La Spey en Écosse

Une rivière nommée désir (jours 1–2 et 3)

Sophie R
L'appel de la rivière
13 min readAug 16, 2019

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Au premier jour de navigation, je me refais le film de ce qui m’a amené ici…

18 mois que je rêve de cette rivière depuis ma lecture du topo guide de Nancy Chambers River Spey canoe guide. Un an que ce désir est devenu réalité quand mes amis de Destination rivières l’ont ajoutée à ses voyages. Six mois que je suis addict, en films et en livres, de la saga écossaise Outlander. Un mois que la rivière occupe mes jours et mes nuits jusqu’à m’en faire oublier la réalité, et me plonger dans le voyage avant le voyage. C’est dire toute l’importance que cette évasion écossaise et la Spey représentent pour moi.

Un avant-goût d’Écosse

Pour mon plus grand bonheur, je retrouve des compagnons de navigation de la Drôme, dès le pied posé sur le sol écossais. Sylvie et Michel m’embarquent dans leur camion, direction un premier bivouac sauvage, en quelque sorte, un apéritif avant la Spey. Nous ne nous sommes pas vus depuis deux ans mais ce sont comme des amis d’enfance que l’on retrouve. Dès les premières minutes, l’alchimie opère. On s’est quitté la veille n’est-ce pas ?
Nous traçons au Nord pour nous rapprocher de la Spey. Le paysage défile sous mes yeux sans émotion, ni émerveillement. C’est joli mais je me sens en Bretagne, une sorte de prolongement de mon séjour dans le Morbihan, pas de dépaysement à l’horizon. Mon rdv avec l’Écosse ne serait- il que fantasmé par mon puissant désir d’évasion ?
Sur la route, alléchée par les lignes lues dans mon guide: « la plus grande lande écossaise, la magie des loch …. Rannoch station, gare du bout du monde où la civilisation n’est plus qu’un souvenir… » nous décidons de bifurquer de Pitlochry, vers les fameux loch Tummel puis Rannoch. L’accès au tour des lacs se fait par une petite route étroite à une voie, dotée des fameuses « passing places » pour permettre la double circulation. Dans les prés à l’herbe vert fluo, les moutons ont été rasés de frais et n’ont pas la toison laineuse que j’avais imaginée. Nous croisons des lodges, des villages vacances très british avec du monde, bien loin du voyage et de l’ambiance que j’espère quand… nous arrivons à la jonction des deux lacs. L’horizon est baigné par cette lumière si caractéristique de l’Écosse qui donne au paysage cette spirit touch inimitable.

Et quand un rayon de soleil perce les nuages du ciel écossais et se reflète sur l’eau, c’est un enchantement !

Je me détends et commence à comprendre qu’il me faut être patiente et oublier la rythmique du “tout, tout de suite et très fort” qui, le cas contraire, risque bien de m’empoisonner mon voyage.

Les arbres sont magnifiques, immenses, avec au pied des fougères exubérantes, de roses fleurs d’épilobes et des sous-bois impénétrables qui fleurent bon le mystère.

Nous sommes en plein mois d’août et chaque espace sympa pour bivouaquer au bord de l’eau est occupé. Nous croisons même un nationaliste écossais qui s’amuse à rouler en musique, la voiture recouverte du drapeau national ! Il nous faudra aller jusqu’à l’autre rive, pour trouver ce que l’on recherche : la petite plage sauvage qui (je ne le sais pas encore) sera ma plus belle nuit en bivouac.

Tente montée, le cœur léger, dans du sable gros grain et des galets ocre, je file nager dans l’eau teintée mais transparente du Loch Rannoch, vite rejointe par Sylvie. Un vrai bonheur où tout s’efface pour ne laisser passer que l’essentiel : j’y suis et demain ce sera la Spey !

Je m’endors, tente ouverte sous un soleil (quasi de minuit) qui n’en finit pas de se coucher. Le vent se lève et fait claquer la porte défaite comme la voile d’un bateau. Le bruit grandissant des vagues me rappelle que je ne suis qu’à 3 mètres de l’eau et que franchement ce n’est pas raisonnable mais l’engourdissement, lié à la félicité de l’instant me plonge dans le sommeil. Je rêve de navire, de piraterie et de grandes traversées… A 4 h, je suis réveillée par le soleil qui rosit au loin. Et ouf le vent s’est calmé, l’eau n’a pas monté.

