Recrue de janvier 2017
L’auteure
Caroline Vu est née à Dalat en pleine guerre du Vietnam. Elle a quitté son pays natal à l’âge de 11 ans pour les États-Unis d’abord, et ensuite pour le Canada. À Montréal, elle a obtenu un diplôme en philosophie politique de l’Université McGill. Elle a complété des études en psychologie à l’Université Concordia et en médecine à l’Université de Montréal. Après des séjours prolongés en Amérique latine et en Europe, Caroline est revenue à Montréal où elle vit avec ses deux filles. Elle travaille actuellement comme médecin de famille dans un CLSC. Elle a été pigiste pour The Medical Post, The Tico Times et The Toronto Star. Un été à Provincetown est son deuxième roman. Le premier, Palawan Story, paru en 2014, a été finaliste au Concordia University First Book Prize. Pour ce même titre, Caroline Vu obtenait en juin 2016 le prix Fred Kerner de la Canadian Authors Association. La traduction française de son roman Palawan Story paraîtra à la Pleine Lune en septembre 2017.
L’ouvrage
Un été à Provincetown
Roman
Traduit par Ivan Steenhout
Collection «PLUME»
Un été à Provincetown nous livre un saisissant portrait de quatre générations dans un univers trouble où tous les repères s’écroulent.
Ce roman choc raconte la vie tumultueuse d’une famille vietnamienne ballottée par les caprices de l’Histoire et aux prises avec sa propre folie. À travers un récit teinté d’humour, on découvre les aventures rocambolesques d’un clan familial dans sa longue migration, depuis l’Indochine française jusqu’à son exil à Montréal.
Le personnage pivot de ce récit romancé est le cousin Daniel, qui meurt du sida à Montréal en 1986 et dont personne ne mentionne plus le nom. Du grand-père opiomane jusqu’à ce jeune cousin homosexuel, tous vivent dans leur chair les blessures de la guerre. Avec leurs faiblesses et leurs rêves, ils se débattent pour survivre à la désintégration de leur monde ordonné, disparu dans les vents du changement.
C’est la guerre vécue de l’intérieur avec ce qu’elle entraîne comme débordements et excès. Pas de statistiques, pas d’images de bombardements. Non. On se cache dans un garage, on dort entassé sur la paille, on s’enfuit dans des rizières, on continue de travailler, de jouer, de se droguer, d’aller au restaurant, de rire, et on baise plus qu’à l’habitude pour oublier ou faire semblant que la vie continue, on n’a plus de règles ni de contraintes, la honte et la peur du scandale ont disparu.
L’entrevue
Nous avons rencontré Caroline Vu un samedi matin au centre-ville de Montréal. Le temps passe vite en sa compagnie. Nous avons commencé la conversation sur plusieurs sujets dont vous trouverez ci-dessous les extraits. Caroline Vu a un message pour les jeunes auteurs : break the rules et ne cherchez pas la perfection avant de présenter un texte à une maison d’édition.
À quel moment avez-vous su que vous souhaitiez écrire?
J’avais 11 ans et j’habitais une petite ville aux États-Unis. Je venais de quitter le Vietnam, mon pays natal. C’était en 1971, pendant le pic de la guerre du Vietnam. Pour mes amis vietnamiens, c’était comme si j’avais gagné le gros lot à la loterie. Non seulement j’ai eu la chance de sortir d’un pays en guerre, mais je partais pour l’Amérique en plus! Mes amis vivaient leur rêve américain à travers moi. Bien sûr, j’étais contente d’échapper à la guerre. Mais ma nouvelle vie dans une ville américaine était loin d’être heureuse. Comme tous les émigrés, j’avais des problèmes à m’adapter à une nouvelle langue, un nouveau climat, une nouvelle culture, etc. Vous savez, les enfants sont loin d’être « politically correct ». Ils ne se gênent pas pour dire ce qu’ils pensent « Hey la Chinoise, t’as des yeux bizarres! » « Ching Chong! Ching Chong! ». Ce genre de commentaires, je les ai entendus souvent. Mais je ne pouvais pas raconter mes petites peines aux amis vietnamiens encore coincés dans un environnement de guerre si chaotique. Dans mes lettres, je leur racontais donc des histoires drôles, pleines de joie, des anecdotes que j’imaginais pour me divertir, pour me faire oublier mes journées de grisaille. C’était de la pure fiction! Ces vieilles lettres, c’était en réalité mon premier roman!
Avez-vous écrit d’autres types de textes avant de vous tourner vers le roman?
Je suis médecin et grande voyageuse. J’ai écrit, en tant que pigiste, plusieurs articles de voyage pour les revues The Medical Post et Doctors’ Review. J’ai aussi fait un reportage sur l’Ouzbékistan pour The Toronto Star. J’ai vécu 3 ans au Costa Rica où j’ai travaillé comme pigiste pour le Tico Times, un hebdomadaire anglophone distribué dans toute l’Amérique centrale. Je m’intéressais surtout à la scène culturelle locale. Je faisais des entrevues avec des artistes et des musiciens, aussi bien locaux que de l’étranger.
