La Recrue

Vitrine des premières œuvres littéraires québécoises

Les suicidés d’Eau-Claire

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Par Camylle Gauthier-Trépanier

C’est grâce à trois lettres succinctes envoyées à un cousin perdu de vue depuis longtemps que la police découvre les corps des membres de la famille Corbin, Jean-Renaud, Camille et leur fille Sybille. Le roman revient sur les derniers jours de cette étrange famille qui détonne dans la petite ville ouvrière d’Eau-Claire.

Les Corbins sont revenus s’installer dans la ville natale de Jean-Renaud, après plusieurs années passées à l’étranger. Sans emploi, Corbin n’a presque plus d’économies et son succès dans le domaine de l’informatique au Canada comme aux États-Unis ou encore en Australie laisse de marbre son coin de pays. Les quelques cours d’anglais donnés par Camille ne suffisent pas à assurer à la famille un revenu suffisant. Parallèlement, leur fille adolescente, Sybille, semble cacher de lourds secrets. Sous ses airs aristocratiques elle est le souffre-douleur du collège et n’a aucun ami. Les trois Corbin semble avoir chacun leur monde dans lequel règne le désespoir. Pourtant, lorsqu’ils sont réunis, ils paraissent heureux et même insouciants malgré les problèmes financiers qui les guettent.

L’écriture est plutôt sobre laisse planer un certain mystère, décrivant parfois des passages de façon précise avant de révéler qu’il ne s’agit finalement que d’une pensée ou d’une hypothèse. Le tout se lit extrêmement bien et on entre aisément dans le récit dès les premières pages. Le rythme est variable et fait alterner des chapitres de différentes longueurs allant de quelques lignes à plusieurs pages, ce qui permet de dynamiser l’ensemble. La narration suit plusieurs personnages et ces différentes perspectives permettent au lecteur de se représenter de façon détaillée les derniers jours des Corbin. L’atmosphère un peu glauque d’Eau-Claire est très bien rendue par l’auteur qui semble mettre un soin particulier à entretenir à la fois le mal-être des personnages et le malaise du lecteur face à toutes ces interactions malsaines et dissimulées que ce soit les envies de meurtre très explicites de Jean-Baptiste, les amours de Camille ou encore les violences dont est victime Sybille de la part de ses collègues de classe.

Les suicidés d’Eau-Claire, avec sa superbe couverture et son style bien maîtrisé, est décidément une découverte très intéressante. Le roman doit beaucoup à la finesse de ses personnages, même si le récit en lui-même est solidement construit. Éric Mathieu construit des personnages dont les multiples facettes psychologiques sont très intéressantes. Ainsi, le point de vue offert par les personnages peut parfois se modifier radicalement en fonction d’une situation particulière, offrant par la même occasion une nouvelle perspective au lecteur. Cette question de perspective changeante semble aussi s’appliquer à plusieurs situations dans le roman où les alliés deviennent parfois des ennemis et où les êtres appréciés sont soudain des étrangers. Finalement, à Eau-Claire, tout est trouble et rien n’est vraiment ce qu’il semble être. Cette impression d’inconnu qui règne perpétuellement sur le texte y ajoute une touche d’appréhension suffisante pour que le lecteur se questionne continuellement sur les existences des Corbins, mais aussi sur ce qui les a réellement poussés à se suicider.

Bibliographie

Les suicidés d’Eau-Claire

Éric Mathieu

La Mèche

Montréal, 2016,

520 pages

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