Accepter sa vulnérabilité

La Recrue
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3 min readSep 11, 2021

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Coeur Yoyo — Laura Doyle Péan

Par Sebastián Ibarra-Gutiérrez

Dès le commencement de son premier recueil, Cœur yoyo, Laura Doyle Péan nous prévient : « ceci n’est pas l’histoire d’une peine d’amour, ni même l’histoire de ma survie ». Et ille a raison, car son écriture diverge, souvent, vers d’autres réflexions qui, écrites sous forme de journal intime, témoignent d’autres douleurs, expériences et apprentissages où la plupart des lecteurs sauront se reconnaître.

mes rêves les plus fous
ne parlent pas
de réconciliation
robes blanches
pétales de fleurs
en secret
je rêve de te détester (p. 27)

Cependant, en dépit de la mise en contexte antérieurement mentionnée — qui fait d’ailleurs partie du prologue du recueil — , la rupture est là, omniprésente, et l’on retrouve ses traces indélébiles un peu partout dans le livre. Le poème de Joséphine Bacon, cité en exergue du livre, en dit beaucoup : « Parfois la douleur est inspirante/Elle dicte des mots/Pleins de puissance/[…] ». En effet, les vers qui composent ce recueil s’écrivent à partir de la douleur d’une rupture.

couchée sur le papier
cette souffrance
est celle d’une autre
il fut un temps
où c’était beau (p. 39)

Or, bien que l’on reconnaisse que la rupture constitue l’élément déclencheur du processus d’écriture, il n’en reste pas moins qu’il s’agit là d’un point de départ bien réussi pour aborder, en même temps, d’autres questionnements d’actualité, nécessaires et profonds. En ce sens, la voix narratrice, qui nous guide délicatement tout le long du récit, fait preuve d’une grande sensibilité, non seulement en nous confiant certains aspects critiques de son propre passé et les contradictions qui en résultent, mais également en s’ouvrant aux grandes souffrances du monde, devant lesquelles l’auteur.e minimise ses peines.

je pleure ton départ alors que
des mères pleurent le départ
de leurs enfants alors que
des enfants sont séparées de leurs mères
emprisonnées arrêtées
déshumanisées
j’aimerais pleurer pour elles aussi
avoir la force d’un ouragan
détruire prisons et frontières
abreuver mères et enfants (p. 51)

On est en présence d’un recueil réparti sur cinq jours, en plus du prologue, où le langage, que certains lecteurs pourraient considérer comme étant un peu trop chargé d’anglicismes, se veut volontairement simple et, à la fois, rapproché de l’oralité. De cette manière, bien qu’un sentiment de quotidienneté semble s’emparer un peu trop souvent du livre, il ne faut pas pour autant penser à un manque de profondeur mais plutôt au développement d’un style poétique personnel qui, tout comme dans l’histoire qu’il nous raconte, cherche à se relever sans trop faire de bruit.

les jours s’enchaînent
sans toi
gravés dans ma chair
des millions d’étoiles
les constellations me rappellent
de respirer
les astres brillent
même après la mort (p. 70)

Avec une écriture sans subterfuges et légère, ce recueil de poèmes, paru aux éditions Mémoire d’encrier, nous permet d’assister, dans le fond, à un processus où s’entremêlent le deuil et la solitude, l’acceptation et l’apprentissage, la guérison et la résistance, et qui nous montre à quel point il est important, voire essentiel d’accepter d’être vulnérable.

les plus grandes ballerines de ce poème
arrivent souvent en retard
chantent faux sous la douche
collectionnent les cartes postales
et les cœurs brisés
dans leur boîte à souliers
sous leur lit
s’entassent les vêtements sales
et la dernière brasée
qu’elles plieront
demain (p. 82)

Coeur Yoyo, Laura Doyle Péan, 96 pages.

Éditeurs Mémoire d’encrier, 2020

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