derniers sont plus aisés. Par ailleurs, l’auto-solo constitue une part importante de la congestion routière observable quotidiennement sur l’île de Montréal. Fidèle à son engagement en faveur du transport en commun, la Ville de Montréal ne considère pas que les VA fassent exception à cette vision. Il s’agit de la raison pour laquelle les projets pilotes et d’expérimentation portés par la ville privilégieront la dimension collective. Les multiples formes que peut prendre le transport autonome sont ainsi considérées. Qu’il s’agisse d’ ”autopartage autonome”, soit un véhicule autonome de type individuel partagé par plusieurs occupants ou utilisé à tour de rôle (idéalement les deux simultanément), ou de navettes autonomes, ces multiples formes de VA pourraient être considérées dans le cadre d’expérimentations futures.

L’objectif est de profiter du caractère innovant des VA pour proposer aux citoyens une nouvelle approche en mobilité. Cette approche se baserait sur la mutualisation du bien public jumelant ainsi l’innovation, l’autopartage, et la cohésion sociale afin de suggérer en définitive une mobilité autonome pour un transport urbain innovant, collectif, et équitable.

Des VA, oui mais pourquoi faire?

On peut être tenté de penser que le futur de la mobilité sera autonome ou ne sera pas. Il faut cependant être prudent. L’objectif n’est pas simplement de posséder une flotte de véhicules autonomes parce qu’il s’agit de la technologie dans l’air du temps et qu’ils constituent un gage de modernité (facteur “cool”). Le futur de la mobilité sera “intelligent” ou ne sera pas. Montréal dispose aujourd’hui d’un cocktail d’outils et de services de mobilité englobant quasiment tous les modes de transport adaptés à son environnement : Vélo en libre service (motorisé ou non motorisé), autos en libre service et autopartage, bus, métro, covoiturage, taxi, voitures de tourisme avec chauffeur (de type Uber), trottinettes classiques et électriques, et dans le cadre de projets pilotes des navettes autonomes. La juxtaposition de tous ces modes permet une offre de transport foisonnante aux citoyens, leur permettant de choisir celui qui convient le mieux à leurs circonstances. Posséder, implanter ou utiliser des VA n’est donc pas une finalité en soi surtout s’ils sont utilisés à mauvais escient. Imaginez l’“autosolo autonome” par exemple (!) qui incarnerait la continuité de l’automobile personnelle sans tirer de réel avantage du potentiel offert par l’autonomisation.

Si au fil des expérimentations à venir il est admis que les VA démontrent des capacités techniques et une pertinence suffisantes, ils trouveront assurément leur place dans le cocktail de mobilité urbaine. Rappelons que la finalité recherchée est de pouvoir offrir aux citoyens la possibilité de circuler dans leur ville ou dans leur quartier aisément, rapidement et surtout sécuritairement. Afin d’atteindre cet objectif global, la complémentarité des modes est de mise et les VA auront indubitablement leur rôle à jouer. Il nous appartient toutefois de le baliser en ne confondant pas les besoins, outils et solutions de mobilité.

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