Quel métier rêviez-vous d’exercer enfant?
J’ai un côté créatif, rêveur et j’adore dessiner. Au Vietnam, on était une famille élargie vivant toute sous le même toit. Grand-mère, tantes, oncles, cousins, frères, etc. Sauf pour mon petit frère qui était trop jeune, tout le monde était beaucoup plus vieux que moi. Alors pendant que les adultes et ados jasaient, je dessinais dans mon coin. Je voulais être une artiste.
Croyez-vous qu’il y a toujours une part d’autobiographie en fiction?
Dans mon cas, oui. Quand on a vécu la guerre et l’émigration en bas âge, on ne peut refouler cette partie de notre enfance. Dans mon écriture, je reviens souvent sur ces thèmes qui m’obsèdent encore. Ma voix ne serait pas authentique si j’écrivais sur des sujets que je ne connais pas.
J’admire les romanciers capables de s’éloigner de leurs expériences personnelles, capables de s’imaginer un monde loin de leur vécu. Je pense å Camilla Gibb, cette Canadienne d’origine anglaise et sa magnifique fresque vietnamienne le Gardien de l’orchidée. Avec ses recherches approfondies et un talent inouï, Camilla Gibb a réussi à écrire un roman d’une grande authenticité.
Avez-vous un lieu privilégié pour écrire?
Quand je suis chez moi, j’écris à l’ordinateur dans mon bureau. Cet endroit est un désastre avec des piles de livres, de la paperasse, des tasses de thé à moitié vides un peu partout. Je ferme les yeux à ce désordre, car quand j’écris, je ne vois que mon écran. Quand je voyage, j’écris sur des bouts de papier — des textes que je retranscris à la maison.
Que lisez-vous maintenant?
Puisque je suis moins à l’aise en français, je lis des romans en anglais. Jeune, je dévorais les classiques. Maintenant, les écrivains contemporains m’intéressent davantage. Je lis Heather O’Neil, Sean Michael, Madeleine Thien, Rawi Hage. Ce sont tous des anglophones montréalais reconnus mondialement pour leur talent. Je lis aussi des manuscrits de mes amis écrivains.
Outre la littérature, quelles autres formes artistiques vous intéressent?
Je suis cinéphile. Le cinéma est une des rares formes d’art qui marie à la fois visuel et sonore, image et écriture, art et sciences. Je ne regarde pas des films pour me divertir. Je préfère les films qui me font réfléchir, qui me renseignent sur le monde. J’adore le cinéma européen, iranien et japonais.
Avez-vous fait lire votre manuscrit à des proches avant sa publication? Vous inquiétiez-vous de leur regard sur votre œuvre?
Une fois achevé, j’ai montré mon manuscrit à plusieurs amis. Comme plusieurs écrivains, je manque de confiance et j’ai peur du rejet. Mais, je reconnais l’importance d’avoir les opinions franches de mes confrères. C’est la seule façon non seulement de m’améliorer, mais de voir mon œuvre à travers les yeux des autres.
Quel est votre premier souvenir de lecture?
Je fréquentais une école française au Vietnam. C’était une école pour filles dirigée par des religieuses françaises. Évidemment, on nous encourageait à lire des livres pour filles de bonne famille. La bibliothèque de l’école était remplie d’œuvres de la Comtesse de Ségur. Pour cette raison, j’ai dû lire des livres français comme Les Malheurs de Sophie etc… Je lisais aussi des Tintin et des Astérix.
Si je lisais des livres de bonnes petites filles à l’école, je lisais toute autre chose à la maison! Ma mère avait une collection de romans vietnamiens. Ces romans classiques, écrits par l’auteur Khai Hung parlent de politique, de conflits familiaux, d’amour et de séduction. Déjà à 9 ans, je trouvais ces lectures plus intéressantes que celles imposées par l’école. Dans le temps, je partageais une chambre à coucher avec mes frères et cousins. Pour lire en paix les passages sur l’amour, je me cachais sous la couverture avec une lampe de poche. Une scène très clichée!
Quel livre auriez-vous aimé écrire et pourquoi?
J’ai lu Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez à l’âge de 22 ans et j’ai été très marquée. J’adore le côté magique/fantaisiste de cet auteur. J’aime l’humour entrelacé à l’histoire dramatique d’un peuple et d’une famille. Dans la trentaine, j’ai lu Midnight Children de Salman Rushdie, une autre fresque historique racontée avec humour et une voix pleine de magie.
Le réalisme magique de Garcia Marquez et de Rushdie m’ont amenée dans un univers unique qui m’emballe encore aujourd’hui. Mon livre Un été à Provincetown est inspiré par ces deux romanciers. J’aimerais aussi bien écrire Cent ans de solitude que Midnight Children. C’est cela ma pensée magique. Mais restons réalistes, je n’atteindrai jamais ces niveaux!