12 mois ordinaires de la (vraie) vie d’une startup

Xavier Zeitoun
Le blog de Xavier Zeitoun
6 min readJul 14, 2016

Depuis 1 an, pas une semaine ne passe sans que je me demande pourquoi je n’écris plus sur mon blog, sans trouver de réponse. Et puis là depuis une semaine, j’ai à nouveau envie d’écrire et je comprends que je viens de me réveiller, que depuis 1 an, je n’arrive pas à prendre de recul par rapport à ma vie d’entrepreneur, que je n’arrive plus à être lucide, que j’ai peur du jugement de l’autre et que mon ego m’empêche de partager ouvertement les expériences vécues, comme je le faisais auparavant.

Alors, que s’est-il passé pour en arriver là ?

J’ai enfin repris le contrôle aujourd’hui, retrouvé confiance dans ma startup, dans mes investisseurs, dans mon équipe, dans mes associés et j’ai à nouveau envie de partager ce qui s’est passé durant ces 12 mois qui ont été les plus durs de ma vie d’entrepreneur.

Petit retour en arrière pour ceux qui n’avaient pas suivi.

J’ai créé 1001menus en 2011, tout juste sorti d’école de commerce, avec Thomas et Julien, mes deux associés. Apres un pivot en 2012, nous levons 300k€, nous commençons à croître et changeons notre modèle de vente. On lève à nouveau 1,35m€ en 2013, on passe de 0 à 25 salariés, de 600 à 2500 clients, nous changeons de nom pour s’appeler Zenchef… et puis en novembre 2015, nous levons 6m€ pour passer à la vitesse supérieure, nous sommes alors 50 salariés.

La levée de fonds

Mars 2015, nous avons un rythme de croissance très rapide, notre méthode de vente nous permet d’aller très vite, nous avons un partenaire qui nous envoie des leads en masse et nous décidons donc de lancer une nouvelle levée de fonds d’un montant entre 4 à 6 millions d’euros. Je sais que cette croissance est fragile car nous sommes dépendants d’un fournisseur de leads mais cette levée de fonds est nécessaire pour passer à l’étape suivante.

Nous prenons un leveur, préparons notre dossier et partons sur la route à nouveau en mai. Je commence à pitcher de nombreux VCs, comme pour les précédentes levées, nous essuyons de nombreux refus mais recevons aussi quelques marques d’intérêt, je passe ma vie à pitcher entre Paris et Londres. Je déconnecte complètement de l’opérationnel.

Nous finissons par obtenir une term sheet en juillet pour un montant de 6m€ à une valo et des conditions qui nous conviennent. Nous démarrons notre due diligence mi août et recevons les fonds en octobre. Jusque là tout va bien, nous annonçons notre levée de fonds officiellement le 4 novembre et les messages de félicitations pleuvent, nous y sommes enfin arrivés. Je réalise mon rêve d’avoir emmené jusque là ma petite startup et suis rempli de fierté, fier de mon équipe, de ce que l’on a construit et oui, je me crois arrivé même si j’ai la sensation bizarre que quelque chose ne va pas. Il faut faire bonne figure.

J’en parle à quelques personnes de mon entourage, je pense que c’est la pression de cette grande responsabilité liée à une levée d’un tel montant mais je me rends compte que je n’ai plus parlé à un client depuis 6 mois, que de nombreuses personnes que je n’ai pas choisies ont été recrutées, que j’ai perdu la main sur de nombreux sujets et que nous avons perdu notre culture d’entreprise. J’en veux à mes associés de ne pas m’avoir assez soutenu dans cette levée de fonds. J’accumule les rancœurs et je me renferme complètement sur moi-même. Je n’aime plus la société que j’ai créée.

2016

Les erreurs s’enchainent, nous décidons de déménager dans un nouveau bureau très grand mais aussi hors de prix, je ne me concentre pas sur l’opérationnel. Nous entrons dans l’accélérateur de startups de notre partenaire qui nous fournit des leads en masse, je passe la moitié de mon temps à Berlin, je ne suis plus aux commandes. Notre partenaire décide de mettre en pause l’envoi de leads, les ventes commencent à chuter.

Nous recrutons un VP Sales qui a de l’expérience dans notre secteur pour trouver des solutions, je néglige l’aspect humain dans ce recrutement et il n’obtient pas l’adhésion de l’équipe commerciale (ni des autres managers) la démotive et les résultats continuent de chuter.

En parallèle, nous décidons de changer le positionnement de notre produit, il faut reformer toute l’équipe à une nouvelle manière de vendre mais les messages ne passent pas et la communication entre nos équipes produit et commerciale se dégradent. Je me rends compte que de nombreuses personnes ont été recrutées pendant la levée de fonds qui ne partagent ni les valeurs, ni la vision de l’entreprise. Il faut licencier, vite, les problèmes RH ne font que s’accumuler.

