Les gurls ont soif

La Recrue
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Published in
3 min readOct 18, 2018

par Marise Belletête

Les Hochelagurls d’Audrey Hébert ne l’ont pas toujours facile. Elles se nomment Salomé, Éva, Simone, Noémie, Marie-Christine, Mandy, Chloé, Laurence, Marie, Alexie. Elles sont Instagrammeuses, Femen, Amazones, punks, artistes ou doctorantes. Des survivantes, chacune à leurs manières.

Elles ont un goût pour la fête autant que pour la révolution. Elles fréquentent les universités et les ruelles. Elles cassent des vitres en parlant de la phénoménologie selon Ricœur. Idolâtrent Virginia Woolf comme Monica la Mitraille.

L’escouade Hochelagurls sait se défendre, physiquement et intellectuellement, et on s’y serre les coudes pour affronter le quotidien.

« les vrais souvenirs sont en JPEG »

Ce qui frappe, dans ces poèmes « uppercut » parus aux éditions de l’Écrou, ce sont aussi les rencontres aux allures d’altercations entre le milieu artistique consacré et la culture populaire, entre le registre érudit et le style gangsta. Du type Victor Hugo qui croise Ice Cube.

Audrey Hébert superpose les selfies de vedettes des années 90 et 2000 aux toiles célèbres comme La jeune fille à la perle de Vermeer et le personnage de la Grande Odalisque d’Ingres, qui sont même invitées à une fête avec les gurls. Elle réfléchit ainsi au pouvoir des images et à la facilité d’en créer de nouvelles, de les retoucher, de s’inscrire dans la culture numérique.

la jeune fille à la perle
travaille au comptoir des alliances
chez Birks

Delft 4ever sur l’index
voix douce et posée
elle ressemble comme deux gouttes de Smirnoff
à Scarlett Johansson

Vermeer est pissed off quand elle danse
dans les bars de Saint-Lau
avec des nobodies
les esquisses sont pleines de spasmes

au last call il sort son iPhone
et prend un selfie avec elle
[…]

C’est un recueil où l’on prend plaisir à détourner les œuvres classiques pour les rapprocher du « meme », comme si on voulait les engloutir ou les intégrer dans la masse. La citation apocryphe inaugurale en est d’ailleurs un bon exemple : « La chair est triste, hélas ! Et j’ai lu tous les livres. » — Miley Cyrus

« Hochelag, beautiful Hochelag »

Durant ma lecture, je me suis posé plusieurs questions : se retrouve-t-on devant un texte parodique qui souligne le potentiel humoristique ou encore l’esthétique postmoderne du mélange des références populaires et érudites ? S’agit-il d’une réflexion ironique sur les liens entre le branding et l’art? Doit-on plutôt lire le recueil comme une proposition sérieuse sur le quotidien des femmes Hochelagaises dans ce quartier montréalais dont on ne sort jamais ? Dans ce cas, la culture savante serait plutôt mise en joue comme une cible, laissant sous-entendre son éventuelle assimilation par le style de la rue. Comme le français envahi par les anglicismes et le langage texto.

Bref, étant donné cette pluralité de lectures possibles, j’ai eu du mal à identifier la tonalité des poèmes qui forçaient parfois la note, qu’elle soit comique ou tragique. Par ailleurs, à l’occasion, j’ai eu l’impression de me retrouver devant une caricature des autres recueils de l’Écrou, auxquels on fait plusieurs clins d’œil. Sans parler de l’effet « clique » qui est très présent. Toutefois, j’ai bien aimé la représentation de ces héroïnes qui rêvent d’une nuit éternelle et aimeraient « tout dynamiter jusqu’à une opacité convenable ». Fortes et cultivées, elles ont un petit côté tarantinesque. Lointaines cousines des filles de la Deadly Viper Assassination Squad, mais avec des post-doc en art et en sciences humaines.

Hochelagurls
Audrey Hébert
L’Écrou, 2018
98 p.

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Vitrine des premières oeuvres littéraires québécoises