Descendre la Drôme par la Drôme

Sophie R
L'appel de la rivière
10 min readJun 13, 2017

Un jour je serai là…
En dessous de la ligne du train

En 1999 j’ai été propulsée dans les Hautes-Alpes par l’activité professionnelle de mon conjoint. A l’époque, j’étais rédactrice en chef adjointe d’un magazine national dont le siège était à Fontainebleau. Évidemment cette situation a bien compliqué ma vie qui est devenue rythmée par des aller-retour réguliers en Ile de France pour travailler avec mon équipe. A chaque retour dans les montagnes, j’étais amenée à prendre le train entre Valence et Briançon. Je profitais de ce trajet- après m’être écroulée de fatigue dans le TGV — pour travailler sur le magazine en cours. Il faut croire que je manquais de motivation ou bien que l’attirance de la rivière était trop forte ou le ciel d’un bleu vraiment pas ordinaire mais le fait est que je passais autant de temps à regarder par la fenêtre qu’à taper sur mon clavier d’ordinateur.

Je voyais en contrebas de drôles de petites coques jaunes bariolées se balader sur la rivière. Elle était d’une merveilleuse couleur bleu-vert avec des étirements transparents, des rives ourlées de galets blancs et cernées d’un épais taillis d’arbres de toutes les nuances de vert. Parfois je devinais un héron. Je levais les yeux pour suivre son envol et fixer les montagnes. De là j’apercevais des rapaces tournoyant et je retournais à mon écran tentant désespérément de travailler. Je me disais aussi comme lot de consolation : un jour je serai là, en bas, en dessous de la ligne du train, sur l’eau… Quelques années après, me répétant le même mantra consolateur et un poil réconfortant, j’ai checké un point GPS sur google map avec mon iphone pour repérer les lieux.
Et il m’a fallu 15 années pour réaliser ce rêve “être en dessous de la ligne du train” avec en plus la chance de le faire avec mon plus jeune fils, friand de bivouac.

Premier contact

Pour bien faire les choses, nous avons évidemment pris le train direction Valence-Paris. En revanche, nous nous sommes arrêtés à Die où Sylvie et Michel — nos premiers compagnons de rivière — nous ont convoyés jusqu’à Pont de quart, avec la simplicité des gens qui voyagent beaucoup et partagent volontiers.

Gouter l’eau par les pieds avant le départ !

Au bord de la Drôme, nous attendaient nos deux guides de rivières et céistes : Guillaume et Aurélien. Pique-nique dressé sur la coque retournée du bateau, on a pris connaissance de notre parcours, découvert le matériel, écouté les premiers conseils de maniement de pagaie, de bateau etc. Puis en route pour ce que j’imaginais une balade tranquille et contemplative à la découverte de l’eau, des oiseaux et des paysages.

Clairement cela n’a pas été tout à fait ce que j’avais longtemps fantasmé. A cet endroit la Drôme est une rivière typée montagne c’est à dire plutôt torrentielle, étroite, avec de petits rapides entre des blocs et quelques virages âpres à négocier pour une première fois. Pas facile de se comprendre avec mon équipier à l’arrière, il est vrai que le bruit de l’eau ne facilite pas l’écoute - a fortiori quand on se rencontre pour la première fois. On a fait bisous rivage, bisous caillou, bisous branches et racines un certain nombre de fois. Rétrospectivement j’ai tout apprécié : le casque, le gilet et la sollicitude de mes coéquipiers. De fait, j’avais eu envie d’une certaine osmose avec la Nature aquatique, pour le coup la Drôme se rappelait à moi de sa manière à elle. Ce n’était pas si déplaisant juste un peu dérangeant pour envisager la suite des jours et de mon rêve avec sérénité. Après une expulsion/baignade plus soutenue, Aurélien décide que je me suis assez baignée comme ça et je change de canoë. Michel retrouve son équipière de toujours, Sylvie. Et là tout roule.
Entre-temps la rivière s’est un peu élargie, je commence à comprendre le comportement du canoë et comment je dois manier la pagaie aussi. Je prends le temps de regarder les rives, le sourire de mon fils ravi et à l’aise dans le canoë d’à coté et me dire détendue : “ça y est je suis enfin en dessous du train…”

A terre chez les castors !

