Poésie sans concessions

par Anthony Lacroix

Aguichante, excessive et flashy. C’est de cette façon que la maison d’édition L’Écrou, qui a pris l’habitude de commencer ses quatrièmes de couvertures par trois adjectifs, a décidé de décrire le recueil Désinhibée de Emmanuelle Riendeau.

Elle en rajoute en disant que « la poésie d’Emmanuelle Riendeau est une lâchée lousse dans la nuit, sifflant des verres et déclamant, provocatrice, dans une langue de désordre, les remords ravalés, les black-out, les trop tard et l’abus pelvien de toutes ces baises qui ne sauvent de rien, sinon de la neurasthénie ».

Ce résumé laisse croire que Désinhibée est un énième recueil de poésie trash et décomplexée parlant de nuit, d’alcool et se braquant contre l’institution littéraire et ses discours pompeux, mais ce serait juger trop vite du projet qui nous est présenté dans les pages de ce petit livre à la couleur rose flashy.

Il y a chez Riendeau une nouvelle façon d’aborder la poésie urbaine. À la fois franche et réfléchie, Riendeau convoque dans ses pages une panoplie de références culturelles, allant de Claire Legendre à Drake, pour mettre un peu de désordre dans le statu quo littéraire.

tout le monde écrit
personne n’écoute
tout est parfait
like that
on ne s’entend plus crever
entre deux textes insignifiants

Cependant, Désinhibée n’est pas un appel au renversement des institutions — sauf peut-être celles patriarcales — mais plutôt une résilience devant leur présence dans le monde culturel : comme un petit caillou désagréable dans un soulier qui ne vaut pas la peine que l’on s’arrête pour l’enlever.

plagie vole viole
triade universitaire
triptyque brunâtre
couloirs sans fenêtre
photocopies de photocopies
cervicales essoufflées
chercher un directeur de maîtrise
DTF en masse
avec la contre-culture

Pour conclure, je dirais que les poèmes de Désinhibée dépasse le simple de la fiction pour devenir l’art poétique d’une poète qui réussit à tirer son épingle du jeu en faisant les choses à sa façon : avec irrévérence et sans concessions.

nous ne sommes pas troubles
nous sommes troublées
oblatives
malléables et disgracieuses

nous sommes
l’écroulement de toutes nos feintes
arrachées d’impuissance

dipsomanes notoires
mises en scène
une fois pour all
nous toutes

Désinhibée
Emmanuelle Riendeau
L’Écrou, 2018
112 pages