La pluie commence à tomber et je me rendors avec l’idée de : “ça va être compliqué pour démonter demain…”

A 8 h, j’inaugure ma cape de pluie et le casse-tête de mon premier pliage de tente de l’intérieur, sur les bons conseils de mes amis afin de tenter de garder quelques centimètres carrés de toile de tente au sec. Eh oui ce n’est que la première nuit dehors ! Je me suis préparée à la pluie constante même si l’idée de dormir mouillée ne me fait évidemment pas vibrer.

Je fais enfin connaissance avec l’Écosse : la fameuse gare “fin de la civilisation” de Rannoch qui me donne envie de revenir en train et à vélo, la lande comme dans la série Outlander où je ne serai pas étonnée de voir apparaître Claire et Jamie Fraser, un improbable château aperçu entre les gouttes, des grouses au bord des chemins, des cerfs, les petites maisons des Highlands, sous finalement leur jour le plus favorable, c’est-à-dire mouillées.

Ici la pluie enchante tout : les nuances de lumière, les grisés des ciels, les camaïeux de vert, l’estompe entre le ciel et la terre, le mouillé de la pierre. Elle lave l’âme mieux que le soleil. Il faut faire avec et surtout pas contre.

La gare perdue où j’arriverai l’année prochaine… directement du Caledonian Sleeper, le train de nuit qui part de Londres…
Le tea room de la gare de Rannoch station pour un breakfast à l’écossaise ou un tea time en sortant du train…
Au détour de la forêt
Carie et ses jolies petites maisons en pierre.
Son salon de thé, le “Riverbank café” où je n’ai pris que des photos hélas… Une offre d’emploi était à pourvoir le 4août, dans une autre vie j’aurais sauté sur l’occase…

Juste après Carie, pas loin de la Tay forrest, je reconnais les lieux qui ont servi au décor du fameux cercle de pierre de Craig na dunh permettant de passer d’une époque à l’autre (# Outlander addict). De fait, je passe, enfin, moi aussi de l’autre coté, en Écosse et pour de vrai !

Pause pique-nique au cœur de la la Rannoch moor (*lande) entre deux ondées.
No comment …Ne pas oublier de prendre mon permis de pêche l’année prochaine. La brown trout est tapie dans les contre courants, je sais je l’ai vue et elle m’attend !

Have a wonderful trip!

Sur la route entre Newtonmore et Kinkraig, la Spey fait joujou avec nous. Nous l’apercevons de temps à autre, jusqu’à l’arrivée, et sa vue époustouflante sur le pont qui surplombe le loch Insh - point de départ de notre canoë trip vers Spey bay et la mer du Nord.

La Spey devient un lac et se révèle un point de rencontre entre la terre et le ciel (#spey spirit). Eh eh, au départ je n’avais même pas vu que ma photo était à l’envers ! En face l’ile du nid des balbuzards pêcheurs.

Nous tournicotons autour du lac pour trouver la chapelle et le cimetière où nous avons rdv avec le reste de l’équipe. Nous les trouvons, tapis sous les grands arbres, à quelques dizaines de mètres de la rive. Le tarp (*toile tendue pour s’abriter) est posé. Mathieu s’affaire a préparer les scottish eggs.

Je retrouve avec un plaisir immense mes compagnons de navigation de l’année dernière sur le Tagliamento. Je profite d’un rayon de soleil pour planter ma tente qui séchera bien vite (yessss encore un jour « No tente humide » de gagné). Puis je m’éclipse pour aller faire un tour et contempler le lac. Sur le pont, un trio de jeunes Écossais m’abordent, intrigués par notre campement plus bas. Je leur explique notre voyage en canoë d’ici, à la mer. Ils sont émerveillés et veulent absolument que je leur montre tout le périple, sur la carte de leur smartphone. Ils me redemandent si ce n’est pas trop dur mais « ce doit être “amazing” de faire ça sous tente et en itinérance ». Eux, reviennent des Highlands de l’Ouest, ils me montrent leur piqûres de midges en rigolant. Je leur réponds que j’ai ce qu’il faut : crème et filet pour le visage mais que jusque-là je n’en ai pas vus. Ce sera comme ça à chaque fois que je rencontrerai des autochtones. « You are not afraid about midges ! » Ce n’est pas du monstre du Loch Ness qu’ils me parleront mais de ces affreux petits pucerons suceurs de sang qui paraît-il sont comme une des sept plaies de l’Égypte ! « Have a wonderful trip » me disent-ils, tout en m’embrassant chaleureusement, avant de rejoindre leur voiture.