On approche de notre zone de bivouac à la recherche du lieu idéal. Après quelques prospections, notre choix se porte sur un beau et large banc de galets pour les repas feux de camps et une petite rive plate pour les tentes. Le tout avec vue sur le massif du Glandasse et en face un véritable terrain de jeu pour castors surbookés, agrémentés de moult toboggans en terre, de saules taillés de type dentdecastor jardinagestyle et de tas de jolies branches taillées en biseau, redoutables pour nos jambes.

Au paradis des castors !

Derrière nous, un petit surplomb au dessus d’un bras de rivière calme et profond pour la baignade. Des vairons et des chevesnes partagent les lieux avec les castors. Du côté plumage, les chevaliers guignettes et les bergeronnettes nous gratifient de leur hochement de queue permanent à la fois vif et gracieux. La lumière est incroyable et l’apaisement est total. Je suis impressionnée par tant de choses nouvelles que je ne comprends pas forcément et à la fois légèrement sonnée d’accomplir un rêve de longue date avec mon fiston.

A la nuit tombée, une rencontre marquante se produit en retournant vers la tente, un castor surpris plonge dans un grand plouf vers le bras d’eau tranquille et nous donne à voir le spectacle de sa nage vue du dessus. Une drôle de marmotte aquatique tout de même, au look pataud mais avec la grâce d’une sirène…

Le pagayer-rêvasser

Au petit matin la lumière est toute autre, la rivière aussi. Une certaine solennité règne, peu de paroles s’échangent, le nécessaire pour se comprendre, on monte dans le canoë pour une navigation tranquille. Je me laisse diriger et je dégrossis la technique. C’est plutôt agréable. Je commence à apprécier les vaguelettes, les virages (pardon les incidences !) au ras des rives, sentir le courant contre la coque, comprendre la rivière, faire des bacs, des appels, des circulaires etc. La pagaie a une nette tendance à devenir le prolongement naturel de mon corps. Évidemment le naturel revient au galop. Je me laisse distraire par les rives, la beauté prenante de la rivière qui s’est encore élargie avec ses tresses et ses méandres. Les multiples ruisseaux qui l’alimentent. Des hérons nous saluent tout le jour en se laissant approcher puis en décollant avec lourdeur mais maîtrise tels des avions cargo à plumes. On aperçoit une bergeronnette des ruisseaux avec son ventre jaune citron, original !

J’en oublie parfois qu’étant devant je suis sensée annoncer les blocs-hippopotames qui avec une certaine traîtrise surgissent parfois devant la coque. Je lance régulièrement des : « Rassure moi tu l’as vu ce caillou ? Bien trop tard... Apparemment mon équipier guide - Aurélien - n’a pas l’air de m’en vouloir à mort et donc je continue à rêvasser et pagayer.
Guillaume, lui nous parle régulièrement : des montagnes autour, Falaise de Glandasse avec le Pié Ferré qui du haut de ses 2041 mètres culmine la Drôme, les Trois becs du synclinal du Saoù, du way of life des castors, des serpents dont la superbe couleuvre vipérine et de sa Drôme natale et favorite.

Guillaume by Aurélien Rateau

Cuisinier bivouac hors-pair, on ne mangera pas des conserves à tous les repas (et même pas du tout). Du frais, du bio, des spécialités locales, du vin, des bananes chocolat, et même des chapatis au petit déjeuner … Je ne leur ai pas dit mais maintenant ils le sauront : “j’aurais préféré gouter les cailloux de la Drôme que de faire un baptême au lyophilisé !”

ah les chapatis sur la pierre au pti dej…

Compagnons d’eau

La navigation est rythmée par quelques stops. On s’arrête pour aller voir les passages délicats qui requièrent de se décider pour telle ou telle voie. N’ayant aucune compétence en la matière et pouvant déléguer totalement les choix à nos guides, c’est assez chouette comme sensation. On participe, on navigue ensemble mais avec ce petit sentiment rassurant de filet de sécurité pour apprécier vraiment la rivière et non stresser pour le rapide suivant. Michel et Sylvie sont déjà venus et nous font part de leurs histoires de navigation et de leurs nombreux voyages bivouacs en Europe. On se laisse volontiers porter par leurs récits durant les périodes à terre.
Au gré de la descente nous faisons d’autres rencontres — du troisième type pour le coup — avec d’autres personnes sur canoës qui se font une descente loisir et franchissent les rapides dans le désordre le plus total. La chance sourit aux audacieux ! Ils ne font pas mentir le proverbe et tous ne finissent pas à l’eau. Avec nos canoës remplis et rigides, nous travaillons beaucoup plus l’idée de ne pas se remplir d’eau et devoir écoper régulièrement. Amusant de côtoyer les deux manières d’envisager la rivière. Si j’avais encore un doute, c’est clair que maintenant je sais que ce qui me plaît et ce ne sont pas les sauts de popcorn dans les rapides !