Je passe mon temps à gérer des problèmes et ne peux pas me concentrer sur l’important, comment servir au mieux nos clients, comment développer le meilleur produit, comment créer la meilleure cohésion d’équipe.

Pour la première fois de ma vie, j’ai un travail.

Le board commence à me mettre la pression, nous brulons beaucoup trop de cash et à ce rythme, nous n’aurons pas le temps de redresser la barre. Je ne veux pas voir la vérité en face, la situation comme elle est, je commence à me justifier, je n’ai pas confiance dans ma stratégie, je n’ai pas de stratégie mais comment l’assumer alors que j’ai vendu un plan très clair pendant des mois ? Comment assumer auprès de mes amis, de ma famille, des autres entrepreneurs qui pensent que nous croissons de manière exponentielle ?

Sacré ego, saleté d’ego.

Heureusement, nous avons un board composé de personnes d’expérience et pragmatiques pour me faire prendre conscience de la situation. Ce sont des moments difficiles à vivre mais qui font redescendre sur terre, arrêter de se voiler la face, c’est le début des solutions. Merci à eux d’avoir fait leur travail et d’avoir su faire passer les bons messages.

Mai.

Nous décidons de nous séparer de notre VP Sales, Thomas, l’un de mes associés et moi reprenons la gestion de l’équipe commerciale, découvrons les problèmes, commençons à essayer de les résoudre les uns après les autres, nous recréons la cohésion dans l’équipe et les ventes commencent à remonter. En parallèle, nous commençons à optimiser nos dépenses, reprendre une gestion rigoureuse de notre cash, supprimer les dépenses qui ne sont pas indispensables, ne garder que les personnes indispensables, ce que nous n’aurions jamais dû arrêter de faire mais quand vous avez 6m€ d’euros sur votre compte… Je me rends compte que la communication sur la situation de la société a été complètement négligée avec l’équipe pendant ces longs mois et que plus personne ne sait où on va, ce qui se passe. Certains commencent à envisager de quitter la société. La transparence que j’ai toujours prônée n’a pas été respectée, le lien de confiance est abimé.

1er juin.

Je réunis toute la société pour notre all-hands mensuel, cette fois-ci, pas de slides, pas de chiffres. Juste moi face à mon équipe pour parler franchement de ce que l’on vit, de ce qui s’est passé. Je m’excuse d’avoir fait autant d’erreurs et détaille celles-ci. J’explique comment nous allons passer cette étape difficile de la vie de notre société et tout les atouts que l’on a pour y arriver.

L’important n’est pas de prendre des coups, l’important c’est combien de coups on peut prendre et se relever encore et encore.

Je ne lâcherai jamais, j’ai beau avoir toute l’inexpérience du monde, j’ai un moral d’acier et quoiqu’il en coûte, nous réussirons ensemble. Quelques personnes sont très émues et moi-même, je vacille en prenant conscience de l’amour que porte l’équipe à cette société.

Je termine en proposant à ceux qui le souhaitent de quitter l’entreprise dès cet après-midi sans aucune négociation et en leur offrant une rupture conventionnelle, en revanche, pour ceux qui seront encore là lundi, il va y avoir du sang, de la sueur, des rires et des larmes, mais nous allons devoir nous donner encore plus que jamais pour construire ensemble le succès que cette société mérite. Aucune personne ne nous a quittée cet après-midi là.

Depuis, nous continuons à reconstruire, nous avons parfaitement conscience des défis qui nous attendent et sommes prêts à les relever avec une équipe douée, motivée et ambitieuse, avec des investisseurs solides à nos côtés et suffisamment de cash pour les 2 prochaines années.

J’ai l’impression que c’est une vraie page qui se tourne dans ma vie d’entrepreneur et que j’ai maintenant l’expérience qui me permet d’emmener cette société très loin sans reproduire les erreurs du passé, beaucoup plus fort d’avoir vécu cette période difficile. J’aime à nouveau ma société et suis heureux de me réveiller chaque matin pour aller me battre.

Maintenant, vous savez que derrière chaque levée de fonds conséquente, derrière chaque entrepreneur qui vient expliquer aux autres sa présumée réussite, derrière chaque article de presse qui nous starifie, il y a un ou une entrepreneur qui galère mais qui n’osera surement pas vous l’avouer.

Et au fond, ce n’est pas si grave.

Work Hard. Stay Humble.

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Xavier Zeitoun
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I’m the founder & CEO of Zenchef, a startup dedicated to restaurants’ success. I share my entrepreneurial lessons learned the hard way.