La pluie recommence à tomber alors que nous sommes serrés sous le tarp pour déguster le repas du soir. On me fait remarquer la stèle en face de ma tente, nichée sous les fougères. Elle complète à merveille les tombes au-dessus de notre camp. J’aime les cimetières anglais. Ils jouent l’apaisement avec leur pelouse verte, leurs simples pierres tombales grises, sans ostentation et leurs petits cairns. On peut y entrer sans plus de cérémonial. Ils me rappellent les cimetières musulmans de mon enfance, en Irak où les familles n’hésitent pas à aller, y pique-niquer, sans aucune superstition mal placée.

Au petit matin, je ne sais pas s’il a plu car les arbres ont ruisselé toute la nuit sur ma tente, avec un ploc-ploc soporifique. Je me suis réveillée au son des bébés balbuzards pêcheurs qui attendent leur petit-déjeuner. Habillée en hâte, je file en face de l’île, pieds nus dans la boue de la roselière, je les observe avec délectation.

Les parents sont perchés sur l’arbre à coté, de frétillants poissons argentés entre leur serres. Ils surveillent et attaquent sans relâche, les corbeaux qui lorgnent sur leurs petits. De petits insectes en forme de bâtonnets dansent sur l’eau autour de mes pieds et des scirpes (*plante palustre), suivant une chorégraphie paisible. Je mesure ma chance d’être là, sereine, à admirer le spectacle de la nature.

Le soleil est au rdv. Il se lève au dessus du vénérable pin calédonien et pare la stèle sous les fougères d’une gloire mystique (#scottish spirit).

Nous goûtons aux bonheurs simples : faire sécher nos tentes au soleil, chacun à sa place pour préparer les bidons étanches avec ses petites affaires, l’odeur des pâtes qui cuisent pour la salade de ce midi, la bonne humeur à l’idée de partir bientôt.

Nos bateaux arrivent. Comme j’ai toujours un petit stress avant d’embarquer et que j’ai étudié le parcours jusqu’à Spey bay (fatal error !) je demande à Scott, notre loueur : comment est la « washing machine » du nom du fameux rapide du quatrième jour. Il me dit : « middle level, it will be very funny for you » en rigolant et en ajoutant un : « be carefull of the midges ». Peuh ! Décidément ils ont un problème avec les moustiques, ces Écossais !

Je monte dans mon canoë où je fais équipe avec Nathalie. Nous sommes un girly boat, le seul. Et forcement, ceux qui me connaissent doivent bien se douter que je n’en suis pas peu fière, même si je suis consciente que l’on part avec un gros désavantage musculaire !

Nous convoyons la plante-mascotte (cf le Tagliamento où l’on a transporté le basilic pour le pesto, des montagnes à la mer). Cette année c’est une english mint pour le taboulé. Nous sommes le canoë des belles plantes, mouarffff !

Navigation paisible avec de petits rapides gentillets. J’imagine que la Loire est comme ça. Il faut donc pagayer pour avancer, ça a des airs de “reviens-y de la dernière partie du Tagliamento” où mes bras se rappellent encore les 30 km d’eau plate (clin d’oeil à Didier). C’est une drôle de rivière, la Spey, elle se réveille à l’approche de la mer, nourrie par les rivières affluentes qui vont lui donner du jus et donc du courant, et donc des rapides, et donc de la peur à Sophie. Alors je savoure finalement la chaleur de l’effort musculaire qui me ragaillardit en me disant que ça ne va peut-être pas durer.

Nous arrivons à Aviemore et plantons les tentes sous les arbres, à coté d’un pont piétonnier, en face de la ville. De fait, ce soir on ira au pub. Cool ! J’achèterai un tartan couleur framboise dans une boutique old fashioned où deux délicieuses lady, très british, proposent un choix incalculable de bidules aux motifs écossais. Nous dînons, entre autres, des girolles ramassées à Kinkraig et convoyées dans le canoë de Mathieu et des ptigars.
Aviemore me fait penser à Briançon, toute proportions gardées, véritable camp de base de la montagne, les magasins d’outdoor sont à tous les coins de rue et la ville grouille de sportifs, de vttistes et de Français !

Nous repartons sur la belle rivière sombre, avec de grands tronçons calmes où l’on se fait les bras, et de petits rapides qui nous donnent, de temps à autre, de bienvenues poussées.

Les nids des Sand martins ou Hirondelles des rivages qui nichent dans le sable des falaises. Elles filent en rase motte sur l’eau, à coté de nous et gobent les insectes. De temps à autre, un poisson attiré par la même manne se lance dans un petit saut où les paris entre-nous vont bon train : saumon ? Truite ?