L’arrivée sur Pontaix via la rivière coupe le souffle. Le village avec ses hautes maison en pierre et son clocher occupe tout l’espace au dessus de la rivière. Une vue surprenante et inédite pour moi : du fil de l’eau vers le ciel en passant par les maisons. La rivière contourne le village, ses plages naturelles et les gens qui prennent le frais au bord de l’eau pour ensuite poursuivre vers Saillans, notre second lieu de bivouac.

Explo pêche

Pour ce second soir, on choisit une rive différente du premier bivouac. Pas de bras mort pour la baignade mais jacuzzi-nature, les mains accrochées à un bloc et le corps brassé par le courant comme de curieux poissons ventouses à quatre pattes.

On sort les cannes et qui dit premiers essais de pêche, dit recherche d’appâts naturels en fouinant entre les galets et le sable. Aurélien — chanceux — dégotte une écrevisse. Un peu maigre pour la bisque du soir, elle rejoindra ses copines dans l’eau. On écarte les nombreuses larves de libellule et d’éphémère trop grosses pour l’hameçon. Je fais des essais sans conviction avec une gammare (petite crevette d’eau douce) et une perle (larve de plécoptère). Notre choix s’arrête finalement sur des porte-bois (larves de trichoptères) que l’on décortique avec application de leur gangue. Ici en eau vive, leur fourreau — habituellement recouvert de brindilles en eau calme — s’habille de grains de sable de tout calibre. Il paraît même qu’en aquarium la larve utilise tout ce qu’elle a à sa portée : grains multicolores, petites perles etc. Cet appât de choix bien connu des pêcheurs passionnés n’attirera que de petits chevesnes et un spirlin (sorte de petite ablette) égaré. Le repas du soir n’a plus qu’à se remettre entre les mains de Guillaume.

A la lueur du feu va commencer une de ses conversations que seuls les gens qui voyagent et partent à la rencontre des autres ont la chance de pouvoir savourer. Avec Michel et Sylvie - bien que 20 ans et toute une géographie distante nous séparent - on se découvre un passé commun d’ancêtres en Afrique coloniale et surtout d’amis communs dans la moto. Ils nous racontent leur passé de motards passionnés, sidecaristes en famille, le bivouac et l’itinérance au coeur d’une vie. Chapeau bas !

Pont de Cret (eh eh moi je l’ai passé à pieds)

Notre dernier jour de navigation, de Saillans à Cret sera placé sous le signe de la convivialité. Mon fil et moi nous essayons au rôle de pilote à l’arrière du canoë. La rivière plus large autorise l’apprentissage et les erreurs de gouvernail, sous l’œil et le coup de pagaie qui sauvent de nos guides. On se double, on se fait des check pagaie, on frissonne devant quelques passages délicats, sous les ponts que seuls les plus téméraires oseront. On se filme pour capturer et conserver quelques moments de ces trois jours intenses et hors du temps.

La rivière toujours aussi belle devient plus habitée comme un retour à la civilisation, avec des campings à proximité et des habitations. Les abords changent. De grandes plaques rocheuses s’étirent des rives vers l’eau. Des mouettes se mélangent aux hérons, aigrette, gravelots et pics. On sent la ville arriver.

Dernier pique-nique avec les produits drômois du marché, hissage des canoës sur le véhicule où au passage, Guillaume déploie ses talents d’acteur pour incarner tour à tour : luky luke sur un insolite jolly jumper caréné de rouge puis Di caprio dans une reprise drômoise inoubliable d’into the wild.

Puis grand retour à la vie terrestre sur la ligne du train…

Merci photoshop !

Mille mercis à Destination rivières l’association d’itinérance en canoë qui m’a permis de réaliser ce rêve et mes premiers coups de pagaie.

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