Mon fils, il faut lever le camp

Julien Laügt
Le Défricheur
Published in
4 min readNov 26, 2019

Nous n’irons pas chez eux ! Dans leur piège, celui qui voudrait nous voir oublier ; il est une source, par-delà les océans, les affluents, il est une source ; une origine, une réalité tangible et verticale, il est une source. Il faut courir, sans arrêt, pris dans les rets de ses idées, de ses peintures à têtes d’hommes, loin de ces pâles réflexions, de ces pauvres réflexions. Au milieu des huées que nous reste-il ? Il faut courir, vivre, n’est-ce pas faire se mouvoir ce qui est enraciné en notre sein ? Percer la glaise, ne plus entendre les sifflets, loin des alarmes, des sirènes et de leur haleur. Quand finissent ces tapages, chante le poète en âge de passion, on ne se sent plus guidé par les haleurs, et saisissant le monde primordial, en nage des pérégrinations, on voit le ciel comme une liqueur noire et forte, alors tout s’ouvre. L’horizon qui se fend laisse échapper ses rayons de lumière, des billes, des rires, des berlingots et les paysages se font chamarrés. La terre est pleine de frissons propageant les correspondances mystérieuses, en de grands halos invisibles, des feux spirituels, des idées lactescentes ; sucs de nos existences, nef de nos voyages. Pourtant, tout chavire. L’astre luit et l’homme, lui, est autre. Il trahit sa nature et renie sa réalité. Quand il se couronna, il ne fit que croire en son délire fiévreux d’un autre monde. Roi des ombres et des mirages, la bêtise en bandoulière, roi de la gangrène, triste réunion des réalistes. Mais, est-on jamais réaliste lorsque l’on demeure dans l’empyrée marmoréen du confort et du cynisme ? Faire la guerre aux autres, au lieu de la faire à soi-même, c’est justifier sa sottise, s’enferrer dans sa petitesse, mettre des œillères à sa conscience. C’est froid comme le marbre : comme la mort. Il faut lever le camp.
Poète vos papiers, on ne passe pas ! On ne part pas ! Ce temps primesautier reflue dans son lit, il se heurte à la jalousie. L’effroi vient mettre son pardessus tout chaud sur nos élans et la réprobation générale zèlant notre pusillanimité, ternie et enlaidie notre âme : il naquit poète, il mourut marchand d’armes — il naquît à 17 ans, il mourût à 17 ans. Sur son bateau, vers l’impossibilité d’une île. Le monde des hommes est un palimpseste ; la voix dans l’obscurité, l’écho des cavernes, l’art sur la nature, “ quo vadis”. Je vais là où je meurs. L’égoïsme est la mère des générosités. Sauve-toi ! Car nous ne le ferons pas, notre monde n’est pas le tien. Gardiens du temple, ils brisèrent leurs vœux, car en réalité, je vous le dis, ils étaient gardiens de leur peur.

Nous ne dînerons pas à cette table ! À la ruée, avec la gouape câblée, sur ces petites tables endimanchées afin de se répandre sur l’ombre de la surface d’une idée plastifiée et perfusée. À la sentine des vices, où ils ont violé culture, sali nature, dans la clairière des nuits de sabbat, les élyséens ont l’air de banqueter sur la croupe de nos fraternités, pour l’union du pognon, pour l’élévation de leur architecture de béton, mine grise, crayon des démocratures qui dessinent les cachots de notre humanité 21. Elle a la figure banquière notre nation, la face austère et guerrière, de ces batailles, je crois qui ne sont que d’opinion, pour quelques bulletins et force d’actions, sur les marchés des grandes connexions.
Nous, les révolutions, nous prendrons nos tickets, bien sagement, comme l’on va pique-niquer. Nous, nous resterons chez nous, il nous faudra ployer, pour la paix, pour que chaque jour suffise à sa peine. Avec notre Vade-mecum de la morale, face aux vauriens des rubrique faits-divers, nous, c’est le drapeau qui nous écharpe ! Nous nous indignerons pour une grille, pour un plâtre, pour une vitre. Et quand la jeunesse s’immole, la luminosité baisse ; où sont les pères ? Papier contre chair. Avec un peu de chance, notre gamelle sera plus pleine que celle du voisin : pour les nôtres, c’est nos yeux qu’on plisse.
Mare nostrum, qui pleure, notre mère, devant ton visage de sel et d’airain, lorsque porte la tempête, à peine la force d’une prière pour faire, sémaphore dans les noirs chaos, renaître l’enfant. Il faut aimer. Plus que tout embraser liberté, celle des mots, des solidarités et des flammes dans nos obscurités. Derrière le rideau de zinc il y a un vert qui pétille, je le sais et j’ai vu les rousseurs amères des millénaires, des peaux rubicondes et des fleuves de vie débondés pour le plaisir d’une poignée. Non, il est une source, un autre chemin, “ mon fils, il faut lever le camp… dégaine-toi du rêve anxieux des biens assis ”.

“ Mon fils, il faut lever le camp comme lève la pâte
Il est tôt Lève-toi Prends du vin pour la route
Dégaine-toi du rêve anxieux des biens assis
Roule Roule mon fils vers l’étoile idéale
Tu te rencontreras Tu te reconnaîtras
Ton dessin devant toi, tu rentreras dedans
La mue ça ses fait à l’envers dans ce monde inventif
Tu reprendras ta voix de fille et chanteras Demain
Retourne tes yeux au-dedans de toi
Quand tu auras passé le mur du mur
Quand tu auras autrepassé ta vision
Alors tu verras rien“ — Léo Ferré

--

--

Julien Laügt
Le Défricheur

Passionné par la littérature, la philosophie et plus amplement par l’art, je puise de mes passions force et énergie pour informer avec intelligence