Alice Antheaume : “Jamais les médias n’ont fait face à autant de producteurs de contenus”

Christophe Greuet
LaPressTech
Published in
4 min readSep 26, 2016
Alice Antheaume. (Photo : France TV / Photomontage : La Press Tech)

Spécialiste des médias à l’heure du numérique, Alice Antheaume est directrice exécutive de l’Ecole de Journalisme de Sciences po, chroniqueuse pour France Inter et auteur du blog Work In Progress sur Slate. Elle vient de publier la deuxième édition “entièrement mise à jour” de son livre “Le journalisme numérique” (Ed. Presses de Sciences Po), dont la première version était parue en 2013.

La Press Tech l’a interrogée sur les grandes mutations numériques des médias, telles que l’omniprésence des médias sur les réseaux sociaux, le lancement en France de Snapchat Discover ou les principaux défis qui attend la presse traditionnelle dans les années à venir.

Quelles ont été, selon vous, les bouleversements majeurs dans les médias numériques depuis trois ans ?
La bascule vers le mobile et la puissance des algorithmes comptent parmi les mutations récentes essentielles pour le journalisme. Dans mon livre, “Le journalisme numérique” (Ed. Presses de Sciences Po), j’y consacre des chapitres entiers. Comment faire du journalisme en 2016 sans produire des contenus visibles depuis les écrans des téléphones, ni comprendre les critères des algorithmes de Facebook, Google — pour ne citer qu’eux — qui régissent la façon dont on s’informe aujourd’hui ?

“Nous ne sommes qu’au début de la logique de ‘pteformisation’ des contenus”

La consommation des médias en France est-elle prête pour certaines tendances actuelles très fortes aux USA, comme la “plateformisation” sur les réseaux sociaux ?
La plateformisation des contenus n’est pas une tendance venue des États Unis. C’est la nécessité, pour un éditeur, de ne pas compter seulement sur des lecteurs qui viendraient directement sur la “une” de son site d’infos mais d’aller les chercher là où ils se trouvent déjà, sur les réseaux sociaux, sur des applications extérieures, etc. Cela nécessite de penser à des productions journalistiques externes adaptées à “l’hôte” qui les accueille et aux utilisateurs auprès desquels on tente de “s’incruster”. Nous ne sommes qu’au début de cette logique….

“Oui, Google, Facebook et Twitter sont des médias hyper puissants. Leur force de frappe est inégalable”

Google, Facebook et Twitter doivent-ils se considérer et désormais se présenter comme des médias à part entière ?
Oui, ce sont des médias. Et des médias hyper puissants dont la force de frappe est inégalable tant par le nombre d’utilisateurs touchés que par la capacité de distribution des contenus faramineuse.

La périssabilité de certains contenus, comme ceux disponibles seulement 24 h sur Snapchat par exemple, ne risque-t-elle pas de diminuer leur exigence journalistique ?
La question est légitime mais je ne crois pas que l’exigence journalistique soit corrélée au timing de publication. Pour avoir observé de près le lancement français de Snapchat Discover, la section dévolue aux informations, je peux assurer que les huit médias français retenus (Le Monde, Paris Match, L’Equipe, TasteMade, etc.) déploient d’énormes efforts pour produire chaque jour, pour une durée de 24 h, des contenus visuellement forts, des animations, des graphiques… Le tout pour tenter de séduire un vivier de huit millions d’utilisateurs français de Snapchat, qui ne sont peut être jamais allés s’informer sur Lemonde.fr ou n’ont jamais vu une recette de cuisine de TasteMade en dehors de Snapchat.

“Les nouveaux formats journalistiques ne remplacent pas les précédents, ils s’ajoutent”

Les formats émergents (reportages en réalité virtuelle, bots, tchat d’infos type Quartz…), vont-elles perdurer comme nouveaux standards du journalisme ?
Les formats se succèdent et ne se ressemblent pas. Ils ne remplacent pas les précédents, ils s’ajoutent. Il est en tout cas notable que, dans toutes ces tentatives, le journalisme de conversation, basé sur des échanges entre une rédaction et les lecteurs, comme si c’était une discussion sur smartphone, est particulièrement pertinent.

Reportage sur l’application de “journalisme de conversation” lancée par le site américain Quartz. (Vidéo : TechCrunch)

Cette façon d’interagir avec de l’information est intelligente, car qui n’envoie pas déjà chaque jour de messages SMS ou par messagerie instantanée ? C’est un usage très répandu dans la vie privée et professionnelle qui ne nécessite aucun apprentissage, il suffit d’y mettre des contenus journalistiques pour offrir une plongée pertinente dans l’information, reposant sur des habitudes bien ancrées.

“Le numérique est un sujet d’investigation fondamental avant la Présidentielle 2017”

Quels sont selon vous les dangers majeurs que devront affronter dans les dix ans à venir les médias traditionnels pour ne pas disparaître ?
Les médias n’ont jamais eu autant de concurrents, qui soit produisent des contenus soit les diffusent. Cela va des marques de boisson capables de faire du live, comme pour le saut supersonique de Felix Baumgartner sur YouTube, aux diverses plateformes comme Instagram, Facebook et Pinterest, qui recrutent des journalistes et sont capables de diffuser des contenus à de très larges audiences, dans le monde entier. Sans oublier les pure players et autres initiatives journalistiques nouvelles.
Le deuxième défi, ce sont les algorithmes, que les journalistes de demain doivent urgemment prendre en considération, et y compris “sous le capot”. Ils doivent enquêter sur les paramètres de ces algorithmes, qui régentent une grande partie de notre vie en ligne. D’ailleurs, tous ces sujets venus du monde numérique (surveillance, data, algorithmes, etc.) sont des thèmes d’investigation fondamentaux. Ils devraient pouvoir être couverts dans les médias d’aujourd’hui, afin de répondre aux questions que les lecteurs ne formulent pas forcément sur les enjeux de la gouvernance à l’ère du numérique. Car ce ne sont pas des sujets mineurs à l’orée de la présidentielle 2017.

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Christophe Greuet
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#FrenchTech, #VR, #HighTech, #Politique, #Médias, #TV je suis journaliste et créateur de @LaPressTech.