« La nuit sera belle. Nous sommes éternels »

Dans la lumière de notre ignorance — Marianne Marquis-Gravel

La Recrue
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3 min readDec 9, 2023

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Par Joëlle De La Sablonnière

J’ai lu Dans la lumière de notre ignorance comme j’ai la manie d’arroser mes plantes : d’abord à grand coup, comme si l’urgence d’une soif collective entrainait mon bras dans un geste réparateur désespéré ; puis, à petites gouttes, pour évaluer le risque d’un débordement inopiné. Mes émotions ont été empoignées, étouffées et simultanément dorlotées et bercées par la vague des mots de l’auteure. Je ne souhaitais pas me détacher de ce monde d’images et d’affects, dont je sentais les effluences s’infiltrer dans une profondeur de moi que j’ai peut-être encore peur d’explorer. Ma volonté d’absorber chaque mot dans toute leur signifiance et le devoir que je ressentais de leur décerner une place de choix en mon esprit m’ont tout de même amenée à modérer mon avidité. Les voyages poignants entre l’univers de l’avant et celui de l’après soigneusement suscités par Marianne Marquis-Gravel ont su me transporter en tant que spectatrice voyeuriste dans la bulle de l’amour qu’elle a partagé avec l’écrivain québécois Simon Roy. Un amour percutant dans son authenticité, bravant réalité et temporalité. À travers une honnêteté impressionnante, autant dans sa tendresse que dans sa nécessaire brutalité, l’auteure nous ouvre la porte sur une histoire des plus intimes — et je ne saurais décrire ce geste autrement que comme exceptionnellement généreux.

L’ouvrage de Marianne Marquis-Gravel débute dans la douceur, prend le lecteur par la main et le mène pas à pas sur le chemin de l’avant — les débuts d’une relation amoureuse dont la force, si notre monde se jouait d’une meilleure logique, devrait pouvoir l’immuniser des aléas de la vie. La réalité cependant vient frapper, et son poids ne peut longtemps être repoussé. Le couple eut alors à faire face au genre de nouvelle qui chamboule tout, n’épargne rien. L’auteure ne tente pas de camoufler la douleur, le sentiment d’injustice ou d’impuissance alors suscités, ce qui rend son œuvre d’autant plus percutante et pertinente. Page après page, l’éventail de ces émotions est cependant mêlé à l’omniprésence d’un amour inconditionnel, qui n’est ultimement qu’amplifié par l’essence même du contraste entre affliction et affection.

« Tu me manques comme un membre fantôme, une partie de moi qu’on m’aurait arrachée et qui continue de me faire souffrir en son absence. Je te sens encore, je te palpe intérieurement, je te respire et je t’expire, complètement imprégnée de ton air dont je n’arrive pas à assumer la distance. »

Je crois ce récit important. Pour tous ceux et celles ayant vécu la perte d’un être cher et pour tous les autres aussi. La plume de l’auteure, à la fois habile et indéniablement poétique, sait confronter et apaiser — ouvrir les yeux, puis les refermer, cette fois avec un peu plus d’espace en soi pour la beauté absurde de l’existence.

« Tu seras celui qui est parti et je serai celle qui reste. À tout prendre, il n’y a pas de bonne position sur la carte de notre destin. Mais je sais bien que ces choses-là ne se disent pas, voilà pourquoi je les garde pour moi dans le coffre bien scellé de mon abdomen noué. »

Car il faut dire la souffrance et il faut dire l’amour — celui qui en vaut la peine.

Il faut dire la vie.

Dans la lumière de notre ignorance, Marianne Marquis-Gravel, 224 pages.

Leméac Éditeurs, 2022.

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