Première rencontre avec Annie Mokto : “J’ai commencé à comprendre qui j’étais à l’âge de 22 ans”
Ce samedi 22 avril, l’équipe Noir comme neige a rencontré Annie Mokto, femme d’une trentaine d’années atteinte d’albinisme. Nous avons pu lui poser toutes les questions qui nous taraudent depuis le lancement de notre projet.
Annie travaille au service Finances de la ville de Bruxelles. Parallèlement à cela, elle suit un master en droit et un autre en sciences administratives. Elle est également responsable de l’association Écran Total qui anime diverses conférences sur l’albinisme. Annie est maman de deux enfants et considère sa famille comme une famille “arc-en-ciel”. Sa fille ainée est noire, son fils métis et son compagnon blanc.
L’histoire d’Annie, c’est celle d’une petite fille née au Cameroun avec une couleur de peau différente du reste de sa famille. Une peau blanche. Toute son enfance, elle a été victime d’injures et de moqueries sans jamais comprendre pourquoi. Pourquoi on la pinçait ? Pourquoi on lui arrachait les cheveux ? Pourquoi elle ne voyait rien au tableau ? Et tout ça, parce que personne, ni même ses parents, ne lui a jamais parlé de sa différence. Non pas par négligence, mais par manque d’informations, par un environnement rempli de non-dits et de tabous. La seule explication qu’elle se donnait était qu’elle avait fait quelque chose de mal sans savoir exactement quoi.
“Je pensais que tout le monde voyait comme moi”
Annie eut une scolarité difficile à cause de sa malvoyance que personne n’avait remarquée. Elle n’avait pas les outils adaptés pour apprendre. Conséquence : nul ne comprenait ses échecs scolaires.
C’est peu de temps après être arrivée en Belgique, en 2002, qu’elle fait la démarche de comprendre pourquoi elle était née différente, blanche, de parents noirs. Vingt-deux ans, c’est le temps qu’Annie a vécu sans savoir qui elle était. Grâce à des recherches, elle va enfin pouvoir mettre un mot sur sa condition. Annie est atteinte d’albinisme.
Cette découverte va lui permettre d’assumer son handicap. Elle va apprendre à lire et à écrire à la Ligue Braille avec des outils essentiels, notamment, une loupe. Ses progrès vont lui donner l’envie et la force d’écrire un livre retraçant son parcours. À l’aide de ce bouquin, elle va pouvoir éclairer ses parents sur l’albinisme.
Aujourd’hui, Annie prend sa revanche sur la vie, sur la seconde chance que celle-ci lui offre. Elle prend un plaisir fou à s’instruire et à, en quelque sorte, rattraper le temps perdu.
“Il y a un réel besoin de vulgariser l’albinisme […] la clé de tout, c’est la communication”
Communiquer sur l’albinisme, c’est ce qui, selon elle, permettra un jour aux personnes atteintes d’albinisme de s’émanciper et d’assumer pleinement leurs conditions.
Elle nous parle alors de l’importance d’avoir des “modèles”. Comme par exemple Peter Ash, président et fondateur de l’association Under The Same Sun, souffrant également d’albinisme, aujourd’hui devenu milliardaire. Pour elle, c’est montrer à tous que cet handicap n’est pas un frein à la réussite. Si une personne vivant avec l’albinisme voit un journaliste, un humoriste, un mannequin ou un président avec le même handicap, à ce moment-là, il pourra se dire que lui aussi a ses chances, qu’il n’est pas si différent.
Après avoir retracé avec elle son histoire, nous lui avons posé quelques questions sur des initiatives mises en place en Afrique pour aider les personnes atteintes d’albinisme.
Premièrement, nous lui demandons son avis sur les concours de beauté pour personnes atteintes d’albinisme organisés au Kenya. Sa réponse fut la suivante : “C’est une très bonne idée. Ça permet d’avoir confiance en soi. Ce genre d’événements sont vecteurs d’une multitude de messages”.
Ensuite, nous avons abordé la question des centres de protection pour enfants, dans lesquels ils sont cachés et protégés jusqu’à leurs dix-huit ans. Elle nous répond : “Si c’est provisoire, en attente d’une meilleure situation pour eux alors pourquoi pas […] Mais je ne pense pas que ça arrange les choses. Ça accentue les différences. Comment apprendre de l’autre s’ils sont confinés ?”
Tout au long de l’interview, Annie nous a montré son soutien à notre projet. Pour nous, cette rencontre fut un échange plus qu’enrichissant. Une des phrases qui nous a d’ailleurs marqué a été : “Je suis émue. Il y a 10 ans, on n’existait pour personne et aujourd’hui, les médias et vous, étudiants, vous voulez parler de nous…”.
Fiorine Guéry
Photos de Louis Van Ginneken