Le Tagliamento

Dalle Montagne al mare avec une pagaie (jours 1,2 et 3)

Sophie R
L'appel de la rivière
7 min readMay 7, 2018

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Le bleu Tagliamento

Le fiume Tagliamento — comme disent les Italiens — prend sa source dans les montagnes du Nord de l’Italie, à proximité de l’Autriche, et descend jusqu’à la mer Adriatique, en face de la Slovénie. Cette incroyable rivière à tresses sculpte et modèle, sans entrave, une diversité surprenante de paysages sur son trajet. Et chaque année, inlassablement avec puissance et caractère, elle y revient, se transformant sans cesse. Un vivant témoignage de ce qu’est une rivière sauvage encore libre* en Europe et que j’ai terriblement hâte de découvrir, sur un canoë, évidemment.

Après 8 heures d’autostrada, de poids lourds et de zones industrielles qui défilent — affligeant spectacle de l’Italie du Nord que les voyageurs européens en transit connaissent bien — l’envie de rivière devient vraiment une urgence. A ma grande déception, même à l’approche du lieu de bivouac, le Tagliamento se fait discret à la vue. C’est tout juste si j’aperçois de la route — en me tordant le cou — de petits tronçons bleus insignifiants. En revanche, dès le pied posé à terre, son impressionnant grondement se fait entendre avant même de le voir. Cet hiver, la neige est tombée en abondance comme dans nos montagnes haut-alpines, et en ce mois d’avril, la fonte a largement commencé. La fameuse rivière en tresses que je suis venue rencontrer n’est pour l’instant qu’un bras énorme, tranchant les berges, transportant des arbres morts et rebondissant contre quelques rares blocs-hippopotames.

Rencontre en demi-teinte

Nous posons les tentes et les canoës dans une clairière boisée en amont de Gemona del friuli, à quelques mètres au-dessus de la rivière. Première nuit agitée au diapason du Tagliamento. J’y entendrai deux grondements aux tonalités bien distinctes, à chacun de mes nombreux réveils sans pour autant savoir pourquoi…

Premier matin sous le signe du frisson

Levée naturellement assez tôt, je prends le temps d’une balade alors que la plupart de mes futurs compagnons de canoë sont encore dans leur duvet. Le soleil se lève et éclabousse de lumière un petit village au pied de la montagne, les bancs de galets dessinent la rivière, de petites colonies de poissons fourrages se reposent dans un bras mort, l’eau est fraîche, laiteuse et de ce bleu tagliamento unique. Aucune petite bête aquatique ne me montre son nez sous les galets que je retourne mais deux canards harle bièvre s’envolent.

Un instant suspendu et magique avant que la petite phrase que je connais bien — celle que j’appelle la ritournelle de la trouille — ne refasse son apparition car reconnaissons le humblement, je psychote dur depuis la veille. Que d’eau, que d’eau ! Qu’est-ce que je viens faire dans cette galère ? Ça doit bien filer à 50 m3 seconde tout ça, bon heureusement la rivière est large, pas vraiment de gros blocs et de virages traîtres comme dans mon vieux souvenir sur la Drôme… Mais avec qui vais-je pagayer ? J’espère que lui au moins est aguerri …
Bien sûr, à chaque voyage, c’est toujours la même chose. De chez moi, l’envie de partir pagayer ou barouler au loin est plus forte que la peur de l’inconnu mais au bord de la rive, loin du bureau, je me demande si l’homo modernicus que je suis, n’est finalement pas mieux dans son petit confort aux bras mous et au stress horaire !

La grande bleue

Pour cette navigation de 5 jours et 6 bivouacs, nous serons onze mordus de canoë et de nature sauvage avec cinq vaillants petits bateaux qui supporteront nos vivres et nos petites affaires, au rythme de nos coups de pagaie et de nos humeurs souvent bavardes. Enfin, soyons juste, je ne parle que de l’ambiance dans mon canoë car la rivière, avec son propre bruit, nous isole les uns des autres, créant tout autant de petits cocons avec chacun son caractère…

Les équipages se forment avec bonheur et après un petit saut dans le canoë pour cause de berge vraiment pentue, le bateau file, se riant de nos coups de pagaie car sans eux, bien évidemment ça avance quand même. C’est clair, il faut faire avec le Tagliamento et pas contre.

Éviter les troncs d’arbres de préférence…

Mon compagnon de canoë, à l’arrière, gère la route avec finesse, à l’avant je n’ai qu’à pagayer et me laisser porter par la puissance de l’eau. La sensation est vraiment agréable et the famous ritournelle s’envole vite.
Rapidement, la caravane de bateaux s’étire et les montagnes autour filent. Elles ressemblent tellement aux nôtres qu’avec mon fiston, nous nous amusons durant la pause de midi à les renommer à la mode haut-alpine.