On entend au loin le train à vapeur Strathspey steam railway qui a servi au tournage d’Harry Potter. Comme des gosses, nous sommes tous debouts sur nos canoës pour tenter de l’apercevoir. Nous n’en voyons et n’en sentons que la vapeur. On s’amuse à passer sous les arches des piliers d’un pont, sans tablier. Nous, on se loupe la première fois, du coup on refera les trois pour sortir bravaches, devant le regard hilare des autres. Bref on fait du tourisme !

Pins calédoniens, mélèzes, bouleaux… les arbres sont extraordinaires par leur format et leur densité, à droite la chaîne des Cairngorms trace une ligne douce et mamelonnée dans de jolies nuances de gris et d’indigo. Pour moi, ce sont des collines mais ici ce sont les montagnes du Cairngorm park qui culminent à 1000 m ! Oh my God quelle altitude !

Passé Boat of garten (surnommé Osprey village, du nom des balbuzards pêcheurs, ces magnifiques rapaces qui arrivent chaque printemps d’Afrique), nous cherchons un lieu de bivouac. Nous portons notre choix sur la rive opposée à celle où la rivière Dulnain se jette, ce qui va avoir une conséquence capitale pour la suite. Pour l’heure, confiants, nous installons nos tentes, en file indienne, le long des aulnes sur la digue.

Ce jour-là, les ciels et la lumière m’ont plongée dans un tableau de Courbet.

Au loin, une hutte de pêcheur succède à une petite langue de sable au milieu de la rivière où les huîtriers-pies (*oiseaux) baguenaudent. Nous y apercevons un chevalier aboyeur (*oiseau) ainsi qu’un héron qui se fait asticoter par les premières mouettes. Il se pose juste devant moi, en face pendant que j’écris et je jurerai qu’il me surveille. D’ailleurs son oeil rond me rappelle quelqu’un !

Je décide de nager pour gagner la rive en face et le tronc échoué. C’est surprenant tantôt je n’ai pas pied, tantôt il y a 30 cm de fond sableux, et je me lève pour marcher. Les élodées, les myriophylles ainsi que les plantains d’eau (*plantes aquatiques) prolifèrent et témoignent de l’excellente qualité biologique de cette rivière, pourtant sombre et ambrée. Thé ou whisky selon votre souhait du moment ? De toute façon, je vous garantie que filtrée, elle a un goût classique qui ne tient, ni de l’un, ni de l’autre !

Nous faisons notre premier feu de camp. C’est l’occasion de rappeler que l’Écosse a inscrit dans sa loi, le principe du camping sauvage légalisé, à condition de ne laisser aucun déchet. Par exemple, le foyer prend place dans un trou et ensuite, on le recouvrira de sa motte. Évidemment, on brûle ou on se passe de papier WC ! De fait, ici, les mots “nature préservée” prennent vraiment toute leur signification. Les animaux sauvages, et notamment les oiseaux, sont présents tout autour de nous et en quantité. Aucun déchet n’enlaidit les rives et la rivière. Les lochs sont interdits aux bateaux à moteur. Chez moi - et pourtant je vis dans le Parc National Des Écrins - on est loin d’atteindre ce niveau de respect.

Arnaud, infatigable pêcheur, traque la truite … ou le saumon avec patience.

Toute la nuit, il a draché fort, fort, fort. On se réveille très tôt car nous avons prévu de visiter une distillerie de whisky en fin d’après-midi. Au moment de monter dans les canoës, le loueur nous appelle et nous explique qu’il ne faut pas embarquer. La rivière est en crue, une grosse vague va arriver d’Aviemore. Nous voyons la Spey monter à vue d’œil, charrier des palettes, des bouées, des troncs, au début morts, puis après des arbres bien verts dessouchés.

On voit la différence de niveau avec la photo du dessus et ce n’est que le début ! Dans une heure, le petit chardon devant qui me sert de repère, sera sous l’eau.

On se gèle, en perdition, sous le tarp tout en regardant le spectacle de la rivière charriant les déchets gagnés sur la terre. La Dulnain, un peu plus haut, crache un flot marron ininterrompu. Heureusement que nous n’avons pas bivouaqué de son coté ! Chacun y va de son pronostic. A midi, embarquerons-nous ou pas ? Et de penser intérieurement : sans cette journée de navigation, nous n’arriverons jamais à Spey bay… Moi, je songe au whisky que nous ne boirons pas alors que je commence à avoir vraiment très froid… Je pique quelques feuilles de menthe pour me faire un thé marocain bien sucré. Faute de grives, on mange des merles :-)

(photos de Sophie et de la famille Tajan, mille mercis à eux !)

Lire la suite de cette aventure écossaise… La rivière Spey (jours 4–5 et 6) — Irons-nous à Spey bay ?

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