Vis et va!

Par Aurélie Bossu

Auteurs de L'air de dire
L’air de dire
5 min readMay 24, 2020

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Je n’ai jamais vraiment cru en Dieu, mais ce soir-là, j’avais envie d’y croire. Il était minuit passé et je n’arrivais toujours pas à dormir. J’avais de bonnes raisons puisqu’un virus trainait dans nos rues et détruisait à peu près tout ce que nous avions construit depuis des années. Il nous enlevait ceux que l’on aimait. Alors oui, ce soir-là, je priais très fort pour que les choses s’arrangent, même si je savais que cela mettrait du temps. Du moins, je priais pour que la situation soit plus facile à vivre. Cela faisait bientôt un mois que la population était enfermée chez elle afin d’éviter la propagation de ce virus. Il y avait des jours avec et des jours sans. En ce moment, c’était plutôt sans. Je réussi tout de même à m’endormir quelques minutes après le début de ma prière, ce qui n’était pas vraiment glorieux.

Après une courte nuit, un nouveau jour encore sous confinement, se levait. Je me réveillais doucement avec un vague souvenir de prière inachevée, quand soudain, dans mon salon, j’entendis un bruit. Indescriptible. Un grognement sans nom. Je vivais toute seule et mon chat n’était pas capable de faire un bruit pareil. L’autre probabilité était donc que quelqu’un s’était introduit en douce dans mon appartement durant la nuit. La question était comment, puisque je n’avais absolument rien entendu. J’étais pétrifiée dans mon lit. Belle ironie du sort puisqu’il était déjà assez compliqué de pouvoir sortir dehors, voilà que je me retrouvais maintenant bloquée dans ma chambre, incapable d’en sortir. Je pris donc mon courage à deux mains, trouvant la situation beaucoup trop absurde pour ne rien faire.

Et là, le choc. Un homme était assis sur mon canapé. Enfin un homme, j’aurais plutôt dit un ours. Capillairement parlant, j’avais rarement vu ça. On distinguait à peine ses yeux et sa bouche d’entre sa barbe et ses cheveux, qui d’ailleurs, n’avaient pas l’air d’avoir rencontré l’once d’un shampooing depuis des années. Son visage, aux traits grossiers, était sale. J’aurais pu m’évanouir si j’avais reconnu la hache qu’il tenait en main, heureusement, il m’avait fait la grâce de la dissimuler sous sa robe. Car effectivement, il était habillé d’une sorte de tunique faite de lin, vieillie par le temps. Son style était assez particulier. Ses chaussures, enfin de ce qu’il en restait, avaient l’air d’être en cuir véritable. C’était comme si cet homme venait d’un autre siècle, qu’il avait voyagé dans le temps. Quand son regard se posa sur moi, avec ses grands yeux bleu turquoise, à en faire pleurer les Caraïbes, je compris que je ne devais pas avoir peur. Il avait l’air encore plus perdu que moi. Comme si il découvrait pour la première fois de sa vie, l’appartement d’une jeune trentenaire en mal de vivre. Comme si autour de lui, tout était irréel. Il me regardait, estomaqué. Sa bouche ne s’était pas refermée depuis au moins trois bonnes minutes.

Milles questions me vinrent en tête : Qui était-il ? D’où venait-il ? Que faisait-il chez moi? Avait-il besoin d’aide? D’une douche ? D’une mise à jour ? Je m’apprêtais à m’approcher de lui pour lui poser la question quand je le vis commencer à boire une bouteille de parfum d’intérieur abandonnée sur ma table basse. Je me mis à crier. Il lâcha la bouteille d’un bond, qui, sous un fracas, explosa par terre. L’odeur forte du musc se répandit partout. Il se mit à renfiler le sol comme si il avait vu la Vierge. Complètement désemparée, je lui ordonnai de sortir de chez moi, et au plus vite ! Il eut le culot de me répondre en me demandant où est ce qu’il se trouvait, et ce, dans une langue que je ne connaissais pas mais que je pouvais deviner. Je lui répondis, agacée, qu’il se trouvait dans mon domicile, où il n’avait clairement pas l’autorisation d’y être. Il me regarda comme si j’étais folle. Il se frappa alors le visage, en baragouinant des prières que je ne comprenais pas. Je ne sais pas si j’étais en plein cauchemar ou si ma tequila d’hier soir était mal dosée, mais la situation me dépassait. Je réclamais sur le champ sa réelle identité. Il se leva, et j’eu l’impression que cela dura une éternité. Il était si grand, si impressionnant. Il ouvra la bouche et prononça ce simple mot : viking. Pour résumer la situation, je me retrouvais donc avec un inconnu dans mon salon, qui pensait être un viking. Je pensais surtout être avec quelqu’un qui ne se souvenait plus de rien, et qui était sûrement sorti dans l’une de ces soirées costumées clandestines sous confinement. Ou alors cette personne avait passé beaucoup trop de temps devant Netflix.

J’étais déboussolée, jusqu’à ce qu’il me donne ce petit mot sorti de sa poche, où était marqué ces quelques lignes : « J’ai entendu ta prière, et pour t’aider, je t’ai envoyé ce viking, qui te fera oublier le confinement -merci, on ne pouvait mieux faire-. Nous vivons dans un monde où l’on pense que tout est acquis. Ce viking va t’apprendre à vivre avec peu mais bien. L’homme à son époque avait besoin de peu pour vivre et être heureux, mais surtout, il savait se débrouiller en toutes circonstances. Cesse de te plaindre, et apprends à vivre simplement. »

J’avais mal au cou, je transpirais à grosses goûtes. Ma respiration était rapide. Je suffoquais. La lumière qui perçait les rideaux m’aida à me donner le courage de me relever dans mon lit. Je pris ma tête entre mes mains. Je venais de faire un rêve plus qu’étrange, mais prenant. Ma prière avait-elle été exaucée ? La situation ne s’était pas améliorée mais j’éprouvais une paix intérieure que je n’avais jamais connue auparavant. Je compris la leçon : en dépit de tout ce qui nous arrivait, il ne fallait jamais oublier d’où l’on venait, car rien n’était jamais acquis. Il fallait se contenter de peu, car c’était là que le vrai bonheur résidait. Amen.

Aurélie Bossu

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