Nous sommes tous petits à l’approche de la prise d’eau de Ledra qu’il faut éviter sous peine d’un fastidieux portage. Nous irons d’ailleurs la voir de plus près mais à pied naturellement.

Mes souvenirs marquants de ce premier jour de navigation sont pèle-mêle l’ivresse du bleu Tagliamento, un vol de très nombreux rapaces — certainement des vautours-fauves — entre deux sommets et surtout l’apparition des premières tresses.

Un petit aperçu du dédale labyrinthique que fabrique cette rivière qui n’en fait qu’à sa tête. “Anne ma soeur Anne quelle route choisis-tu ?” La plus large, celle avec plus de fond, la plus rapide ou la plus bleue…

La rivière s’étale sur la plaine d’Osoppo, perdant de la puissance au cœur de son lit mais formant une multitude de bras pour rendre cette impression unique de lost in the river. Une des caractéristiques étonnantes de cette rivière qui m’a littéralement conquise dès ce premier jour.

Lost in the river
Ce pont nous, nous le passerons dans le canoë, mon équipier ayant choisi une meilleure route que les autres. Je ne me rappelle plus sous quelle pile mais de toute façon quand vous y serez tout aura changé ;-)
A l’assaut du pont ! (photo by Gregory Douillard)

Sur la route de Pinzano

Nous bivouaquons dans l’herbe et à l’ombre de la forêt riveraine (ripisylve de saules, peupliers, frênes, aulnes et pins noirs), après le passage du pont où finalement le Tagliamento n’a rien perdu de sa superbe, son grondement couvrant largement le bruit de la circulation. Nous installons la tente, largement tournée vers la rivière pour ne pas en perdre une miette. Ce qui va devenir une vraie habitude. Première baignade du périple dans une cuvette au bleu laiteux que même Cléopâtre nous aurait envié si elle l’avait su ! Au petit matin, je découvre que la rivière est encore plus belle lorsque les premiers rayons du soleil filtrent à travers les nuages.

Sauvage et fière de le montrer !

Tout n’est que grandes flaques-miroirs, petites îles boisées, bancs de sable, arbres flottés échoués, ruissellement de galets bien ordonnés, petites forêts… Même le tractopelle posé là pour se servir directement en graviers devient insignifiant dans le paysage. La rivière est à la fois maîtresse et architecte !

Après le pliage des affaires et la prise de tête quotidienne pour tout rentrer dans ce diable de sac étanche — qui chose curieuse semblera rétrécir à chaque lever de camp — nous embarquons en direction de Pinzano.

Vidage nécessaire après naufrage

Un traître petit courant portefeuille aura raison de la stabilité d’un des équipages et c’est avec un ralenti, digne d’un film de cinéma, que le canoë se retourne. “Montrer son cul au courant, il faut” disait-il très élégamment mais quand le courant est des deux côtés et que dans le bateau, il y a deux personnes ça en fait des configurations de “montrages de fesses” pour trouver la bonne gîte ! Bref les sacs restent dans le bateau retourné mais les céistes sont à la baille pour quelques minutes. Seul un bidon d’eau continuera sa route solitaire vers la mer. Malgré quelques fausses alertes et diverses opérations de repêchages de déchets, on ne le retrouvera pas. De fait, au bivouac suivant, certaines devront se sacrifier et boire du rouge. Quelle avanie !

Parking bucolique pour le pique-nique du midi

Nous pagayons et choisissons notre route sous les yeux des oiseaux : rare héron, petits gravelot, chevalier, bergeronnette, et toujours les canards harle bièvre qui nous quitterons dans quelques jours à l’approche de la mer.

La rivière se resserre à hauteur des gorges et du pont de Pinzano. Petite halte pour prendre de la hauteur sur cette fameuse rivière grâce au sentier panoramique qui, en plus, nous raconte la grande guerre autour de vestiges historiques. A Destination rivière, ils ne rigolent pas avec la culture, ce n’était pas marqué dans le programme mais c’est la petite touche en plus qui fait la différence. De fait, il faut le reconnaître, se dégourdir les jambes quand on reste à genou dans un canoë devient vite une expérience très plaisante.

Vue du pont : Le Tagliamento que nous venons de descendre
Vue du pont : Le Tagliamento que nous allons descendre, nos petits bateaux sont gentiment garés à gauche sur la plage

Fin de la partie 1, la suite se passe là-bas Dans l’immensité de la plaine du Tagliamento jours 4 et 5

*Nos politiques feraient bien d’aller tous faire un tour sur le Tagliamento avant de se décider pour de pharaoniques programmes d’aménagements car comme le dit si bien la firme Patagonia, tous les barrages sont sales !

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