Déconnecté de la pensée

Julien Laügt
Le Défricheur
Published in
2 min readJun 7, 2019

“ Mon cœur ne bat plus le temps, c’est l’instrument de ma perdurance, Et l’impérissable esprit envisage les choses passantes “ (Claudel, Gdes odes,1910, p. 241)

graphic designer Aykut Aydogdu

Notre époque, notre temps n’est plus qu’un perpétuel flux de mouvements, de bruits, de paroles et d’images. Il submerge chaque individu en prise avec le monde moderne. Sans cesse sollicité, l’individu de la postmodernité se retrouve dans un espace-temps hybride. Là où l’intime est dorénavant projeté sur la sphère publique ; frontières brouillées qui voit l’injonction à la monstration des corps, à l’immédiateté de la pensée, à cette extimité si bien définie par Tisseron prenant notamment racine dans le numérique. Je vois donc je suis. Dans cette vie virtuelle, le non-événement en devient un. L’impression prend le dessus sur le réel. La technologie est dorénavant une excroissance : le portable se greffe à la main de l’homme et par là-même modifie son rapport au monde. Le smartphone, le digital construisent autour de l’homme du 21e siècle un mécanisme nouveau, celui de la mobilisation constante. Notifications sur notifications, il est constamment assailli d’informations, de sollicitations ayant pour but de le faire réagir, partager, commenter. Il ne sait plus s’éloigner du rapport lisse de l’écran, emporté dans le courant débridé des réseaux, puits sans fond de contenu. L’actualité, la société, les grands mouvements humains dès lors aplatis ne sont plus ni interrogés, ni réfléchis, mais commentés, livrés à la doxa ; vox populi semblable à la folie nous disait Alcuin.
L’interruption, la déconnexion, la retraite de l’individu disparaissent peu à peu de nos quotidiens. Dans ce vacarme, l’arrêt, le silence portent l’individu contemporain au bord du précipice. Quand s’arrête le mouvement, l’agitation et l’action, que l’individu postmoderne se retrouve en prise avec lui-même, seul, il s’ennuie, il se fuit. Pire encore, le non-mouvement, le silence sont aujourd’hui perçus comme suspects… voire dans le monde du travail, grief à porter sur notre professionnalisme. L’homme a désappris à rentrer en lui-même, à jouir du silence et de la patience, et du sens. Or, l’ennui peut redevenir plaisir, plaisir de la contemplation. Un espace purement ouvert au poétique et au lyrisme. Finalement, la raison est à réveiller pour comprendre notre relation au temps et à ses chimères. La vie n’est pas là, dans la platitude pixélisée d’un écran, dans une case instagramisée, déconnectée dans l’immanence des choses, mais au-delà, dans l’édification de la lenteur et de la perdurance, élargissement du coeur.

--

--

Julien Laügt
Le Défricheur

Passionné par la littérature, la philosophie et plus amplement par l’art, je puise de mes passions force et énergie pour informer avec intelligence