LE SENS DE LA FÊTE : Les jours heureux de la comédie française ★★★☆☆

Le retour des réalisateurs d’Intouchables assure également le retour de la comédie française que l’on aime.

LeCinéphileCinévore
Le Cinéphile Anonyme
4 min readOct 3, 2017

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La comédie française va mal, c’est un fait. Entre une ambition artistique qui parvient à creuser toujours plus profondément dans les tréfonds du néant, et un propos nauséabond, reflet de la vision que les créatifs ont du peuple hexagonal en ces temps de bêtise politique généralisée, la moindre lueur d’espoir semble bonne à prendre. Heureusement, le public montre actuellement son agacement face à un tel nivellement par le bas en boudant certains films pourtant pensés comme des valeurs sûres (Gangsterdam, A bras ouverts).

Néanmoins, les alternatives se font encore trop rares, au point de nous rappeler avec nostalgie le succès de vraies œuvres populaires, humbles et humanistes. Dans ce domaine, Intouchables demeure un cas d’école réjouissant, dont l’intégrité lui a permis de sous-tendre un message de rassemblement et de tolérance, tout en évitant l’écueil d’une pseudo-conscience politique aussi inconséquente que stupide (n’est-ce pas Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ?). A des années lumières d’un cinéma geignard, plaintif et beauf, qui surligne sa pensée avec un opportunisme navrant et du mépris envers l’intelligence de son audience, les longs-métrages d’Eric Toledano et Olivier Nakache cherchent avant tout à raconter une histoire, à nous faire aimer une galerie de personnages variés, dont les relations savamment écrites et interprétées offrent un rire et un attachement innocent, qui détient en son sein des germes de réflexion sur notre société et ses écarts que tant d’autres se complaisent à forcer.

C’est à nouveau le cas avec Le Sens de la fête, qui retrouve l’esprit choral de Nos jours heureux, cette fois-ci pensé comme une plongée dans le monde des organisateurs de mariage. Telle une extension du plan-séquence introductif de Samba, où l’on suivait le trajet d’un gâteau de la salle des invités jusqu’aux cuisines dans lesquelles Omar Sy faisait la plonge, la caméra des deux cinéastes s’engouffre dans l’envers du décor, suit ses protagonistes en action et s’attarde sur les enjeux d’une coordination compliquée. Si la mise en scène du duo montre une nouvelle fois ses limites, elle trouve ici une efficacité proche du documentaire, jouissive par son rôle d’œil externe capable de voir les gaffes de chacun (notamment lorsque cela donne lieu à une blague véridique autour d’une astuce de traiteur en cas d’attente d’un plat), et offrant une forte spontanéité à chaque scène, telle une impression d’improvisation constante.

Le Sens de la fête répond ainsi parfaitement à la définition du « film de potes », qui brise presque le quatrième mur en affichant fièrement la complicité de sa troupe, qui s’amuse à chaque seconde du tournage, et tient à nous le communiquer à travers l’écran. Toledano et Nakache ont dès lors compris le brio d’une bonne comédie, en sachant magnifier le monde de chaque acteur (à commencer par la partition toujours inspirée de Jean-Pierre Bacri dans le rôle du grincheux cynique mais touchant) pour ensuite mieux le mettre en conflit avec celui d’un autre. L’humour se construit autour d’un choc, d’un contact aussi bien physique que verbal entre deux forces contradictoires.

Et les réalisateurs savent construire ce jeu de ping-pong géant qui ne cesse de s’emballer, sans avoir besoin d’y coller une mentalité communautariste. Au contraire, le long-métrage se nourrit des différences de chacun, et les mêle dans un scénario qui ne sacrifie personne. Certes, l’approche des deux cinéastes peut sembler naïve, et si certaines maladresses d’écriture rendent l’ensemble parfois trop évident (notamment par des set-up/pay-off peu subtils), ils assument avec fierté ce parti-pris, explicité dans la relation aussi féerique que soudaine qui se tisse entre le DJ de la soirée (hilarant Gilles Lellouche) et la capitaine des équipes (Eye Adeira), qui passent des disputes musclées à l’amour fou grâce à un simple câlin.

Difficile de pas voir dans Le Sens de la fête une réaction à la médiocrité actuelle de la comédie française, une réaction à la simplicité désarmante, qui sait mettre de son côté une écriture et un sens du timing globalement maîtrisés, mais surtout une galerie de talents de tous âges et de tous horizons, qui apprennent, comme le spectateur, à se connaître pour mieux vivre ensemble. Après tout, il s’agit également de l’un des rôles de la salle de cinéma, peut-être l’un des derniers bastions culturels qui ne souffre pas de la distinction de classe. On ne peut alors qu’être heureux d’entendre à nouveau des centaines de personnes rire ensemble avec un film certes perfectible, mais sincère et suffisamment sage pour qu’il nous fasse oublier les immondices qu’il supplante.

Réalisé par Eric Toledano et Olivier Nakache, avec Jean-Pierre Bacri, Jean-Paul Rouve, Gilles Lellouche

Sortie le 4 octobre 2017.

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LeCinéphileCinévore
Le Cinéphile Anonyme

Critique cinéma sur @CinephilAnonyme. Fan de Christopher Nolan et bouffeur d'écrans compulsif.