Fais-moi un vie !

Julien Laügt
Le Défricheur
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3 min readJan 10, 2020

C’est la douleur du Christ. Hanté, je m’épuise à la clarté de tes vices, à ton bonheur égoïste sustenté par tes caprices, par ta bouche qui souffle le feu et la glace, passion froide, poison brûlant ante-mortem, enfin je m’ellipse. Et sous l’anathème il me faut rester fixe, loin de ton bonheur, ailleurs dans ce jeu d’encorné, cœur mort-né, toi, ma funeste actrice quand crisse mon âme dans le vrillement des damnations, lueur des passions tristes. Pourtant, je demeure tenté par la beauté des résurrections, avec ma couronne de courant d’air épineux. Que me proposes-tu sinon du vent et des bijoux ? Des listes de peurs que tu vends et des ventres assassins qui projettent la mort, ta sœur d’élection ; est-ce une malédiction ou seulement ce qu’ils ont fait de toi ? Tu me fais courir de déceptions en désillusions : tu donnes, puis de la dextre tu reprends, me jette dans tes rixes, puis me met à l’index.
Oui, j’eus d’âpre baiser avant de finir sur ta croix.
Tout se mêle et l’on finit par t’injurier, car on ne sait contre qui protester et par moments, c’est vers le ciel, les mains levées, que l’on crie sa douleur d’exister dans un tel monde. Mais qu’on-t-ils perpétrés ? Qu’a-t-il fallu aux hommes pour te mépriser ainsi ? Puis finir par oser dire “la vie est une pute !”.
J’ai bien la douleur du Nazaréen face aux marchands qui te possède comme une fleur de macadame, comme un outrage au sacré, honni étalage, où l’on foule et refoule l’esprit dans le lit anthracite du marchandage. Bien qu’ils furent chassés maquignon, margoulin, mercanti, c’est aux abîmes qu’il dût les confier pour nous préserver de leur vengeance de patelin. Je vois comme ils te brûlent et te laissent des glauques atroces sur ton beau visage et comment ils te font un masque pour te métamorphoser en leur créature difforme. Par leurs entrailles acides, leurs cellules détraquées et leurs humeurs, ils bouillonnent dans la somme d’une mixture visqueuse : cupidité, avidité, insanité, et tout demeurant collé, fait des gants de gadoue à leurs dix doigts, ils tachent les plus douces étoffes et souillent le beau de boue.
De leur chaîne universelle, de leur grand marché, tout est compté, pesé et divisé ; sur le mur, par sa loi, mane, thecel, phares. On ne peut prendre son sanctuaire : qui veut saisir la lumière dans son poing, ne saisira que poussière. Mais, les chemins son silencieux, clapis sous les pierres moussues du temps et fondus au décor argileux de la terre, la trace est difficile.
Toi, vie, tu me hantes et Christ : derrière le froissement des nuages, sur la corde triste des destins, dans la parole des progressistes, on te charcute et l’on ne nous donne plus que l’espace de nos villes étriquées pour célébrer notre modernité et te bafouer comme la lune fait à l’ombre du loup. L’homme est sur l’écran, l’homme est sur la photo, l’homme est sur le réseau ; l’homme a quitté la terre, triste Antée.

“ Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Comme des soleils révolus “ — Aragon

À la fin, l’aube se renverse. Pour s’extraire de son sarcophage, la vie, retrouve son sanctuaire si vif et clair. Il suffit de suivre le chemin de traverse et de gravir le mont brumeux de nos quotidiens pour la retrouver, vie, à la noce des vivants. À l’aube renversée, à Marengo… Aux batailles qui marquent les constellations pour guider le peuple des rachetés. J’ai un chant d’espoir…

Peinture : Arcabas, Jesus chassant les marchands du Temple.

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Julien Laügt
Le Défricheur

Passionné par la littérature, la philosophie et plus amplement par l’art, je puise de mes passions force et énergie pour informer avec intelligence