Formes subtiles de la fuite / Virginie Savard

La Recrue
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3 min readFeb 13, 2020
Formes subtiles de la fuite / Virginie Savard

Se dérober pour résister

Par Sebastián Ibarra-Gutiérrez

Avec son premier recueil de poèmes, Formes subtiles de la fuite, Virginie Savard laisse sa voix la plus intime s’exprimer pour décomposer — et revenir ainsi à quelques questionnements fondamentaux en poésie — les peurs et les hostilités, inévitables, du monde quotidien qui l’habitent. En faisant le constat de cette réalité énorme et angoissante, déformée et de plus en plus inhumaine, et en explorant les conséquences que celle-ci peut avoir sur elle-même, l’autrice essaie de son mieux d’y échapper au cours de la suite poétique.

j’ai donné à une mouche
le nom que portait ma mère
le jour de sa mort

les oublis se succèdent
dans les tiroirs où on cachait du vin
en cas d’urgence

on ne gagne rien à faire durer
les prolégomènes à une étude plastique de la souffrance

– Virginie Savard, Formes subtiles de la fuite, Éditions Triptyque, p. 22

La narratrice, excédée par l’uniformité des habitants d’une métropole sans visage et leur vie courante et monotone, dénonce, tout au long de son œuvre, des comportements et attitudes qui la dépassent, cherchant à se dérober de toutes ces conventions sociales. Les poèmes du recueil peuvent ainsi être perçus comme une sorte de sortie de secours qui, contrairement à d’autres parutions poétiques dénonciatrices, s’emprunte tout en douceur. Le lecteur risquerait pourtant de se tromper en supposant que cette « douceur » est dénouée de brutalité. En effet, les mots, bien choisis, décrivent non seulement une violence de fond, mais veillent également à ce que celle-ci nous parvienne délicatement, même dans la critique.

l’idée de montréal est plus grande
que montréal
la distance
entre chez moi et où j’habite
est plus vaste que les horaires des trains

– Virginie Savard, Formes subtiles de la fuite, Éditions Triptyque, p. 49

Divisé en quatre parties — Le moteur du frigo, Les prières sur l’asphalte, La longueur des télomères et Le monstre — , la première partie témoigne d’un je excessivement présent, mettant en évidence, avec justesse, le caractère personnel du récit. Pour sa part, la deuxième partie fait la transition entre l’individu et la collectivité. Puis, la troisième partie décrit, énonce des listes non exhaustives, pour enfin, dans la quatrième partie, faire face à tout ce qui ne peut pas être évité, à cette imperfection qui est bel et bien de ce monde.

un jour je me sentirai
à la hauteur du monde

[…]

un jour je serai
grandiloquente colossale invraisemblable
et je jetterai des poèmes
dans les vitrines des boutiques

– Virginie Savard, Formes subtiles de la fuite, Éditions Triptyque, p. 85

Nous sommes en présence d’une œuvre qui, avec des mots justes et sans trop de subterfuges, nous invite à observer autour de nous, puis à nous manifester pour remettre en question certaines conséquences d’une société de laquelle, parfois, il vaudrait mieux s’enfuir.

je dessine
dans les marges de mes cahiers
les formes subtiles
de la fuite

je garde au creux de ma gorge
quelques ambigüités

– Virginie Savard, Formes subtiles de la fuite, Éditions Triptyque, p. 51

Formes subtiles de la fuite
Virginie Savard
Éditions Triptyque, 2020

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